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Comment fabriquer de meilleurs profs

Aux Etats-Unis aussi, l'éducation fait l'objet d'un âpre débat. Certains pensent qu'il suffirait de virer les mauvais enseignants pour améliorer le système. A contrario, de nouvelles études montrent qu’ils peuvent apprendre à devenir bons.

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Teacher in Classroom www.audio-luci-store.it via FlickrCC Licence by

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Comment améliorer le système éducatif américain? Le débat est de plus en plus âpre. Les médias en donnent souvent une vision caricaturale, avec d’un côté des réformateurs exigeants, obsédés par les chiffres, pour qui la solution est de se débarrasser des enseignants peu performants, et de l’autre les syndicats, qui refusent toute méthode d’évaluation des profs et se préoccupent plus de conserver leurs emplois que des enfants qu’ils sont supposés éduquer.

Mais en se focalisant sur la question du renvoi, les deux camps passent en quelque sorte à côté du sujet. Comme l’a fait remarquer John King, le commissaire à l’Education de l’Etat de New York, en dehors de quelques pôles urbains comme New York et Los Angeles, peu de secteurs scolaires peuvent se permettre de renvoyer les profs les moins bons, les postulants ne se bousculant pas au portillon pour les remplacer.

Si renvoyer les mauvais n’est pas la solution, que peut-on faire pour résoudre la crise du système éducatif américain? Plusieurs études récentes de psychologues, d’économistes et d’éducateurs montrent que malgré ce que prétendent la plupart des réformateurs, il est peut-être possible de faire de bons profs avec des mauvais. Si ces études pouvaient être étendues sur des établissements scolaires entiers et à travers tout le pays, ce serait peut-être le début d’une révolution qui pourrait aboutir à un meilleur système éducatif pour les Etats-Unis.

L’idée que l’on naît bon prof, qu’on ne le devient pas, repose sur de nombreuses études qui montrent que la «valeur ajoutée» d’un enseignant –l’écart entre les résultats de ses élèves aux évaluations et ce qui était attendu d’eux en fonction de leurs performances les années précédentes– ne dépend pas de ses diplômes. Ni du salaire. (La notion de valeur ajoutée est également critiquée, certains se demandent si cet instrument et les tests d’évaluation des élèves sur lesquels il repose servent à quelque chose.) Des recherches récentes indiquent toutefois que les élèves des enseignants à haute valeur ajoutée gagnent en moyenne plus d’argent une fois dans la vie active.

Les exemples qui marchent

Mais ce n’est pas parce qu’on n’a pas encore trouvé comment mesurer les performances des enseignants que ce n’est pas possible. La fondation Gates et d’autres investissent beaucoup pour trouver le secret pour doper l’efficacité des profs, et tout porte à croire qu’elles pourraient y parvenir. Elles s’appuient sur des exemples de réussite, comme les écoles alternatives (les «écoles charters») de la Harlem Children’s Zone et du Knowledge is Power Program (le programme «savoir c’est pouvoir»), qui parviennent à améliorer sans cesse les résultats de leurs élèves, qui sont admis par tirage au sort. Dans le même temps, les gourous de la pédagogie, comme Norm Atkins, ont mis sur pied des programmes de formation censés pouvoir rendre n’importe quel prof meilleur.

Mais les formations du corps enseignant dispensées dans ces établissements contribuent-elles vraiment à leur succès? Les raisons qui expliquent pourquoi telle école, normale ou charter, parvient à mener ses élèves à la réussite sont nombreuses, et elles ne sont pas toutes liées aux méthodes utilisées pour tenter d’améliorer les performances des professeurs déjà en poste.

Les meilleurs réseaux d’écoles charters sont peut-être simplement bien gérés (le commissaire à l’Education John King a jadis été à la tête des «Uncommon Schools», un autre réseau d’écoles charters à succès). Le fait qu’elles n’hésitent pas à se débarrasser des mauvais enseignants joue probablement aussi. Et puis ce serait certainement trop cher d’étendre cette approche à tout le pays. La Harlem Children’s Zone est certes parvenue à combler l’écart de réussite entre les blancs et les noirs en maths, mais à quel coût?

Comme le résume Roland Fryer, économiste d’Harvard, «ce modèle montre qu’un bon cocktail d’investissements peut marcher», mais que «le défi est de trouver comment atteindre des résultats similaires à moindre coût dans les écoles publiques normales».

