Culture

Lena Dunham: «Le monde est moins vaste grâce à Girls»

La créatrice et actrice principale de «Girls», Lena Dunham, s'entretient avec Slate du final de la saison, de «Sex and the City» et de la personnalité de Shoshanna. (2/2)

Lena Dunham dans «Girls», sur HBO.
Lena Dunham dans «Girls», sur HBO.

Temps de lecture: 6 minutes

Slate.com s'est longuement entretenu avec Lena Dunham, jeune créatrice de la série Girls, sur HBO, qui incarne aussi le personnage principal: Hannah. Dans cette deuxième partie de l'entretien, Dunham évoque son rapport aux acteurs, son écriture, l'influence de Sex and The City. (Pour la première partie de l'entretien c'est ici).

Girls est diffusée en France depuis le 18 septembre sur Orange Cinéma Séries. La deuxième série démarrera aux Etats-Unis en janvier 2013.

> Ami lecteur, attention, cet article contient des spoilers sur la fin de la première saison.

***

Meghan O’Rourke: Parlons un peu de l'épisode final. Ce qui me plaît, c'est qu'il subvertisse les codes narratifs classiques de la comédie romantique: en général, la femme veut que l'homme emménage avec elle (ou l'épouse), il finit par accepter, elle est heureuse. Ici, Adam [le compagnon de l'héroïne, Hannah] dit «OK, je veux vivre avec toi» et Hannah a une réaction très ambivalente.

Tu avais pensé à cette péripétie dès le début ou elle t'est venue en cours d’écriture?

Lena Dunham: Je l'ai trouvée en écrivant. Je savais à peu près où les personnages devaient aller et le genre de découvertes qu'ils devaient faire. Mais c'est une fois sur le plateau, à mesure que la série prenait forme et que sa dynamique s'amplifiait – en particulier entre Hannah et Adam – que les choses se sont réellement précisées. D'un coup, j'ai compris qu'ils devaient jouer à cette espèce de fuis-moi-je-te-suis, c'était évident et ça allait aussi révéler un tas de choses sur leur personnalité, même si on avait l'impression de déjà très bien les connaître. En réalité, cette fin a été le truc le plus difficile à écrire de toute la saison, vu que je ne savais pas si on allait pouvoir continuer la série. Je voulais une fin qui, si jamais ce devait être la fin définitive, puisse tenir la route, qu'elle soit une conclusion qui donne aux spectateurs l'impression satisfaisante d'avoir saisi plusieurs facettes du personnage. Et je voulais aussi qu'elle permette de démarrer autre chose.

Je ne peux pas dire, c'était difficile à écrire et difficile à filmer. Mais j'ai vraiment été ébahie par Adam et au final, ça a été un véritable exercice d'humilité.


Adam Driver et Lena Dunham

O’Rourke: Tu pensais qu'il allait devenir l'un des personnages les plus populaires de la série?

Dunham: Tu sais, il m'a obsédée. Il n'a aucune idée de l'impression qu'il peut faire aux gens. Écrire le personnage d'Adam était peut-être le truc le plus drôle de cette série. Pour un auteur, c'est une merveille, et en tant qu'acteur, il peut tout faire. On n'a vraiment eu qu'un tout petit aperçu du talent d'Adam Driver. J'ai aussi trouvé le personnage super sexy, et ça m'intéressait de voir si d'autres personnes pouvaient le voir cette façon-là. Ce que je veux dire, c'est que oui, il est sexy, mais il y a aussi quelque chose de très étrange chez lui qui ne le rend pas nécessairement attirant aux yeux de l'Américaine moyenne. Sur Twitter, beaucoup de femmes m'ont avoué timidement l'effet qu'il leur faisait. Je leur répondais: «Hey, meuf, j'ai dû écrire un million de scènes de sexe où je dois toucher son corps nu, donc je comprends complètement le truc!».

O’Rourke: Il a aussi beaucoup de charisme.

Dunham: C'est un acteur extraordinaire. En tant que partenaire de jeu, il a toujours envie d'explorer, il est extrêmement généreux. Le fait de travailler avec lui – en tant qu'improvisateur et en général, parce que c'est un type super attentionné – m'a fait comprendre plein de choses sur l'évolution de sa relation avec Hannah et ça a aussi beaucoup influé sur ce que devient mon personnage, à la fin.

O’Rourke: Il y a donc un peu d'improvisation, mais la série est aussi très écrite, très cadrée...

Dunham: On part systématiquement d'un script très, très serré. Mais il y a toujours des éléments d'improvisation, que nous glissons dès que c'est possible. Même si nous ne gardons au final que 0,1% des impros, elles généreront parmi les meilleures répliques de la série, les plus inattendues, les plus étranges.

Personnages secondaires pour respirations comiques

O’Rourke: Et les autres personnages? Savais-tu que Shoshanna allait être comme elle est depuis le départ, une sorte de bouffonne qui permet des respirations comiques très particulières, mais qui n'empêche pas non plus la connexion, l'identification?

Dunham: Depuis le départ, c'était évident que Shoshanna allait agir en contrepoint du monde des autres filles. Mais ça s'arrêtait là. On ne l'avait même pas considérée comme la quatrième fille. Je me disais qu'on allait vraiment se différencier de Sex and the City, du genre «On a trois filles, elles sont quatre, voilà».

