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Par un beau jour d’été, au milieu des années 1990, Spencer Kaplan monta dans le bus qui l’emmenait au camp où il était moniteur. Il s’assit à côté d’un petit garçon de 9 ans environ et pensa:
«Mon Dieu, j’ai envie de l’embrasser!»
Spencer (c’est un pseudonyme) avait alors 14 ans. C’était un adolescent sensible, de petite taille, qui portait des baskets montantes et des casquettes de baseball. En tant que moniteur junior, il était chargé de veiller sur les 8-9 ans. Spencer avait déjà repéré ce jeune garçon auparavant, assis seul dans un coin, emprunt d’une timidité attachante. Dans le bus, Spencer parvint à le faire sortir de sa coquille. Durant le reste de l’été, il le prit sous son aile et savoura leur proximité. L’attraction qu’il éprouvait lui faisait tourner la tête.
Spencer a grandi dans un environnement stable, élevé par des parents aimants et éduqués. C’était lui-même un joli petit garçon, avec une coupe au bol parsemée de mèches blondes, de grands yeux marron et un sourire ravissant –sa famille plaisantait souvent sur son avenir de bourreau des cœurs. Il fit même un peu de mannequinat et de figuration dans des vidéos. On peut le voir notamment dans le clip de Don Henley The End of the Innocence (1989), en train de courir sous le soleil. Il n’a jamais été violé ni maltraité.
Avant cet épisode, Spencer avait déjà ressenti une attraction troublante vers d’autres garçons. Un jour, lors d’un rassemblement scolaire, il tomba en extase devant un jeune de son âge, qui était à ses yeux la plus belle personne qu’il ait jamais vue.
Lorsqu’il avait 12 ans, il tomba aussi amoureux de son meilleur ami. Ensemble, ils avaient l’habitude de s’endormir dans les bras l’un de l’autre et, bien que rien de sexuel n’arriva jamais, Spencer adorait cette intimité.
Il vieillissait, mais pas ceux qui l'attiraient
Lorsqu’il entra au lycée, ses désirs sexuels et romantiques lui semblaient aussi confus qu’ils le sont pour la plupart des jeunes qui traversent cette jungle qu’est l’adolescence. Il aimait les filles, mais elles ne faisaient pas battre son cœur autant que les garçons.
Il se demanda s’il n’était pas homosexuel, mais n’était sûr de rien. Il était seul.
Durant sa dernière année de lycée, il avait alors 17 ans, il se mit à jouer régulièrement au roller hockey avec «Josh», un garçon doux et intelligent de 13 ans dont il tomba «éperdument amoureux». Spencer et lui pouvaient passer des heures à discuter après leurs matchs. Ses amis du lycée le taquinaient à propos de son «petit copain». Spencer réalisa alors que, si lui vieillissait, ce n’était étrangement pas le cas du type de garçons qui l’attirait.
Fébrile, il passa toute la nuit sur Internet à faire des recherches sur ce mot qu’il commençait à envisager pour décrire son état: pédophile.
Sa confusion se transforma en terreur. Il ne parvenait pas à concevoir que la tendresse qu’il avait éprouvée pour Josh puisse être liée de quelque façon que ce soit à tout ce qu’il avait pu lire en ligne à propos de prédateurs, de psychopathes, de violeurs d’enfants, d’assassins...
Il comprit que les sentiments qu’il ressentait de manière on ne peut plus naturelle étaient bannis par la société et que, dès qu’il aurait 18 ans, cela pourrait faire de lui un criminel.
Des sentiments qui pourraient faire de lui un criminel
Spencer rejoignit l’université et tenta de se forcer à un semblant de vie «normale». Il sortit avec des filles et des garçons de son âge, mais au fond de lui, il lui manquait ce lien émotionnel qu’il avait ressenti avec des jeunes garçons.
Il sombra dans la dépression et commença à sécher les cours pour passer ses journées à fumer des joints, affalé devant la télévision. A la moitié de sa deuxième année d’études, il obtint un certificat médical pour quitter l’université et rentrer chez lui. Mais ses sentiments le poursuivirent. Errant dans le centre commercial voisin de la maison familiale, il s’efforçait vainement de détourner son regard des jeunes garçons.