Tout porte toutefois à croire qu’il y a d’autres manières d’améliorer les performances des enseignants que de distribuer des lettres de licenciement ou d’aligner des liasses de billets. La preuve la plus convaincante? Voyez les résultats du système d’évaluation des profs testé dans les écoles publiques de Cincinnati en 2000-2001, répond le spécialiste de l’éducation Doug Staiger.

L’approche mise en œuvre à Cincinnati combinait l’évaluation par des enseignants spécialisés –qui observaient les profs en classe, mais aussi analysaient leurs plans de cours et d’autres documents écrits– et des retours fondés sur ces évaluations, pour aider les principaux intéressés à comprendre comment faire mieux.

L’étude dont parle le professeur Staiger, réalisée par Eric Taylor, de l’université Stanford, et John Tyler, de Brown, se limite aux professeurs des grades 4 à 8 (équivalents du CM1 à la 4e) qui exerçaient déjà l’année précédente. Histoire de permettre aux chercheurs d’analyser, pour chacun, les résultats de leurs élèves avant, pendant et après l’évaluation et son feedback. Et comme l’expérience a été mise en place progressivement, les chercheurs ont pu comparer les performances des professeurs déjà évalués à celles de ceux qui ne l’avaient pas encore été. Ce qui a permis de s’assurer que, si les élèves progressaient aux tests, ce n’était pas juste grâce à une amélioration générale du niveau des écoles de Cincinnati mais bien lié à l’expérimentation du système d’évaluation des professeurs (SEP).

Les résultats de l’étude laissent penser que la méthode SEP –coaching plus feedback– est prometteuse. Eric Taylor et John Tyler estiment que participer au SEP a le même effet sur les évaluations en mathématiques des élèves que prendre un prof plus mauvais que les trois quarts de ses collègues et le faire passer dans la moyenne.

Pour quel coût?

L’impact de cette participation se renforce en outre avec le temps. Si les profs s’étaient soudainement mis à mieux enseigner simplement à cause de la présence de l’évaluateur au fond de la classe, l’effet positif sur les résultats des élèves n’aurait duré que l’année de l’évaluation. Or, les performances des participants au SEP se sont encore améliorées les années suivantes.

Combien ça coûte, de former un grand enseignant, ou au moins un prof correct? Pas grand-chose, 7.000 dollars par personne (environ 5.700 euros). Malheureusement, l’approche utilisée à Cincinnati en matière d’évaluation et de formation n’a pas encore rencontré beaucoup de succès: selon une enquête réalisée en 2009 par l’organisation The New Teacher Project, les districts scolaires utilisant rarement l’évaluation pour autre chose que pour les cours de rattrapage ou avant un renvoi.

Les résultats ne relèvent néanmoins que de l’expérimentation. Les chercheurs n’ont suivi dans le programme que 105 profs et n’ont pu continuer à suivre, après l’évaluation, que 61 d’entre eux, les autres ayant arrêté d’enseigner dans les classes où les élèves passent les évaluations communes en mathématiques, c’est-à-dire les grades 4 à 8, ou ont participé au SEP seulement la dernière année de l’étude. Les auteurs ont qui plus est remarqué que le SEP n’avait eu aucun impact sur les scores obtenus par les élèves aux tests de lecture. (On pense généralement que les écarts entre les enseignants sont moindres en ce qui concerne les capacités à faire progresser les élèves en langues.)

Dans quelle mesure la façon d’enseigner des participants a-t-elle changé grâce à l’expérience? Et qu’est-ce qui, dans la manière d’enseigner, compte vraiment pour faire progresser les élèves?

Une autre étude, menée par Eric Taylor, John Tyler et d’autres, s’attache à décomposer la méthode d’évaluation utilisée à Cincinnati pour voir quels aspects sont les plus importants. Qu’est-ce qui compte le plus, par exemple, s’assurer que les élèves sont sages et concentrés sur leur travail ou contribuer à développer leur sens critique? Les résultats sont difficiles à interpréter, parce que dans la plupart des cas, les enseignants qui sont bons sur l’un des critères le sont aussi sur d’autres, il n’est donc pas évident d’isoler les effets de chaque composant de la méthode.

