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Un Salon de l’auto? A Paris? Mais pour quoi faire?

Le salon des arts ménagers est mort lorsque les machines à laver ont cessé de faire rêver et qu’on a pu les contempler toute l’année chez Darty. Le Mondial de l’automobile prendra-t-il le même chemin?

Le stand Peugeot, au Mondial de l'automobile - Photo AMC
Le stand Peugeot, au Mondial de l'automobile - Photo AMC

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Le Salon de l’auto à Paris, c’est une institution. Parfaitement: un vrai phénomène d’envergure nationale que les présidents de la République inaugurent et que leurs ministres arpentent avec le même enthousiasme hypocrite qu’au Salon de l’agriculture...

C’est sûr, en vieillissant (111 ans cette année), il a perdu un peu de son prestige et a dû abandonner le Grand Palais pour les hangars sans charme du Parc des expositions de la Porte de Versailles, mais c’était pour des raisons d’encombrement: on ne fait pas rentrer les stands de quelque 270 marques et équipementiers automobiles dans un monument historique à verrière art-déco. Même au chausse-pied.

Ah, il est aussi devenu biennal, en alternance avec son cousin de Francfort, parce que les constructeurs en avaient marre de casser leur tirelire sans compter pour exposer dans les deux villes en même temps.

Pour autant, il reste l’exposition de bagnoles la plus fréquentée au monde, selon son organisateur Thierry Hesse (AMC Promotion) avec 1,5 million de badauds les grandes années. Mais on sait bien que ça ne durera plus très longtemps, avec ces raouts de Pékin ou de Shanghai qui n’arrêtent pas de grossir:

«Pour le moment encore, on reste en tête. C’est une question de qualité de l’organisation et d’histoire. Personne ne peut se vanter d’accueillir autant de monde, de journalistes internationaux (13.000) et de premières présentations de nouveaux modèles (plus de 80). On imagine que ça finira par changer mais pas tout de suite...»

Effectivement, quand on est un industriel soucieux de ne pas jeter l’argent de ses actionnaires par les fenêtres, dépenser des centaines de milliers d’euros pour s’installer quinze jours dans un décor en carton avec des hôtesses, on préfère le faire dans des pays où l’on vend des voitures pour de bon, à des gens qu’un claquement de portière ou un moteur qui vrombit fait toujours rêver, comme les Chinois ou les Indiens.

«Mais les Français en rêvent encore, des voitures! s’agace Thierry Hesse. D’ailleurs, la fréquentation est généralement plus élevée les années de crise. Les gens veulent voir des belles choses, de l’innovation…»

― Bof, ils peuvent aller dans les concessions pour les voir, non?

― Dans les concessions, ils ne voient pas toutes les marques à la fois!

― Non, mais dans les zones commerciales des grandes villes, ils voient toutes les concessions de toutes les marques. C’est pareil. Après tout, plus personne ne va au salon des Arts ménagers pour admirer des frigos. On va chez Darty…

Le Web devait déjà nous tuer, on est toujours là!

Argh, Thierry Hesse est horrifié:

«D’abord, on ne peut pas comparer une auto avec un frigo. Mais ensuite, le salon des Arts ménagers n’a peut-être pas su rester magique et séduisant. C’est sans doute ça qui l’a amené à décliner. Il n’y avait pas de fatalité.»

Si le patron du Mondial est si confiant dans la capacité d’attraction de son vieux bébé, c’est qu’on lui avait déjà dit qu’il serait tué par le Web, lorsque les gens arrêteraient de venir voir des autos accessibles d’un clic: 

– C’était complètement idiot. Une voiture, on veut la toucher, la sentir, s’asseoir dedans, l’essayer. Internet ne peut pas faire ça.

– On? Mais c’est qui «on», en 2012? Qui sont ces 1,5 million de «on»?

– Tout le monde, voyons! Des familles entières qui passent un samedi ou un dimanche même s’ils ne veulent rien acheter. Des jeunes, des vieux, de plus en plus de femmes... C’est une sortie festive…

– Des politiques…

– Oui, des tas. Je crois qu’il y aura même Montebourg cette année.

– Et des syndicalistes qui viennent faire du scandale comme les ouvrier de chez Ford il y a deux ans? Des écolos de Greenpeace, qui détestent les autos et le proclament sur une banderole de 20 mètres de haut comme il y a quatre ans?

– Oui. Ça peut arriver. Tout le monde vient au Mondial d'une manière ou d'une autre. Mais pour ce genre de visiteurs, on a déjà pris contact avec la préfecture pour voir comment on gère ça si ça se reproduit.


Greenpeace au Mondial de l'automobile, en 2010

Ok, ok. On a compris, ça n’est pas encore la fin des haricots et on s’en félicite pour les constructeurs, pour les ouvriers qui fabriquent des voitures, voire pour les marchands de sandwichs rassis à 10 euros et de Coca tiède à 5 euros que l’on peut savourer en admirant les hôtesses sexy du stand Ferrari. Et puis, à l’allure à laquelle Peugeot, Citroën et Renault perdent des parts de leur marché domestique, le Mondial de l’auto, ça sera bientôt le dernier endroit en France où l’on peut voir des voitures françaises. C’est pas les Chinois qui vont nous enlever ça.

Hugues Serraf

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