Après avoir un jour éclaté en sanglots, Spencer décida qu’il était temps pour lui de s’expliquer auprès de ses parents, qui ne pouvaient comprendre pourquoi la vie de leur fils si prometteur semblait être en train d’imploser. Il s’assit avec eux dans le salon et bredouilla:
«Les petits garçons, au centre commercial... Je ne peux pas m’empêcher de les regarder. J’ai envie d’être avec un petit garçon. Ils m’attirent.»
Très alarmés, ses parents insistèrent pour lui trouver de l’aide. Cependant, durant les dix années qui suivirent, parmi toutes les personnes qu’ils virent pour aider Spencer, la quasi-totalité le considéra comme un criminel, alors même qu’il n’avait commis aucun crime si ce n’est celui d’avoir des pensées interdites.
Comment agir avec quelqu'un comme lui?
«Vous n’avez pas le droit!» lui hurla un jour une thérapeute lorsqu’il lui fit part de son attirance pour les jeunes garçons. Une autre lui suggéra de s’inscrire à un programme de traitement des délinquants sexuels. Un spécialiste des troubles du déficit de l’attention chez les jeunes voulut lui donner des médicaments. Confier son attirance lui valait presque toujours des questions soupçonneuses. On lui demandait s’il avait abusé d’enfants et, lorsqu’il répondait que non, personne ne savait comment l’aider.
«La plupart n’avait pas la moindre idée du comportement à adopter avec quelqu’un comme moi», raconte-t-il.
Spencer est aujourd’hui un homme d’une trentaine d’années, aux traits nets et aux cheveux bruns bien coiffés. Il est intelligent, sympathique et sait faire preuve d’autodérision (au sujet du moment où ses parents ont réalisé que leur fils était un pédophile n’ayant pas fini ses études, il observe par exemple que: «Pour une famille juive, je ne sais pas ce qui est le pire»).
Prendre en compte leurs «besoins»
Il tient à insister sur le fait qu’il comprend la loi et qu’il n’a jamais abusé d’un enfant. Il se considère comme une «personne attirée par les mineurs» («minor-attracted person»), un terme que certains préfèrent à «pédophile». Avec d’autres personnes comme lui, il défend l’idée selon laquelle la société doit reconnaître qu’ils existent, qu’ils sont capables de contrôler leurs pulsions sexuelles et qu’ils ont pour cela le droit d’être soutenus et respectés.
«Faire vivre en marge de la société un groupe d’exclus que l’on stigmatise ne protège en rien les enfants, me dit Spencer. Si l’on souhaite vraiment protéger les enfants, il faut prendre en compte les besoins des personnes attirées par les mineurs.»
Bien entendu, il ne parle pas là de leurs «besoins» d’avoir des rapports avec des enfants, mais de leur besoin d’avoir facilement accès aux thérapies, de se sentir compris et de pouvoir vivre sans être considérés comme des agresseurs.
Ce point de vue est aussi adopté par un nombre croissant de praticiens, de chercheurs et de thérapeutes. Les atteintes sexuelles aux mineurs sont généralement considérées comme une question purement criminelle: la police intervient, les tribunaux jugent et tout le monde a peur.
Celui que je connais ne peut être ce «monstre»
Toutefois, plusieurs voix dans le monde psychiatrique commencent à s’élever pour dire que la prévention des abus sexuels passe nécessairement par une approche de santé publique plus large, afin d’entrer en contact avec les agresseurs potentiels et de les soigner avant qu’ils ne fassent de mal.
Dans son article du New Yorker consacré à la pédophilie, Malcolm Gladwell explique à quel point il est difficile de se rendre compte que l’on est face à un agresseur d’enfants lorsque l’on en connaît un.
Chercheuse spécialiste des agressions sexuelles sur mineurs, Elizabeth Letourneau, de la Johns Hopkins University, confirme que, même face à des indices très parlants, il est notoire que les gens sont incapables de reconnaître un agresseur d’enfants, tout simplement parce que l’image qu’ils ont des gens qu’ils respectent ne peut concorder avec celle qu’ils se font d’un «monstre» ou d’un «prédateur».
