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Election de Mr Big: un peu d'espace pour les gays gros

Ce week-end, on célèbre les «chubbies». Cela suffira-t-il à faire mieux accepter cette petite communauté?

Stefan Wermuth / Reuters
Stefan Wermuth / Reuters

Temps de lecture: 5 minutes

Ce week-end, les gays font la fête, une de plus, dans une communauté qui a la réputation de ne jamais manquer l’occasion de s’amuser. Etalé sur trois journées, le rassemblement en question a prévu son apogée, samedi 29 septembre, lors d’une soirée organisée dans le IVe arrondissement de Paris et intitulée Big Fun.

Rien de révolutionnaire en apparence, de l’ordinaire même dirait-on dans un endroit comme le Marais qui a l’habitude de se coucher tard, sauf que ce rendez-vous, et tous les autres événements qui l’accompagnent de vendredi à dimanche, sont dédiés… aux hommes corpulents et à ceux qui les aiment.

En substance, le message est le suivant: si vous êtes gay et gros, que vous le vivez bien ou mal, c’est le moment de converger vers le centre de Paris ou, pour ceux qui vivent «en régions», de monter vers la Capitale! Vous serez les stars du jour ou de la nuit avec comme clou du spectacle, davantage pour s’amuser que pour marcher dans les pas de Geneviève de Fontenay, l’élection de Mister Big 2012!

Big Fun en est à sa deuxième édition et l’un de ses organisateurs, Jean-Michel Gouacide, estime que, selon lui, le premier opus avait été un demi-échec, mais que la tendance est meilleure cette fois grâce à Facebook qui a notamment fait «bouger» la province:

«Beaucoup d’hommes forts ont une vraie difficulté à accepter leur corps. Mais ils ont encore plus de mal à comprendre comment d’autres hommes, qu’ils jugent inatteignables parce qu’ils seraient trop “beaux” pour eux, peuvent avoir envie d’eux et les regarder avec les yeux de l’amour. La majorité des chubbies vivent avec l’idée qu’ils doivent être mis de côté et ne sortent pas de cette réclusion.»

Dans le langage gay, un homme corpulent, gros voire obèse est appelé un chubby, terme générique utilisé ainsi à travers le monde et particulièrement chez les Anglo-saxons, le qualificatif voulant dire potelé en anglais. Les chubbies appartiennent à ce qui est appelé chez les homosexuels «le mouvement bear». Un bear, de quoi ou plutôt de qui s’agit-il?

Bears, chubbies, daddies, cubs...

Littéralement d’un ours, ou d’un nounours pour la version plus câline, plus précisément d’un homme portant la barbe et dont le torse est, en principe, recouvert de poils. Les formes du bear sont traditionnellement rondes et généreuses, mais ce n’est pas une obligation. Il peut être aussi sec comme une trique ou particulièrement musclé. Le bear a son langage: il dit souvent woof quand quelqu’un lui plaît. Pour tenter de comprendre l’identité de ce mouvement, la bande-annonce du documentaire «Bear Nation», sorti aux Etats-Unis en 2011, permet de mieux cerner le visage de cette population homosexuelle.

Dans cette communauté bear, unie et à la fois très segmentée, les labels sont (presque) aussi nombreux que les poils qui peuvent hérisser les visages de leurs représentants. Parmi eux, il y a donc les chubbies, mais il y a aussi les big bears également massifs et obligatoirement très velus, les chubbies pouvant être glabres (vous suivez?). Dans la «famille» des bears, vous avez également les daddies: des hommes d’âge mûr ou ours polaires à poils gris ou blancs. Les cubs: des jeunes hommes poilus qu’ils soient minces ou enrobés. Les musclebears: des bears musclés. Les admirers: ceux qui goûtent les poilus qu’ils soient gros ou sveltes. Et les chasers qui apprécient les bears, les cubs, les daddies ou les chubbies (en résumé, ils aiment tout le monde).

Chez les bears, foin de l’image d’Epinal du gay que, pour résumer sommairement, on qualifiera de maniéré et ne parlons pas des clichés entretenus par les multi diffusions de «La cage aux folles». Dans les cavernes de ces «bêtes à poils» et de ceux qui en sont fans, nous sommes entre mâles qui auraient d’ailleurs tendance à regarder plus ou moins de travers les homosexuels plus efféminés qui ne leur vouent pas non plus un grand culte.

