Économie

C'est quoi un déficit structurel?

Lors de la discussion à l’Assemblée sur le traité européen, la question du déficit structurel a ressurgi. Normal: le concept n’est pas d’une clarté folle.

Un villageois remonte de l'eau d'un puits à Kunming, Chine, le 25 mars 2010. CHINA DAILY / REUTERS
Un villageois remonte de l'eau d'un puits à Kunming, Chine, le 25 mars 2010. CHINA DAILY / REUTERS

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Avant de rentrer dans le détail des questions techniques, revenons un peu sur ce traité, qui divise tant la gauche, pour le plus grand plaisir de l’opposition. De quoi s’agit-il? Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, signé le 2 mars dernier à Bruxelles, nous a été imposé par les Etats «vertueux» de l’Europe, Allemagne en tête, qui ne souhaitent pas se retrouver un jour prochain avec un autre problème du type grec sur les bras:  une gestion rigoureuse des finances publiques, encadrée par des règles communes strictes et contrôlée par les autres Etats membres de l’Union, doit permettre d’éviter des dérapages et de nouvelles crises.

En soi, l’idée est bonne, mais elle a été et reste contestée sur deux points.

Le fruit d’un diktat allemand

Premièrement, ce diktat allemand est d’autant plus mal perçu dans beaucoup de pays de l’Union en très mauvaise situation économique qu’il semble plus urgent d’organiser ensemble un soutien voire une relance de l’activité que de procéder à de nouvelles coupes dans les budgets ou à des hausses d’impôt.

Mais le rapport de forces n’est pas en faveur des opposants au traité. François Hollande, qui avait promis une renégociation, a très vite compris qu’il ne l’obtiendrait pas et à dû se contenter de l’adoption en parallèle d’un pacte de croissance à la portée limitée. Cette initiative a au moins eu le mérite de remettre la réflexion sur la croissance au cœur du débat: ce n’est pas en se focalisant sur les seules mesures de rigueur que l’Europe sortira de l’ornière.

Deuxièmement, il est reproché au traité européen d’encadrer trop étroitement la politique des Etats: non seulement il serait néfaste dans le contexte actuel, mais il empêcherait à l’avenir toute politique un peu dynamique de relance de l’activité et priverait les gouvernements de toute possibilité de se servir de l’arme budgétaire pour stimuler l’activité.

Résumé brutal de cette critique: les gouvernements ne peuvent plus se servir du levier de la politique monétaire –c’est la BCE qui en a la charge– et ils ne sont plus maîtres de leur budget. Que leur reste-t-il comme moyen d’action?

Moins stupide qu’on ne le dit

Les deux critiques seraient totalement justifiées si le traité encadrait le déficit effectif, celui qui est enregistré en fin d’année, avec pour obligation de ne jamais le laisser déraper, quelles que soient les circonstances. En réalité, ceux qui ont conçu et signé ce traité sont un peu moins stupides que leurs adversaires ne le disent. Et c’est là que l’on retrouve le déficit structurel.

L’article 3 du traité dispose que «la situation budgétaire des administrations publiques d'une partie contractante est en équilibre ou en excédent», mais cette règle en apparence d’une rigidité absolue est en fait plus nuancée, car, précise le texte, elle «est considérée comme respectée si le solde structurel annuel des administrations publiques correspond à l'objectif à moyen terme spécifique à chaque pays, tel que défini dans le pacte de stabilité et de croissance révisé, avec une limite inférieure de déficit structurel de 0,5 % du produit intérieur brut aux prix du marché». Qu’est-ce que cela signifie?

Le pacte de stabilité et de croissance impose aux Etats de présenter chaque année un objectif de moyen terme de solde des finances publiques «proche de l’équilibre ou excédentaire», soumis à l’examen de la Commission européenne et du Conseil.

Cet objectif est évidemment fonction de la situation de l’Etat considéré. Par exemple, la France va proposer un programme 2012-2017 avec l’objectif d’un déficit public limité à 0,3% du PIB à l’horizon 2017 contre 4,5% en 2012.

Mais encore faut-il que ce programme soit observé. C’est sur ce point que le nouveau traité européen impose un suivi contraignant, avec l’obligation de prendre des mesures correctrices en cas de dérapage.

Mais il ne saurait être question de contraindre un Etat à prendre des mesures encore plus restrictives s’il n’est pas responsable du non-respect des objectifs et si la dégradation s’explique par une conjoncture plus médiocre que prévu. C’est pour cela qu’il est fait mention du déficit structurel. Autrement, à partir du chiffre de déficit annoncé, il faut faire la distinction entre ce qui est conjoncturel et ce qui est structurel.