On ne va bien sûr jamais découvrir de recette pédagogique miracle pour faire un bon enseignant, mais il est peut-être possible de trouver des méthodes individuelles qui permettront d’améliorer considérablement le niveau des élèves pour un coût raisonnable, grâce aux apports de la psychologie sociale.

La méthode de la critique raisonnable

Un autre exemple intéressant m’a été rapporté par Valerie Purdie-Vaughns, l’une de mes collègues psychologue de l’université Columbia. L’équipe de chercheurs dont elle fait partie a mené une série d’expériences dans les écoles de New York et ailleurs dans le Nord-Est des Etats-Unis, pour déterminer si la façon dont les professeurs expliquent à leurs élèves les notes qu’ils leur donnent joue sur leurs progrès, surtout chez les élèves issus des minorités, qui se sentent souvent menacés par l’échec scolaire.

C’est un peu le serpent qui se mord la queue: d’un côté les critiques constantes peuvent démotiver, de l’autre encenser un travail de piètre qualité n’a pas de sens, cela peut même pousser les élèves à croire qu’ils sont incapables de faire bien et donc les enfermer dans leur médiocrité.

Valerie Purdie-Vaughns et ses collègues sont partis de l’hypothèse que pour être le plus efficace possible, la critique doit montrer à l’élève que le niveau d’attente est élevé, mais en même temps lui faire comprendre qu’il est capable de faire de grandes choses. Par une série d’expérimentations en double-aveugle, les chercheurs ont testé leurs théories dans des collèges et des lycées, pour vérifier l’effet de cette «critique raisonnable» sur les efforts et les résultats des élèves.

Dans l’un des tests, ils ont par exemple simplement ajouté la phrase suivante aux commentaires du prof sur la copie:

«Je te fais ces observations parce que j’attends beaucoup de toi et je sais que tu peux y arriver.»

Parmi les élèves noirs qui ont reçu ce commentaire, 64% ont été incités à revoir leur copie. Contre seulement 27% chez les élèves ayant eu sur leur feuille un simple:

«Je te fais ces observations pour que tu comprennes ta note.»

Et les élèves qui ont bénéficié de la «critique raisonnable» ont aussi fini avec de meilleures notes. En s’appuyant sur les résultats d’une autre expérimentation, les chercheurs suggèrent que le simple fait d’expliquer aux élèves issus des minorités que les remarques des professeurs ne doivent pas être perçues comme des critiques mais comme un encouragement à faire mieux peut permettre de réduire les écarts de réussite entre les noirs et les blancs.

Une deuxième étude publiée fin juillet par le Bureau national de la recherche économique utilise les instruments de la psychologie sociale pour motiver les professeurs plutôt que les élèves. Les chercheurs (parmi eux Roland Fryer de l’étude sur la Harlem Children’s Zone) ont expérimenté les primes sur des enseignants d’une série d’écoles.

Renverser la logique de la prime

Dans le passé, les efforts menés pour mieux payer les professeurs dans le but d’améliorer le niveau des élèves n’ont pas vraiment porté leurs fruits. Roland Fryer et ses collègues ont quelque peu modifié l’approche «salaire contre performance» en accordant aux participants une prime de 4.000 dollars (environ 3.200 euros) dès le départ et en les informant qu’il leur faudrait rendre tout ou partie de l’argent si leurs élèves ne parvenaient pas à remplir les objectifs de résultats fixés.

Cette méthode profite du fait que la plupart des gens travaillent davantage quand il s’agit d’éviter de perdre de l’argent plutôt que d’en gagner plus –c’est l’«aversion de la perte». Une idée développée en premier par les psychologues de renom Daniel Kahneman et Amos Tversky. Ces tests laissent penser que l’aversion de la perte est extrêmement motivante, suffisamment pour transformer un mauvais prof en enseignant moyen, ou pour obtenir d’excellents résultats d’un élément jusqu’ici simplement correct.

Ces deux études –celle de la critique raisonnable et celle de la prime perdable– sont prometteuses mais préliminaires. Beaucoup de choses peuvent se passer si on tente de généraliser à la nation entière de si petits tests. Mais c’est exactement le genre d’expériences, fondées sur des idées pertinentes, qui peuvent aider l’Amérique à offrir de meilleurs professeurs à ses élèves. Et peut-être rapprocher un peu les deux camps qui s’affrontent dans ce débat sur l’éducation.

Ray Fisman

Traduit par Aurélie Blondel

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