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Mais pour qui se prend Benjamin Nétanyahou?

Le Premier ministre israélien ne devrait pas se mêler ainsi de la campagne présidentielle américaine.

Benjamin Netanyahou, en août 2012. REUTERS/Uriel Sinai/Pool
Benjamin Netanyahou, en août 2012. REUTERS/Uriel Sinai/Pool

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Benjamin Nétanyahou ne s’est jamais trop soucié de ce que les dignitaires étrangers pouvaient bien penser de lui. Tout le monde sait d’ailleurs que Barack Obama n’est pas le premier président américain à trouver que c’est un «client difficile». En 1996, après sa première rencontre avec «Bibi», Bill Clinton se serait ainsi exclamé en privé:

«Mais pour qui il se prend, celui-là? C’est eux ou nous, la superpuissance?»

Aujourd’hui, cependant, et sans doute malheureusement pour Israël, il pousse peut-être le bouchon un peu trop loin.

La menace du nucléaire iranien

Dès le départ, la relation entre Obama et Nétanyahou a été difficile: les Israéliens avaient peu apprécié que le président américain ne se rende pas en Israël durant sa visite au Moyen-Orient en 2009. Les désaccords au sujet de l’expansion des colonies l’année suivante et la tentative de Nétanyahou de dresser le Congrès américain contre le processus de paix prôné par le gouvernement ont ensuite laissé peu de doutes sur le fait que Nétanyahou pense qu’Obama est trop faible pour s’imposer.

Et au-dessus de tout cela plane la question du programme nucléaire iranien. Malgré les dénégations de l’Iran et de ses défenseurs, il ne fait aucun doute que l’Iran envisage à long terme de se doter d’armes nucléaires, projet auquel il travaille patiemment depuis plus de dix ans. L’arme nucléaire alimenterait sans aucun doute les ambitions de l’Iran dans la région, déséquilibrerait la «guerre froide» qu’il mène avec ses voisins, notamment l’Arabie saoudite, et ne ferait qu’accélérer la course à l’armement nucléaire au Moyen-Orient.

Israël serait particulièrement menacé puisque l’Iran mène depuis longtemps contre l’Etat hébreu une sorte de guerre par intermittence, notamment en soutenant le Hezbollah au Liban. L’arme nucléaire encouragerait l’Iran à mener une politique plus agressive au niveau régional, ce qui accentuerait de manière significative les dégâts des conflits.

Jusqu’à maintenant, les positions américaine et israélienne sur l’Iran s’accordaient. Mais aujourd’hui qu’il s’agit de trouver les réponses à apporter à cette menace, l’aimable coopération a cédé la place aux médisances et aux désaccords les plus vifs. Sur cette question, les gouvernements américain et israélien sont à couteaux tirés.

La pomme de discorde

Si certains se demandent encore quel candidat Nétanyahou souhaite voir triompher en novembre, il y a répondu par le tapage –très médiatisé et un peu forcé– fait autour du rejet par Obama d’une proposition de rencontre lancée par Nétanyahou. Qu’il s’agisse ou non d’une vraie rebuffade, Nétanyahou a choisi d’en faire une affaire publique trois mois seulement avant les élections présidentielles américaines.

Pour Nétanyahou, l’Iran est un Etat uniquement idéologique et, en tant que tel, il n’a que faire des principes d’auto-préservation traditionnels qui permettent le statu-quo nucléaire. Pourtant, estimer que l’Iran est un Etat dangereux par essence pousse à faire des comparaisons difficiles: ce régime est-il vraiment plus irrationnel que celui de Staline? Ou de Kim Jong-il? En outre, les Israéliens accordent bien trop d’importance au côté «théologique» de la république islamique. Comme l’Iran l’a prouvé à de nombreuses reprises, il ne plaisante pas avec l’idéologie, mais la survie du régime lui importe encore plus.

Le gouvernement Obama a bien compris qu’il faut mener une guerre d’usure contre le régime iranien. Il le fait notamment au travers de sanctions, d’une coopération accrue avec ses alliés (parmi lesquels Israël) et de cyber-attaques destinées à ralentir le processus nucléaire iranien.

Ce n’est pas pour rien qu’Obama a rejeté l’appel de Nétanyahou à imposer à l’Iran une «ligne rouge» nette et précise. La stratégie actuelle porte ses fruits et permet de laisser «l’option militaire» de côté. L’armée américaine est épuisée. Tant d’un point de vue politique que stratégique, une nouvelle «guerre par choix» serait une erreur. Et si les risques posés par le nucléaire iranien sont clairs, ceux d’une guerre avec l’Iran ne le sont pas moins: attaque des gisements pétroliers saoudiens, déstabilisation du Liban et de l’Irak, arrêt des transports par le golfe, etc.

Une guerre absurde

A une époque où les économies américaine et européennes se débattent tant bien que mal pour sortir de la crise, une telle guerre serait absurde. Forcer la confrontation aujourd’hui serait aussi stupide qu’imprudent. Et la Maison Blanche le sait bien.

Le comportement de Nétanyahou est doublement idiot pour les relations américano-israéliennes. Il est en train de demander aux Etats-Unis de faire quelque chose qu’ils ne feront, de toutes manières, pas. Et Nétanyahou ne devrait pas se faire d’illusions: en dépit de tout ce que peut raconter Mitt Romney durant la campagne, il poursuivra avec l’Iran la même politique qu’Obama. Il ne va pas tout changer du jour au lendemain.

D’un point de vue israélien, il est profondément inquiétant de voir Nétanyahou prendre parti pour l’un ou l’autre candidat à l’élection présidentielle américaine (des spots de campagne mettant en avant le message de «Bibi» sur l’Iran ont commencé à apparaître en Floride; il était trop tentant pour les groupes pro-Romney de ne pas utiliser sa critique de la position d’Obama). En faisant entrer la politique politicienne dans une alliance qui était jusque-là bâtie autour d’un consensus stratégique et politique, Nétanyahou remet en cause plus de six décennies de politique extérieure israélienne.

Si Obama gagne en novembre, mieux vaudrait pour Nétanyahou que le président réélu ne soit pas rancunier. Une chose est sûre: quel que soit le président qui siègera à la Maison Blanche (ou ce qu’il pourra dire durant la campagne), il ne permettra jamais à Nétanyahou de décider de la politique extérieure américaine. Cette fois-ci, il vaudrait mieux que Nétanyahou retienne qui est la superpuissance.

Howard Eissenstat

Maître-assistant en histoire du Moyen-Orient à l'université St Lawrence

Traduit par Yann Champion

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