Le taux de croissance potentiel, source de divergences

Mais ce calcul n’est pas simple. Pour établir ce qui s’explique par les mouvements de la conjoncture, il faut tenir compte du décalage entre ce qu’on appelle le taux de croissance potentiel du pays et le taux réellement enregistré.

Et c’est là que les difficultés commencent. Le taux de croissance potentiel est celui qu’une économie peut obtenir sans tension sur les facteurs de production, donc sans augmentation de l’inflation. Il dépend du niveau de ses facteurs de production (population active, heures travaillées, taux de chômage structurel et capital productif) et de la productivité de ces facteurs.

On voit tout de suite les divergences qui peuvent intervenir dans les calculs et que l’on retrouve effectivement selon que le taux est calculé par Bercy, la Commission européenne, l’OCDE ou le FMI.

Ainsi, dans ses prévisions de printemps, la Commission européenne crédite la France d’une croissance potentielle de seulement 1,1% en moyenne pour les années à venir. Ce que conteste vigoureusement Bercy, qui accepte ce chiffre pour 2011 mais annonce un taux de 1,3% en 2012, 1,4% en 2013, 1,5% en 2014 et 2015 et 1,6% en 2016 et 2017. Des discussions techniques sont d’ailleurs engagées au niveau européen pour déterminer une méthode d’estimation «transparente et scientifiquement robuste».

Déficit structurel zéro en France... en 2016

Ce taux de croissance potentiel sert à déterminer un PIB potentiel. On compare ensuite le déficit au PIB réel et au PIB potentiel. Puis on cherche à expliquer la différence entre les deux résultats obtenus, qui peut ne pas provenir uniquement de la conjoncture.

On tient compte aussi de mesures «ponctuelles et temporaires», par exemple de décisions de justice qui peuvent priver un Etat de recettes fiscales escomptées. Mais ce qu’on retient dans ces mesures ponctuelles et temporaires peut aussi faire l’objet de discussions (certains aimeraient qu’on tienne compte des investissements lancés pour soutenir la croissance). Enfin, on arrive au déficit structurel.

Dans le cas du projet de budget de la France pour 2013, par exemple, Bercy annonce un déficit public de 3% du PIB conformément aux engagements pris par la France. Mais du fait de l’écart entre l’hypothèse de croissance retenue (0,8%) et le taux de croissance potentiel, on aurait un déficit conjoncturel de 1,2%. Par ailleurs, au titre des mesures ponctuelles et temporaires, on aurait un déficit de 0,2%. Resterait un solde structurel de 1,6% du PIB potentiel, en nette amélioration par rapport à celui de 2012 (3,6%), avant d’arriver, en théorie, à un solde structurel nul en 2016.

Cette complexité de calcul et les écarts qui apparaissent selon la méthode choisie posent évidemment un problème. Côté positif: cela peut laisser aux gouvernements des marges de manœuvre et un peu de souplesse. Côté négatif: le doute peut toujours subsister sur des chiffres aussi incertains.

Une «fumisterie» utile

Certains économistes estiment pourtant qu’il n’y a aucune difficulté et que le déficit structurel est une notion bien balisée. D’autres économistes, plus nombreux, restent très sceptiques. «C’est une fumisterie, nous dit l’un d’eux, on ne sait pas mesurer le déficit structurel sérieusement.»

Une chose est sûre: les experts ont du pain sur la planche, mais le grand public risque pas de ne pas s’y retrouver. Un déficit du budget de l’Etat de 61,6 milliards l’an prochain et un déficit de la Sécurité sociale de 11 milliards, cela parle. Un déficit public de 3% du PIB, cela parle déjà beaucoup moins. Un solde structurel de 1,6% du PIB potentiel, c’est n’évoque rien du tout.

Alors, faut-il condamner le solde structurel? Non, pour deux raisons: d’abord, malgré ses imperfections, il évite de s’en tenir au seul déficit effectif et d’imposer aux Etats des mesures inutilement restrictives en cas de fléchissement brutal de l’activité. Ensuite, l’accord sur le traité européen, en montrant que les gouvernements prenaient leurs responsabilités, a permis à la BCE d’annoncer cet été un nouveau dispositif d’interventions qui a calmé les marchés. C’est déjà beaucoup.

En tout cas, on doit remercier le Conseil constitutionnel d’avoir autorisé la transposition de ce texte en droit français par une simple loi organique, sans passer  par une réforme de la Constitution. Parce que, entre nous, introduire une notion aussi sujette à discussions que le déficit structurel dans la Constitution, cela n’aurait pas été très sérieux...

Gérard Horny

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