Né aux Etats-Unis, le mouvement bear est très puissant outre-Atlantique. Des conventions ont lieu et peuvent rassembler des centaines d’hommes à la fois comme, par exemple, l’été à Provincetown, dans le Massachusetts. C’est un monde multiple où les hommes en surpoids sont donc largement représentés dans un pays victime, c’est vrai, d’une obésité croissante.

En France, ce mouvement bear est nettement plus récent et reste relativement marginal —en Europe, l’Espagne est le pays où il s’est le mieux implanté avec comme «capitale», Sitges, resort gay situé près de Barcelone. A Paris, miroir grossissant du milieu gay français, les lieux bears se comptent sur les doigts d’une main et ne concernent pas forcément la même clientèle.

Une communauté éclatée

Au Cox règnent les musclebears. Au Bears’den se rejoignent les big bears et les chubbies. En province, ces endroits sont très épars. A Toulouse, le bear’s est l’une de ces exceptions. Toutefois, cette communauté éclatée a ses ramifications et est notamment reliée entre elle par des sites de rencontres spécialement dédiés aux bears, certains se polarisant sur les seuls chubbies ou musclebears. «Mais petit à petit, les chubbies se détachent du mouvement bear qui s’est formaté autour du muscle, regrette Jean-Michel Gouacide. Cette séparation s’est déjà vue en Allemagne ou en Angleterre.»

Si la Toile a brisé l’isolement des gays, et de ceux qui vivaient mal leur homosexualité en raison du fait de compter des kilos en trop, elle n’a pas complètement bouleversé le quotidien de ces personnes qui peuvent être mal dans leur peau et devoir lutter contre les préjugés. «Internet a remplacé les rencontres impromptues sur les aires d’autoroute et dans des lieux de drague bien connus de la communauté des homosexuels, mais n’a pas forcément renforcé la visibilité des chubbies, note Olivier, 1,81m pour 121kg:

«Etre gros et gay ne va de soi dans une communauté très «fashion», très marquée par le jeu des apparences. En couverture de Têtu, vous verrez toujours des super beaux mecs aux abdominaux saillants, mais en même temps, Elle ne mettra jamais une femme forte sur sa Une. En réalité, le milieu gay est aussi normé que la population hétérosexuelle et rejette parfois plus qu’il n’intègre. Les gays peuvent être très féroces entre eux. Non, cumuler homosexualité et embonpoint, ce n’est pas de la tarte.»

Face à la solitude et, quand elle existe, la détresse des forts, une association, Aminours, hébergée au Centre LGBT de Paris et dont le slogan est «on peut gay, rond et beau», s’est constituée et se définit de cette manière sur son site Internet:

«Notre but, purement social, convivial, et amical, est de promouvoir une image positive des hommes corpulents afin qu'ils sortent de leur isolement, face à une certaine hostilité du milieu gay traditionnel. Nous contribuons à les amener à accepter leur «grossitude», sans démagogie, et surtout sans honte. Aminours est un club ouvert et convivial, à destination des «chubbies», des «bears» et de ceux qui les aiment. Pas de sectarisme, pas de mensurations minimum ou maximum, pas d’uniforme (tous habillés pareil, coiffés pareil), pas de rejet de l’autre.» Juste une écoute et un moyen de reprendre confiance par le biais de rencontres et de sorties.

Et chez les femmes?

La situation est-elle différente chez les femmes? De manière générale, les lesbiennes se mélangent davantage entre elles. Leur façon de s’amuser épouserait moins les dogmes d’un look ou d’une apparence. Les bars et les boîtes brassent donc toutes les populations ensemble et les femmes fortes font naturellement partie du paysage comme une évidence.  «Chez nous, il y a peut-être davantage de solidarité que chez les hommes, note Sylvie, une habituée du Troisième lieu-La cantine des Ginettes armées, un célèbre bar lesbien à Paris qui assure une vraie mixité à tous les niveaux et, preuve de tolérance, laisse ouvertes ses portes aux hommes. Le milieu lesbien est moins dur que celui des gays. Je n’ai jamais entendu parler, par exemple, d’une fête pour les filles costaudes. Mais il y a bien longtemps que les femmes, qu’elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles, luttent contre les idées reçues autour du poids et du matraquage qui les accompagne. Pour nous, c’est devenu une sorte de quotidien si bien que nous sommes arrivées à nous en ficher un peu et ce n’est pas plus mal.»

Yannick Cochennec

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