Compte-tenu de cet «aveuglement», assure-t-elle, il est primordial d’atteindre les agresseurs potentiels avant qu’ils ne passent à l’acte, voire après qu’ils ont commis une agression, pour éviter la récidive. Et cela implique en premier lieu de comprendre d’où leur viennent ces désirs néfastes.
D'où ça vient?
Comme l’a récemment rapporté Cord Jefferson sur Gawker, les dernières recherches menées sur le sujet laissent penser que la pédophilie (l’attirance pour les enfants et non le fait de les agresser) est pour l’essentiel impossible à changer.
Chef de recherches à la clinique des comportements sexuels du centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto, le Dr. James Cantor a mené une étude de l’imagerie cérébrale des pédophiles qui a montré une sorte de «câblage croisé» dans leurs cerveaux, sans doute présent depuis leur naissance. Il espère que mettre en évidence les origines neurologiques de la pédophilie pourra un jour conduire à prévenir cette «malformation».
En attendant, l’un des meilleurs moyens de protéger les enfants serait d’entrer en contact avec les pédophiles de manière préventive, afin de leur donner les moyens thérapeutiques de se contrôler tout en menant une vie «normale». Mieux vaut avoir des pédophiles abstinents comme Spencer que des pédophiles contraints de se soigner après avoir commis un acte odieux, ou pire, des pédophiles jamais soignés parce que leurs actes n’ont jamais été découverts. L’opposé d’un pédophile abstinent n’est pas un non-pédophile, ce que préfèrerait évidemment tout le monde, mais bien un pédophile actif.
Notre réaction face aux affaires de pédophilie
Des affaires qui ont éclaté dans l’église catholique à celle de la Horace Mann School, en passant par le cas Sandusky ou le meurtre du petit Leiby Kletzky, nous sommes malheureusement aujourd’hui assez confrontés aux scandales pédophiles pour pouvoir les analyser avec un certain recul.
D’abord vient le choc de la nouvelle. Puis, il faut le temps que le public «absorbe» l’histoire, période où la révulsion se mêle à un ressassement des détails les plus sordides de l’affaire. La personne qui a commis l’acte est décrite comme un monstre. Il y a enquête et procès. Enfin, on cherche à châtier quiconque aurait pu être au courant de ce qui se passait, mais n’a rien fait pour l’arrêter.
«Toute l’attention se focalise sur les agressions sexuelles connues et sur les châtiments à infliger, affirme Letourneau. C’est censé être fait à des fins préventives, mais en réalité ce n’est qu’une question de répression. Si les gens veulent vraiment protéger les enfants, il faudrait qu’ils acceptent l’idée que certaines personnes naissent pédophiles, aussi dérangeant cela soit-il. Les marginaliser, c’est tout ce que l’on fait aujourd’hui.»
J’y ai beaucoup réfléchi. Certaines de mes amies proches ont été victimes de viol ou d’agressions sexuelles et j’ai bien vu les répercussions de ce traumatisme dans leurs vies. Je suis aussi mère de deux jeunes enfants et la notion de pédophilie est aussi dérangeante pour moi qu’elle l’est pour n’importe quel parent. Je penserais sans doute aussi que ce sont tous des monstres impossibles à contrôler si je n’avais connu Danny.
Mon ami Danny
Danny est un ami que j’ai rencontré peu de temps après avoir obtenu mon diplôme de la fac, à la fin des années 1990. C’était un gamin du Bronx, doux, chétif, un peu geek et dérangé, qui venait quelquefois partager des bières avec moi et mon petit-ami d’alors dans notre appartement de Williamsburg, à Brooklyn.
Un jour, dans une rue du Village, il a rencontré une fillette de 12 ans à qui il a dit qu’il était photographe et qu’il voulait la prendre comme modèle. Ils convinrent d’un rendez-vous.
Lorsqu’il se présenta au domicile de ses parents, la police l’attendait. Ils découvrirent dans son sac une corde et des ciseaux, ainsi qu’un livre sur la pédophilie emprunté à la bibliothèque.
Bien que l’agression qu’il avait apparemment planifiée n’ait pas eu lieu, il confessa avoir déjà, à une autre occasion, suivi une petite fille de 10 ans et s’être masturbé devant elle après l’avoir ligotée. Reconnu coupable d’agression sexuelle au premier degré, il fut condamné à six ans de prison.
