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Greffes: questions sur un don de vie grâce à l'utérus de sa mère

Deux greffes pratiquées en Suède réalisent une mise en abyme procréative sans précédent.

Naissance par césarienne, à Caracas en 2011. REUTERS/Carlos Garcia Rawlins
Naissance par césarienne, à Caracas en 2011. REUTERS/Carlos Garcia Rawlins

Temps de lecture: 4 minutes

Beaucoup en rêvaient, ils l’ont fait. Une équipe chirurgicale dirigée par le Pr Mats Brännström (département de gynécologie-obstétrique de l’hôpital universitaire de Göteborg) a, les 15 et 16 septembre, réalisé les deux premières greffes au monde d'utérus entre mère et fille.

Il s’agissait de permettre à deux femmes stériles âgées d’une trentaine d’années de retrouver une possibilité d’enfanter. L'une de ces deux femmes avait subi une hystérectomie après un traitement contre un cancer du col utérin. La seconde était née sans utérus.

L’université suédoise a rendu publiques des interventions mardi 18 septembre avec une étonnante vidéo à visée pédagogique et justificatrice:

Le Pr Brännström et ses collaborateurs y expliquent qu’ils sont loin d’être des novices. Ils travaillent sur ce projet depuis plus de dix ans et ont expérimenté avec succès leur technique de greffe utérine sur différents animaux de laboratoire, rongeurs et primates. Pour cette première dans l’espèce humaine, une dizaine de chirurgiens ont participé aux différentes interventions (prélèvements et greffes) qui se sont déroulées sans complication. Les deux donneuses ont retrouvé la station debout et quitteront bientôt l’hôpital.

Les deux receveuses devront quant à elles attendre un an avant de pouvoir débuter une gestation après transplantation dans leur nouvel utérus d’embryons actuellement conservés par congélation. Ces embryons ont été conçus à partir du sperme de leur conjoint. Pour le Pr Brännström, il faudra attendre au minimum les naissances à terme d’enfants vivants pour pouvoir conclure que ces transplantions ont bien été un succès.

Pas encore de bébés

Tous les obstacles ne sont en effet pas encore vaincus. La principale difficulté résidera dans le développement du placenta, cet organe qui au sein de l’utérus gravide assure l’interface entre la mère et l’enfant qu’elle porte. Faute d’un développement placentaire harmonieux, l’enfant est exposé aux risques des naissances avant terme et de petit poids. Un autre danger réside aussi dans l’impact sur le fœtus des traitements immunosuppresseurs pris par sa mère.

Les mères des deux femmes ont été choisies comme donneuses du fait de l’avantage immunitaire qu’offre la proximité familiale en cas de transplantation. L’équipe médicale avait d’autre part évalué chez ces femmes ménopausées les capacités gestationnelles de leur utérus. Elle explique également avoir tenu compte du «lien émotionnel» qui existait entre mère et fille dès lors que l’hypothèse de cette greffe à visée procréatrice avait été envisagée.

Un utérus temporaire

Les praticiens suédois ont prévenu: cette greffe est temporaire. Ils procèderont à l’explantation des deux utérus greffés dès lors que les deux femmes auront eu, chacune, deux enfants au maximum. Il s’agit ici de ne pas exposer plus longtemps que nécessaire leurs patientes au traitement immunosuppresseur antirejet; un traitement qui peut avoir de graves effets secondaires et qui ne se justifie qu’en cas de greffes vitales. Le programme expérimental suédois va par ailleurs se poursuivre: huit autres femmes (également âgées de la trentaine) devraient pouvoir bénéficier d'une greffe utérine dans les prochains mois.

Outre les difficultés techniques inhérentes à cette transplantation, l’équipe chirurgicale suédoise a été confrontée à des obstacles de nature éthique. Le premier d’entre eux était inédit: il concerne les risques inhérents au prélèvement d’un organe chez une personne vivante et ce pour une greffe qui n’a rien de vital. On ne se situe en effet pas ici dans le cas des greffes de rein, de foie voire de poumon où les receveurs en attente sont condamnés à un mort rapide faute de greffe et alors qu’un donneur, vivant, est volontaire.

Prélever sans nécessité vitale

De ce point de vue, rien ne dit qu’une telle greffe serait, en France, autorisée par le Comité national d’éthique et l’Agence de la biomédecine. L’équipe du Pr Brännström a, dans un premier temps, essuyé le refus des autorités éthiques suédoises et l’autorisation n’a été donnée que sous condition d’une stricte surveillance du suivi de l’opération. Les chirurgiens ont d’autre part assuré que leur objectif était strictement thérapeutique: soigner les stérilités dont souffrent les femmes privées d’utérus à la naissance ou ultérieurement pour des raisons médicales.

Ils n’useront pas, par exemple, de leur savoir-faire à la demande de femmes qui ne sont plus en âge de procréer.

Plusieurs équipes spécialisées à travers le monde avaient commencé à se lancer dans la course à la greffe d’utérus avant de renoncer, non devant les difficultés techniques mais face, précisément, aux obstacles de nature éthique. Cette greffe offre certes une alternative aux «maternités de substitution» (pratique interdite en France) aux nombreuses femmes qui ne peuvent procréer faute de disposer d’un utérus fonctionnel. Mais cette perspective thérapeutique, il comporte des risques inédits: cette greffe est pratiquée à partir d’un donneur vivant, elle n’est pas d’une importance vitale et expose des tiers (le ou les enfants que l’on cherche ainsi à faire naître) à des risques inconnus.

Pourquoi d'autres ne l'ont pas fait

L’usage qui est fait aujourd’hui (en France notamment) du principe de précaution interdirait, à l’évidence, de se lancer dans une telle aventure. Sans parler des obstacles préventif que ne manqueront pas mettre les spécialistes de l’inconscient devant la perspective d’une telle mise en abyme procréative.

Que vivra durant sa gestation la femme transplantée en sachant qu’elle ne porte l’enfant que grâce au don fait par celle qui lui a donné la vie de l’organe dans lequel elle-même a grandi avant de naître? Que vivra, durant la même période, sa propre mère? Et, incidemment, quel impact aura ultérieurement cet échange sur celle ou celui qui en sera issu? Et qu’en sera-t-il lorsque l’utérus n’aura pas été prélevé sur une femme vivante?

Faute d’avoir expérimenté, toutes les réponses sont aujourd’hui possibles.

En attendant d’en savoir plus, et en marge des polémiques sur les «locations d’utérus» et des «gestations pour autrui», la spectaculaire double première de Göteborg nous rapproche un peu plus de l’étape ultime: l’utérus artificiel. Cette perspective est notamment développée dans le passionnant ouvrage publié au Seuil en 2007 d’Henri Atlan, ancien membre du Comité national français d’éthique.

Tout indique que l’institution, prochainement présidée par le Pr Jean-Claude Ameisen, aura rapidement à traiter du caractère, moral ou pas, de cette nouvelle et assez vertigineuse possibilité. 

Jean-Yves Nau

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