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J'ai passé sept jours sur le Costa Voyager

Vous n'avez jamais fait de croisière? Embarquez avec nous...

Le Costa Voyager / Loïc H. Réchi
Le Costa Voyager / Loïc H. Réchi

Temps de lecture: 7 minutes

La première fois qu'on a évoqué à Slate la possibilité de consacrer une série sur les croisières, c'était en février dernier. Sans surprise, nous étions quelques jours après que le Costa Concordia s'était lamentablement déchiré le long de la côte de l’île italienne du Giglio.

Une incompatibilité d'emploi de temps avait empêché la chose de se faire. Par un hasard pas si incongru que ça, on me suggérait quelques temps plus tard —et donc pour la seconde fois de l'année— d'embarquer. A la différence notable que la proposition émanait cette fois non pas d'un employeur mais de mes parents, fervents amateurs comptant déjà un paquet de nœuds milles parcourus sur des engins similaires.

A vrai dire, pour avoir déjà bouclé deux voyages de ce genre en leur compagnie il y a bien des années, je savais en partie à quoi m'attendre. Tout ce qui va suivre n'est donc finalement qu'une répétition d’expériences et de sensations.

Pour être complet enfin, et pour parer à toutes les mauvaises langues qui seraient tentées de penser à un plagiat éhonté de l'impressionnant article que David Foster Wallace avait signé en 1996 pour le magazine américain Harpers [1], j'ai soigneusement évité de demander en cuisine qu'on me file de la viande sanguinolente pour pouvoir la jeter à la mer dans l'espoir de voir surgir d'hypothétiques requins. 

De la même façon, j'ai également renoncé à l'idée de traquer mon garçon de cabine –un Philippin dénommé Totok–, Foster Wallace ayant développé au cours de sa croisière dans les Caraïbes, un jeu curieux virant au fur et à mesure de son récit à la monomanie compulsive, consistant à chronométrer le temps que mettait Petra –la fille en charge de sa cabine– à s’introduire dans ses quartiers pour y mettre de l’ordre dès lors qu'il foutait un pied dehors.

Cette petite mise au point contextuelle achevée, nous pouvons donc entrer dans le vif de notre affaire.

***

J'ai donc embarqué à bord du Costa Voyager, en compagnie de mon père, ma mère et ma sœur –de charmants personnages dont il sera assez peu question– le mardi 21 août 2012 au port de Villefranche-sur-Mer, à quelques encablures de Nice.

Programmée pour durer sept jours en Méditerranée, la croisière fit successivement escale –à raison d'un arrêt par jour– dans les ports de Livourne, Capri, La Valette, Cagliari, Port Mahon, Barcelone et Marseille enfin, où les voyageurs furent débarqués. 

La Toscane, les terres de Curzio Malaparte, Malte, la Sicile Sardaigne, Minorque et la Catalogne, voilà qui constitue un itinéraire particulièrement alléchant sur le papier et des perspectives d'exploration du sud de l'Europe assez inenvisageables autrement, du moins sur une période aussi ramassée. Parce que si les sept jours à bord du Costa Voyager permirent effectivement de fouler le sol de tous ces endroits «qui ne manquent pas de charme» comme disent les tour opérateurs, on n'est pas là pour jouer les Livingston à la conquête du bassin méditerranéen: les escales dépassent rarement cinq heures. 

Il y a une logique: plus vous passez de temps à bord et plus l'argent que vous avez prévu de dépenser en plus de votre ticket d'entrée est susceptible de tomber dans l'escarcelle du croisiériste italien. On reviendra sur tout ça en détail plus tard, mais permettez-moi plutôt d'abord de vous présentez le personnage central de notre histoire: le Costa Voyager.

Le petit de la bande

Dans la course au gigantisme des bateaux qui caractérise le marché des croisières, malgré ses 180 mètres de long et ses 25,50 mètres de large, sa capacité de 927 passagers et ses 300 membres d'équipage, le Costa Voyager est ce qu'on peut appeler un petit bateau de croisière. Sorti des chantiers hambourgeois de Blohm&Voss en 2000, il est le plus petit de la compagnie Costa. 

A titre de comparaison, le Costa Concordia aujourd'hui couché sur son flanc lui oppose 290 mètres de long. Et là encore, le Concordia, l'ex-fleuron de la flotte de Costa, rendait tout de même plus de soixante-dix mètres à Allure of the Seas de la compagnie américaine Royal Carribean Cruise Line, le plus gros paquebot du monde avec ses 360 mètres de long, ses 6.296 passagers et plus de 2.000 membres d'équipage. 

L'intérêt de construire des bateaux aussi gros, c'est évidemment le profit. Avec à peine plus de marins nécessaires à la bonne marche d'un bateau de plus petite taille, des petites mains malléables et payées au lance-pierre, un coût de construction et des dépenses en carburant à peine supérieurs, les voyagistes se gavent en augmentant leur capacité de passagers de 50% à 100%.

Dans le petit monde des croisières, le Costa Voyager est donc un ridicule rafiot de seulement sept étages, enfin, sept ponts selon la terminologie consacrée. Pour ce qui est des lieux notables à bord, le Costa Voyager compte deux grandes salles de restauration intérieures, un théâtre, un piano bar, un autre bar d'intérieur, deux bars extérieurs, un bar à pizza, un comptoir à hamburgers, une discothèque, un casino, un spa, une salle de sport, une bibliothèque, trois boutiques, un comptoir d'information, une chapelle, un hammam, deux bains à remous extérieurs à l'arrière du bateau sur le pont 4 Venus et enfin une piscine à l'air libre, bien ridicule, sur le pont le plus en hauteur du bateau.