J’étais consternée, épouvantée, par ses actes et j’avais beaucoup de peine pour ses victimes. Cependant, je ne pouvais me résoudre à l’abandonner en tant qu’ami.
Aussi, je décidai de le considérer avec les mêmes égards que je l’aurais fait pour un ami malade, ce qui était à mes yeux le seul moyen d’expliquer ce qu’il avait fait. Je lui ai rendu visite à Rikers Island alors qu’il attendait sa sentence et nous avons correspondu par courrier durant ses années d’emprisonnement à Attica et Oswego. Parfois, il m’appelait en PCV. J’ai assisté à son audience de libération conditionnelle et, lorsqu’il a été libéré par une chaude soirée d’été en 2007, j’étais là pour l’accueillir. Lorsqu’il est descendu du bus, il portait encore son jean de prisonnier ainsi que quelques affaires personnelles dans un filet en tissu. Il a traversé Times Square en clignant des yeux à cause de la lumière, savourant sa liberté retrouvée.
Depuis, Danny a trouvé un travail, s’est conformé aux règles imposées aux délinquants sexuels recensés comme lui, a suivi des séances de thérapie de groupe et s’est marié (si l’on devait poser un diagnostic, on dirait sans doute que c’est un hébéphile non-exclusif, ce qui veut dire qu’il est aussi bien attiré par les femmes adultes que par les jeunes filles pubescentes).
Parfois, j'ai peur
Il assume la responsabilité de ses actes et il est pétri de honte et de remords par rapport à ce qu’il a fait. L’effet de la thérapie associé à sa terreur de retourner en prison le dissuadent de céder à son attirance pour les jeunes filles.
J’ai parfois peur qu’il récidive, mais, bien plus que cela, je suis terrorisée lorsque je pense à tous les types comme Danny qui nous entourent, ceux qui n’ont pas encore été arrêtés et ceux qui n’ont encore rien fait.
Fred Berlin, fondateur de la Sexual Disorders Clinic à la Johns Hopkins University, étudie la pédophilie depuis plus de quatre décennies et souhaite en faire une question de santé publique.
«Il est très probable que la proportion de gens arrêtés soit infime par rapport à ceux qui ressentent ces attirances ou même ceux qui passent à l’acte, affirme-t-il. La société ne fait quasiment rien pour les traiter avant qu’ils ne commettent l’irréparable.»
Fred Berlin a réussi à soigner des pédophiles avec des thérapies semblables à celles employées avec les toxicomanes, en mettant l’accent sur la responsabilisation du patient, l’identification des éléments déclencheurs, la résistance aux pulsions, le développement d’une empathie pour les victimes potentielles et la manière de traiter les distorsions cognitives pouvant entraîner des comportements malsains.
Seuls ceux qui ont commis une agression sont soignés
Il a également obtenu des résultats positifs en prescrivant des médicaments destinés à faire baisser le taux de testostérone, principe également connu sous le nom de «castration chimique».
Toutefois, ces traitements sont destinés presque exclusivement aux hommes ayant commis une agression... parce que ce sont les seuls que l’on connaît. Presque personne ne se présente aujourd’hui pour un traitement s’il n’a pas auparavant commis un acte horrible.
Fred Berlin attribue cela en grande partie à l’obligation de signalement. Dans tous les Etats des Etats-Unis, des lois imposent aux professionnels de santé de signaler les agressions supposées sur des enfants, lois dont le cadre s’est encore élargi à la suite des grands scandales pédophiles comme l’affaire Sandusky.
Craignant de voir leur responsabilité engagée, nombre de professionnels de la santé mentale risquent de se précipiter pour signaler tout client évoquant son attirance pour les enfants, concluant par là qu’il représente une menace imminente. Résultat: les hommes confrontés à cette attirance et aux autres problèmes mentaux qui en découlent (les dépressions sont fréquentes) n’ont personne vers qui se tourner.