Puis Zosia Mamet est arrivée sur le plateau et elle était tellement incroyable... j'ai eu le sentiment que la série avait besoin d'elle. Elle lui donne une autre dimension, complètement différente, ce qui fait qu'elle est immédiatement devenue un personnage régulier. J'avais imaginé quasiment depuis le départ que Shoshanna était vierge, mais toute cette vie intérieure et étrange qu'elle a, je n'y avais pas encore pensé en écrivant le pilote.


Zosia Mamet

O’Rourke: C'est une véritable excentrique.

Dunham: Oui, et elle est aussi drôle parce qu'elle est à la fois tout à fait bizarre et tout à fait normale, tout en une.

O’Rourke: C'est celle qui cède le plus aux stéréotypes «fifilles», avec la chambre de princesse et les habits roses.

Dunham: Et je pense qu'elle le fait parce qu'elle se sent vraiment loufoque, au fond. Je pense qu'elle se force à avoir ce genre de goûts qu'elle voit comme «typiquement» américains, parce qu'à l'intérieur, elle se sent comme une extra-terrestre. En un sens, elle ne peut même pas admettre sa bizarrerie car l'état d'esprit Je ne suis pas comme les autres, je suis une mutante la perturbe trop.


Sex and the city, ©HBO

O’Rourke: Que penses-tu de Sex and the City? Ça fait partie des séries que tu as regardées?

Dunham: C'est évident. J'étais relativement jeune quand elle a commencé à être diffusée, peut-être 12 ou 13 ans, et j'adorais la regarder. J'avais vu toutes les saisons avant même d'avoir des relations sexuelles. C'est une série qui a été super importante pour moi. Je la regardais avec ma mère, ça m’obsédait complètement, sans que je la rattache pour autant à ma vie, à cause de mon âge et de mes centres d'intérêts de l'époque. C'était un peu la même chose avec Entourage, par exemple: j'aimais vraiment l'univers, mais ce n'était pas mon monde. Mais je respecte énormément cette série, je pense qu'elle a permis tout un tas de débats. Je pense aussi que Girls n'aurait pas pu parler de beaucoup de choses s'il n'y avait pas eu Sex and the City.

O’Rourke: Est-ce que tu as un personnage préféré dans Girls?

Dunham: Non, ce n'est pas Hannah! Je veux dire, elle est tellement proche de moi et j'ai beaucoup de plaisir à écrire son personnage, mais je le fais sans y penser, c'est quasiment automatique.

Mes préférences changent tout le temps. J'adore vraiment Adam, Ray; j'adore vraiment tous les garçons de la série. Mes parents, aussi. Mais ça change réellement d'une semaine à l'autre. Ça dépend où je me situe à un moment donné, quel personnage j'ai envie d'écrire. Je vais dire que j'ai appris beaucoup de choses avec le personnage d'Adam. C'était très instructif.

O’Rourke: Tu es en train de tourner la deuxième saison. Tu as l'impression de voir les personnages évoluer, se déployer?

Dunham: Oui, tout à fait. On est encore en plein dedans, avec les deux derniers épisodes à boucler, mais tu vas vraiment voir une transformation dans leur manière d’appréhender les choses, une véritable maturation. Si on continue sur une troisième saison, on arrivera peut-être à un point où la série s'appellera Girls, mais mettra en scène des femmes, pas des filles. Elles évoluent. Elles gardent toujours leurs marques de fabrique, mais elles changent énormément. Je suis vague, hein, comme si je protégeais les spoilers de Lost.

O’Rourke: «Girls», c'est aussi un mot qui a une date de péremption..

Dunham: C'est clair. Ce que j'ai trouvé drôle dans ce titre, entre autres, c'est qu'il puisse un jour parler de personnages qui ont 35 ans, avec des enfants, mais qu'on appelle toujours des filles. En réalité, ce titre est arrivé après une tonne d'autres, trop affreux pour que je te les répète, et qui contenaient tous «girls», à un niveau ou à un autre. Je me suis donc dit «Et Girls, tout court?» Ensuite, j'en ai parlé à mon père et, plus tard, quand il y a eu toute cette recrudescence de séries avec «girl» dans le titre, je lui ai demandé: «Est-ce qu'on le change? Ça ne va pas faire trop redondant?». Il m'a répondu «Non, tu as trouvé le méta-titre, garde-le». Je me suis dis «Super, tu as trouvé le méta-titre. Vendu».

O’Rourke: En voyant la série vivre sa vie, rencontrer les réactions du public, qu'est-ce qui a été le plus surprenant ?

Dunham: Le truc que j'ai adoré, et que j'avais déjà vécu dans une moindre mesure avec Tiny Furniture [film indépendant de Lena Dunham réalisé avant Girls], c'est que j'ai passé tant de temps, quand j'étais plus jeune, à me sentir comme une extra-terrestre, que j'avais beaucoup de mal à imaginer que mon ressenti puisse parler à qui que ce soit. Dans Girls, j'ai mis beaucoup de trucs extrêmement personnels, spécifiques, le personnage passe par tellement d'émotions qui sont miennes... et au final, plein de filles m'ont dit «Voilà, c'est moi» ou «Toi et moi on est pareilles». Ça m'a bouleversée.

Le monde est moins vaste, et je pense que c'est ce qu'il y a eu de plus merveilleux, de plus instructif avec cette série, pour moi. C'est extraordinaire de ressentir une telle connexion, alors que j'avais presque pris l'habitude de me sentir, je ne sais pas, isolée...comme une femme de 98 ans enfermée dans le corps d'une adolescente de 17 ans un peu rondouillarde.

Meghan O'Rourke 

Traduit par Peggy Sastre

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