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Les Roms, citoyens européens. En théorie.

Ils sont Bulgares ou Roumains, mais Roms avant tout. Accueillis, mais pas bienvenus, à l'image de leurs pays, nouveaux Etats membres de l'UE.

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Les Roms ont pris la route une fois de plus. Mercredi dernier, une délégation de Roms s'est rendue à Bruxelles pour une visite d'information, organisée suite à la manifestation le du décembre 2008 des Roms de France. Neuf heures de bus aller-retour, six heures à Bruxelles et encore quelques années pour avoir le droit de travailler. La visite devait répondre à leurs questions : quels sont leurs droits au sein de l'Union Européenne? Quels sont les recours dont ils disposent?

A priori, ils frappent à la bonne porte. Européens, ils le sont par leur histoire, car ils ne cessent de parcourir les Etats membres, et le sont désormais de droit, depuis l'entrée dans l'Union européenne de la Roumanie et de la Bulgarie en 2007. Les Roms sont devenus depuis la plus importante minorité ethnique de l'Union européenne. Il est difficile d'établir leur nombre précis: ils seraient entre 10 et 12 millions.

"Repassez plus tard" : une visite de Roms à la Commission européenne from AdrienGaboulaud on Vimeo.

Ils ont fait le voyage jusqu'à Bruxelles car si les instances et les initiatives européennes pour les droits des Roms ne manquent pas (bureau européen d'information pour les Roms (ERIO), Groupe d'Action Rom à la Commission européenne, et même Organisation d'un sommet européen sur les Roms en septembre 2008), les résolutions et les rapports se suivent et se ressemblent, sans impact concret sur la vie des gens du voyage. «La situation des Roms est prise au sérieux, et partagée entre 16 services», explique Joachim Ott, de la Direction générale Emploi, Affaires sociales et Egalité des chances de la Commission européenne. Sauf que ces services ne se rencontrent que «deux à trois fois par an». Devant la délégation pleine d'espoir, le haut-fonctionnaire est franc: «La Commission européenne ne peut rien faire pour vous».

Impuissance de la Commission européenne

En principe, l'article 39 du Traité de la Communauté européenne (CE) assure la libre circulation des travailleurs dans l'Union. Ce principe confère «le droit à tout ressortissant d'un Etat membre d'accéder à une activité salariée et de l'exercer sur le territoire d'un autre Etat membre». En pratique, c'est loin d'être aussi simple. Les violences policières et l'accès au travail sont les obstacles principaux à l'intégration des Roms et des travailleurs migrants de l'Est en général. Selon la première enquête de l'Union européenne sur les Minorités et la Discrimination, un Rom sur trois vivant en Europe a été interpellé par la police au cours des 12 derniers mois.

Léonard, 20 ans, vit à Bordeaux depuis 2005. «Les policiers nous font payer des amendes parce qu'on nettoie les pare-brise des voitures aux feux rouges, raconte-t-il. Parfois, c'est 4 euros, parfois 90! Ils ont même fait payer 11 euros à ma sœur, sous prétexte qu'elle est enceinte ! C'est bien connu, le double de 4, c'est 11.»

Le Bulgare Ivan Petrov a 52 ans. Impossible pour lui de trouver du travail depuis son arrivée en France en 2007: «Plusieurs fois, j'ai trouvé des employeurs prêts à m'embaucher, mais les procédures administratives, longues et très compliquées, les ont découragés.» En Bulgarie, avant de prendre sa retraite, il était officier anti-incendie dans un grand hôtel de Sofia.

L'incompréhension se lit sur les visages: citoyens européens sur le papier, pourquoi ne sont-ils pas traités comme tels? «Lorsque les nouveaux Etats membres de 2004, puis la Bulgarie et la Roumanie, ont signé le traité d'entrée dans l'UE, ils ont accepté d'être soumis à des principes transitoires, explique Dragomir Iliev, de la direction générale Emploi et affaires sociales de la Commission européenne. Ces principes, qui peuvent être appliqués pour une durée de deux à sept ans, permettent aux anciens pays membres de ne pas appliquer la libre circulation et de ne pas permettre l'accès au travail des immigrants des nouveaux Etats membres.»

«Vous pouvez toujours  écrire des courriers»

«Au risque de me répéter, la Commission européenne n'a aucun pouvoir», martèle chaque fonctionnaire. Tant que l'Etat concerné n'a pas levé les restrictions des principes transitoires, tout se joue donc au niveau national. Dragomir Iliev se veut rassurant: «En cas de discrimination, vous pouvez toujours saisir la Commission européenne, par courrier ou e-mail». La délégation rit jaune: difficile d'avoir Internet quand on vit dans une caravane. Le rétroprojecteur affiche des adresses de sites où consulter la législation européenne. Mais les procédures sont longues face à la durée maximale de séjour des Roms sans emploi: 3 mois.

Sur 25 pays, seuls dix ont ouvert leurs frontières aux travailleurs des nouveaux Etats membres. Le 28 janvier 2009, la Grèce, l'Espagne, la Hongrie et le Portugal ont rejoint ce club fermé. Raison officielle de cette frilosité: la peur d'un dérèglement du marché du travail national.

Pourtant, les experts de l'UE démentent ces craintes. Un rapport de la Commission européenne de novembre 2008 rend compte des répercussions de la libre circulation des travailleurs dans le contexte de l'élargissement de l'Union européenne. Principale conclusion: elle est positive pour l'économie de l'Europe.

Jérôme Labao, président de l'association Procom, en Aquitaine, insiste sur cette contradiction: «Ce rapport est très important, car il démontre que justement, l'ouverture du marché du travail n'aura pas de conséquences pour les pays qui ont des restrictions, et qu'on peut les lever. Sachant que les organisations patronales et syndicales sont pour, ce sont vraiment les gouvernements qui posent un problème.» Ces choix sont donc nationaux et politiques.

La visite éclair s'est terminée sans solutions concrètes. Certes, le symbole est fort: les Roms ont été reçus par de hauts fonctionnaires européens. Mais avant 2015, date de la levée des dernières restrictions à la libre circulation, les chances d'amélioration de leurs conditions de vie restent minces.

Lorène Barillot et Lucie Hennequin

crédit: Reuters Loris Savin; enfant à la fenêtre d'une caravane, dans un camp rom aux abords de Milan, Janvier 2007

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