Un parallèle avec l'alcoolisme
Comme d’autres praticiens, Fred Berlin compare l’attitude actuelle envers la pédophilie à l’attitude que l’on avait jadis envers l’alcoolisme, avant que l’on ne comprenne qu’il s’agit d’une maladie qu’il est possible de soigner par un traitement adéquat. «Avec la pédophilie, nous en sommes encore à l’époque d’avant Betty Ford, me dit-il. Quand pourra-t-on entendre “Tu es un jeune de 17 ans et tu as peur d’être attiré par les enfants? Tu as peur d’avoir des pulsions sexuelles que tu ne peux pas contrôler? Je t’en prie, laisse-nous t’aider”?»
Par une fraîche journée de mars, Spencer et 12 autres pédophiles se sont rassemblés dans la salle de conférence d’un hôtel près de l’aéroport international de Baltimore-Washington. La porte était fermée et les rideaux tirés. Il y avait aussi dans la salle une trentaine de professionnels de la santé mentale ainsi que des étudiants. Tout le monde était assis autour de grandes tables rondes sous des éclairages fluorescents, à se distribuer le programme de la journée en sirotant un café.
Les pédophiles étaient principalement des hommes âgés d’une vingtaine ou une trentaine d’années. L’un d’eux, avec un bouc, ressemblait au voisin que l’on voit tondre la pelouse de son pavillon de banlieue. Un autre, en jeans et chaussures de randonnée, avait l’air d’un guide de randonnée. Un jeune homme bien habillé, avec pantalon bien repassé, chemise amidonnée et boutons de manchettes, ne leva jamais les yeux de ses mains, croisés sur la table devant lui. Son visage était figé dans une expression de pure angoisse.
Tous étaient là pour un atelier organisé par B4U-ACT [1], organisation destinée à instaurer un dialogue entre les professionnels de la santé mentale et les «personnes attirées par les mineurs». Il y eut des présentations PowerPoint (Spencer montra notamment son «Expérience d’une personne attirée par les mineurs à travers le système de santé mentale») émaillées de discussions de groupe.
«Avant d'agir»
Un imprimé permettait de lire les témoignages de pédophiles associés au groupe qui ne purent assister à la réunion (Iggy, 20 ans: «Je pense qu’il est mal, d’un point de vue moral, d’avoir toute forme de relation sexuelle avec un jeune garçon, mais il est aussi immoral de haïr et de blâmer des personnes ayant une orientation sexuelle qu’ils n’ont pas choisie»).
Beaucoup d’entre eux ont commencé à comprendre dès l’adolescence que leur attirance était différente de celles de leurs camarades. Les pensées suicidaires et les tentatives de mettre fin à ses jours sont monnaie courante chez eux.
B4U-ACT a été cofondé par Russell Dick, un travailleur social clinique, et Michael Melsheimer, un pédophile déjà condamné pour agression sexuelle.
En 1995, Dick était le directeur des affaires sociales du centre hospitalier de Springfield, un hôpital psychiatrique d’Etat, à Sykesville, dans le Maryland. Melsheimer, ancien directeur de centre YMCA ayant passé quatre ans en prison pour agression sexuelle aggravée impliquant des enfants, y avait été patient. Ils étaient devenus amis en siégeant au comité des droits des résidents.
Après avoir quitté l’hôpital, Melsheimer passa quatre ans à haranguer l’Etat du Maryland sur la pauvreté des services de santé mentale disponibles pour les gens comme lui. Et il finit par obtenir un budget de 8.000 dollars pour traiter ce problème (ou «pour qu’il la boucle», plaisante Dick).
Des menaces de mort
Ensemble, ils ont créé B4U-ACT en 2002 avec le but de créer un service de santé mentale accessible aux gens «qui se sentent attirés par les mineurs et qui recherchent de l’aide pour affronter les problèmes qui se posent à eux», comme il est indiqué sur le site Internet du groupe. B4U-ACT a pour but d’aider les pédophiles dits «abstinents» «avant qu’ils ne passent à l’acte», même si plusieurs de ses membres, comme Melsheimer, sont d’anciens agresseurs qui recherchent un soutien afin de ne pas recommencer.
«Nous ne faisons que reconnaître que les personnes attirées sexuellement par les enfants existent, affirme Dick. Ils ne l’ont pas choisi. Jerry Sandusky a un jour été un adolescent qui s’est sans doute posé des questions sur sa sexualité et il n’y a eu personne pour lui dire “Si tu as un problème avec ça, il existe des solutions pour t’aider à y faire face”.»