On trouve très rapidement ses marques, et on peut même finir par se sentir légèrement à l'étroit au bout de sept jours, cette taille modeste étant même utilisée comme un solide argument commercial de la part de l'armateur italien: un «bateau à la fois petit et grand, à échelle humaine qui apporte une nouvelle dimension à la croisière grâce à une approche intimiste et accueillante, presque familière».

Chaque croisière commence invariablement de la même façon. Le voyageur est invité à se présenter dans son port d'embarquement afin de se plier à une procédure d'enregistrement à l'issue de laquelle on lui remet sa carte Costa, un bout de plastique magnétisé d’importance capitale qui servira de carte d'identité à chaque débarquement et embarquement dans un port d'escale, de clé de cabine, de mémo pour savoir à quelle Muster Station (point de rassemblement) on doit se rendre en cas de naufrage impromptu –la Muster Station B dans mon cas– et enfin, ou plutôt surtout, de carte bleue.

Avez-vous la carte?

Sur un navire Costa, les espèces ou les cartes de crédits ne servent strictement à rien. Essayez un peu de vous la jouer «Pour tout le reste, il y a Mastercard» et vous verrez comme on vous rira à la gueule.

Afin de faciliter toutes les «démarches» –comprendre les dépenses– les voyageurs sont invités dans la journée suivant leur arrivée à bord à effectuer un dépôt de 150 euros minimum sur la carte, mais dans les faits, on vous explique que le mieux consiste bien entendu à directement coupler votre carte de crédit avec votre carte de bord, de manière à «ne plus être embêté par la suite», Costa vous obligeant littéralement à remettre du crédit sur votre carte dès lors que vous avez bouffé vos 150 euros dans le cas où, mauvais esprit ou salaud de pauvre, vous auriez opté pour cette solution, convenons-le peu pratique.

Une fois votre carte d'identité-chambre-crédit-prunelledevosyeux jumelée avec votre compte en banque, vous pouvez alors vous rincer la gueule en continu avec les dizaines de cocktails que les différents bars proposent à toute heure du jour et de la nuit, vous offrir un soin thermal rafraîchissant pour le visage à 188 euros au spa Jade du pont 7 Helios, acheter une paire de lunettes ou une bague à la boutique du pont 6 Apollon, commander une bouteille de Chardonnay chilien à 35 euros au cours du dîner quotidien servi au restaurant Selene du pont 5 du même nom, ou encore profiter d'une heure d'Internet pour la modique somme de 10 euros. 

Mais je vais un peu vite en besogne. A ce stade du voyage, vous n'en êtes encore qu’au moment où vous venez de pénétrer sur le bateau.

Les désagréments étant proscrits à bord, votre valise vous attend généralement déjà devant votre cabine, la 3090 donc dans mon cas. Comme dans n'importe quel hôtel, c’est traditionnellement le moment de se jeter sur le lit pour en tester la dureté, d’entrouvrir la porte tout de suite à droite de l’entrée pour juger la taille de la salle de bain, d’ouvrir tous les placards, de passer en revue la bouffe et les mignonnettes du minibar et d’allumer la télévision Samsung écran plat 50 centimètres pour s’assurer de son bon fonctionnement. Elle diffusait alors une bande recensant les procédures de sécurité à bord.

C'est en général le moment choisi par le garçon de cabine pour passer une petite tête et faire coucou, demander accessoirement si tout va bien, autrement dit, commencer cette opération consistant à être avenant en permanence avec tous les clients de son couloir et faire preuve de petites attentions dans leurs cabines. 

Qu'elle soit intérieure comme dans mon cas –donc sans hublot– ou extérieure, la cabine est théoriquement un endroit où l'on est censé passer assez peu de temps au cours d'une croisière pour la bonne et simple raison que les possibilités de consommation y sont réduites –il n'y a que le minibar et la livraison du petit déjeuner facturée 5 euros. Or rappelons-le, Costa est là avant tout pour vous faire cracher votre pognon.

A noter par ailleurs que la qualité des cabines à bord du Voyager est assez extraordinaire –eu égard à ma relative expérience en la matière– avec un mobilier standardisé correct qui sent bon le neuf, de vastes et nombreux rangements, une lithographie numérotée et massive du peintre et graveur belge Pierre Alechinsky au mur, la possibilité de transformer la chambre en igloo grâce à une climatisation que Totok prenait manifestement un malin plaisir à pousser dans ses derniers retranchements, et surtout –surtout– des rouleaux de papier WC toujours neufs, avec la première feuille toujours pliée en forme de flèche, dépassant de manière faussement négligée du petit emplacement prévu à cet effet, une première feuille semblant vous dire à chaque fois: «Allez-y monsieur, je vous en prie.».

Bref, s'il y a bien des choses qu'on serait tenté de reprocher à Costa, la tenue impeccable des cabines ne peut empêcher le voyageur de sombrer dans l'angoisse terrible du «Mais comment vais-je faire quand je vais rentrer chez moi».

(à suivre)

Loïc H Rechi (texte et photos)

[1] En version française, David Foster Wallace, «Un truc soi-disant super auquel on ne me reprendra pas», article fleuve publié en France aux Éditions Au Diable Vauvert, dans un recueil d’essais et chroniques du même nom. Retourner à l'article

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