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Prix Nobel de physique 2012 à Serge Haroche, David J Wineland et au chat de Schrödinger

Le palmarès récompense la recherche sur la physique quantique, l’extraordinaire creuset de talents que représente l’Ecole Normale supérieure et décale à l'an prochain, sans doute, la récompense pour Higgs et son boson.

REUTERS/Bobby Yip
REUTERS/Bobby Yip

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La remise du prix Nobel de physique 2012 à Serge Haroche et David J. Wineland est une demi-surprise. Et une excellente nouvelle pour la recherche française. En attendant Peter Higgs et son boson, désormais grands favoris pour 2013, c’est la mécanique quantique et le chat de Schrödinger qui sont à l’honneur. En effet, les travaux de Serge Haroche concernent les phénomènes extraordinaires qui existent dans le monde quantique mais disparaissent dans le monde réel. A l’échelle de particules élémentaires comme les photons ou les atomes pris individuellement ou en très petits groupes, il est possible de superposer deux états contradictoires.

Le fameux chat de Schrödinger est alors à la fois mort et vivant. Inimaginable? En effet. Dans le monde constitué de milliards de milliards de particules en relation les unes avec les autres, cette superposition n’existe plus. Paradoxalement, les physiciens décrivent le passage du monde quantique au monde réel comme une perte de cohérence quantique. Le comble! La cohérence, pour les physiciens, c’est donc la situation dans laquelle un chat est à la fois mort «et» vivant. Une incertitude tout à fait fondamentale!

Par chance pour l’intelligibilité de l’univers dans lequel nous vivons, la matière ne persiste pas dans cette indécision. Grâce au phénomène dit de «décohérence», elle choisit et le chat devient alors mort «ou» vivant. C’est ce passage d’un monde à l’autre que Serge Haroche, parallèlement aux travaux de David J. Wineland, physicien du laboratoire Boulder des National Institute of Standards and Technology (NIST), a étudié.

L’expérience réalisée par Serge Haroche à l’Ecole normale supérieure où il a fait ses études dans les années 1960 et dont il a dirigé le département de physique de 1994 à 2000, vise très précisément à jouer avec le chat de Schrödinger. Le physicien a utilisé des photons comme version quantique des chats. Toute la difficulté réside dans les mesures effectuées dans le monde des particules.

Extraordinairement susceptibles, ces dernières ne se laissent pas observer passivement. L’instrument de mesure modifie en effet leur état. Tout l’art des physiciens consiste donc à créer des expériences dans lesquelles ils peuvent observer les mécanismes fondamentaux que sont les sauts quantiques. Serge Haroche et son équipe a réussi à les mettre en évidence pour les photons. Une première.

Pour y parvenir, ils ont du réaliser de véritables exploits expérimentaux comme la réalisation de cavités pour piéger les photons. A l’aide de miroirs supraconducteurs ultra-réfléchissants, ils font rebondir la lumière plus d’un milliard de fois en lui faisant parcourir ainsi l’équivalent de la circonférence de la Terre, soir quarante mille kilomètres.

Il en va de même pour les atomes dit de Rydberg mis à contribution dans ces expériences, comme l’expliquait le CNRS lorsqu’il a remis sa médaille d’or à Serge Haroche en 2009. Le physicien a été le premier, à la fin des années 1970, à coupler les atomes de Rydberg à des cavités micro-ondes, un environnement favorable à la manifestation des effets quantiques. Ces expériences ont conduit aux micro-lasers à atome unique dans les années 2000.

Toutes ces recherches fondamentales sur les mécanismes intimes de la physique quantique sont directement liées à la future révolution de l’informatique. La maîtrise de la superposition d’état est en effet à la base des fameux bits quantiques ou qbits qui seront les briques élémentaires des ordinateurs quantiques. Contrairement aux bits classiques qui prennent successivement la valeur 0 ou 1, les qbits fonctionnent avec une superposition de ces deux états. Et voici le chat de Schrödinger qui pointe à nouveau son nez.

Les travaux de Serge Haroche et son rôle de pionnier dans les expériences sur les mécanismes de la physique quantique ne font pas débat dans la communauté des physiciens. Le prix Nobel 2012 ne fera donc pas partie de ceux qui sont contestés. Il rééquilibre aussi les nominations qui avaient, au cours des dernières années, tendance à privilégier l’astrophysique ou les applications plus technologiques. Là, nous sommes bien dans le fondamental du fondamental ! Mais aussi dans l’expérimental. Le couplage sans doute le plus délicat en physique. 

L’attribution de ce prix Nobel à un élève de Claude Cohen-Tannoudji, prix Nobel de physique en 1997 pour ses travaux sur les atomes froids, directeur de thèse de Serge Haroche en 1971, confirme l’extraordinaire creuset de talents que représente l’Ecole Normale supérieure (ENS) et, plus précisément, son laboratoire Kastler Brossel. Le français Albert Kastler, également élève de l’ENS, a reçu le prix Nobel en 1966 pour sa découverte du pompage optique en 1950. C’est donc une véritable lignée de physiciens de premier plan mondial qui est issue de la rue d’Ulm.

D’autant qu’un autre candidat au Nobel, sans doute déçu encore une fois, Alain Aspect, est également un ancien collaborateur de Claude Cohen-Tannoudji. Il pourrait (devrait) obtenir la distinction suprême pour ses travaux qui portent également sur la mécanique quantique fondamentale. Il a tranché le paradoxe EPR, proposé par Einstein 50 ans auparavant, dans les années 1980.

Serge Haroche redore aussi le blason de la recherche française en physique qui, depuis le prix de Claude Cohen-Tannoudji en 1997, n’a été primée qu’une fois (Albert Fert en 2007). Pour ceux qui avait parié sur Peter Higgs, ce n’est que partie remise. Certes, le comité Nobel aurait pu être sensible à l’âge avancé du physicien. Mais sa découverte n’est pas totalement validée car trop récente. La récompense d’un Français, grâce à cela, ne peut être qu’une très bonne surprise et nous consoler de la mise en attente du boson.

Michel Alberganti

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