Dick a reçu des lettres de haine et des menaces de mort du monde entier (Melsheimer est mort en 2010). Les professionnels de la santé mentale qui travaillent avec le groupe ont été qualifiés de «prédateurs avec un doctorat» et l’organisation a été taxée d’être une «NAMBLA avec des docteurs et un plan marketing».
L’une des principales opposantes au groupe est Judith Reisman, une militante conservatrice associée à la Liberty University, l’école évangélique fondée par Jerry Falwell. Judith Reisman a mis la blogosphère de droite en émoi l’année dernière après avoir commenté un séminaire de B4U-ACT auquel elle avait assisté.
Une «nation de pédophiles»
Pour Judith Reisman, la pédophilie n’est pas un accident de la nature, mais le fruit d’une culture mauvaise.
«Nous sommes en train d’engendrer une nation de pédophiles, m’a-t-elle dit. Tous les stimuli auxquels des milliards de gens ont été exposés durant ces 60 dernières années ont modifié l’esprit humain. La pornographie avec laquelle ils ont grandi et les médicaments qu’ils ont pris les ont rendus fous. Certains de ces fous sont pédophiles, certains sont scientifiques. Scientifiques-pédophiles. Ils vont conclure que nous sommes nés comme ça parce que c’est le moyen le plus simple pour eux de ne pas dire que tout est à revoir.»
Dans ses écrits et ses apparitions radiophoniques, elle affirme que le traitement des pédophiles fait partie du plan de route des homosexuels et que le but ultime de ces derniers est «d’avoir des relations sexuelles avec autant de garçons que cela est possible».
Que préconise-t-elle donc, lui ai-je demandé, pour les hommes qui se tournent vers B4U-ACT, les pédophiles qui ne cèdent pas à leurs pulsions, qui cherchent de l’aide et qui aimeraient mener une vie normale?
«Ils devraient s’isoler totalement. Si j’étais eux, j’essaierais de me trouver une montagne ou quelque chose du genre et de ne plus en bouger, comme les gens qui sont allergiques et qui ne peuvent pas sortir de chez eux.»
Il y a sans doute quelque chose d’agréablement exutoire à proposer que les personnes qui ressentent ces besoins nocifs aillent s’emprisonner volontairement ou, comme beaucoup d’internautes le proposent, se tirent une balle dans la tête. Toutefois, il convient d’admettre que rejeter en bloc tout argument scientifique et toute marque de compassion pour prôner le suicide ou l’isolement n’est pas une position des plus pragmatiques.
Les autres initiatives
Outre B4U-ACT, d’autres approches de la pédophilie commencent à apparaître afin de protéger les enfants en mettant l’accent sur la prévention. Un site Internet baptisé Virtuous Pedophiles a été créé cette année afin de «fournir soutien et renseignements sur les ressources disponibles pour aider les pédophiles abstinents à rester respectueux des lois et à mener des vies heureuses et productives».
Certains experts cherchent à prendre exemple sur le Prevention Project Dunkelfield, une initiative allemande qui a permis de fournir des soins gratuits et des options pharmaceutiques à des centaines d’hommes attirés par les enfants, en établissant un premier contact grâce à des petites annonces et des publicités à la télévision.
Certains préconisent également d’amender les lois américaines de manière à ce que la dénonciation d’abus sexuels potentiels sur mineurs soit toujours obligatoire, mais que l’on présente des solutions thérapeutiques aux pédophiles n’ayant jamais commis d’abus sexuel ou qui en auraient commis par le passé et qui souhaitent ne jamais recommencer.
Sans doute rien de tout cela ne fonctionnera pour les pédophiles qui n’ont vraiment aucun repentir. Mais même si un petit nombre seulement de pédophiles parvient à trouver un moyen de se soigner et que cela évite donc à des enfants d’être agressés, l’effort en vaut la peine. Il serait inconscient de ne pas le faire.
Jennifer Bleyer
Jennifer Bleyer (@jennypencil) est auteure et professeure au Arthur L. Carter Journalism Institute à l'université de New York.
Traduit par Yann Champion
[1] L'acronyme se prononce «before you act», c'est-à-dire «avant d'agir». Retourner à l'article