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Le serpent de mer de la pilule pour hommes

Des chercheurs américains sont parvenus à freiner les mouvements de la queue des spermatozoïdes. Chez la souris seulement. Les femmes devront –encore— attendre.

A Kiev, en juin 2012. Anatolii Stepanov / Reuters
A Kiev, en juin 2012. Anatolii Stepanov / Reuters

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Parité ou pas, les différences du genre sont bien là quand il s’agit de maîtriser notre fonction de reproduction. Il y a un petit peu plus d’un demi-siècle que l’on a compris comment faire, chimiquement, pour ce qui est de la fonction féminine. Pour la masculine, on tâtonne toujours. Et l’impuissance en la matière risque fort de perdurer.

Ce qui n’empêche pas les chercheurs spécialisés de faire, à échéance régulière, des annonces aux accents triomphalistes. Parce qu’il est prouvé qu’une bonne médiatisation permet parfois d’obtenir de nouveaux crédits; surtout quand le soleil noir de la récession économique fait fondre les crédits de la recherche qui ne trouve pas.

Question contraception masculine, la dernière nouvelle de taille date de l’Assomption. Elle provient du Dana-Farber Cancer Institute de Boston et elle est publiée dans la revue Cell par une équipe dirigée par Martin M. Matzuk et James E. Bradner. Peu auparavant, on avait vanté les mérites expérimentaux d’un gel hormonal contraceptif. 

Les  douze chercheurs signant la publication de Cell expliquent quant à eux en substance avoir découvert par le plus grand des hasards un composé qui pourrait peut-être permettre d’envisager d'élaborer une pilule contraceptive masculine. Hasard parce que les auteurs travaillaient à mettre au point de nouveaux médicaments cancéreux.

Ce composé possède des caractéristiques structurales et fonctionnelles qui font qu’il réduit la production des spermatozoïdes et leur aptitude à se déplacer après leur émission. Les souris mâles ainsi traitées deviennent stériles et cet état est réversible à l’arrêt du traitement. De plus, et autant que l’homme puisse en juger la libido animale ne semble pas altérée. Le rat semble tout aussi réceptif que son congénère rongeur.

La cible moléculaire contraceptive est la «bromodomain, testis-specific» (BRDT). Il s’agit d’une protéine qui n’est exprimée que dans les testicules et qui est connue pour jouer un rôle-clef  au cours de la genèse perpétuelle des spermatozoïdes 1. Une petite molécule inhibant spécifiquement la BRDT a été construite. Baptisée JQ1 (pour Jun Qi en hommage au chercheur qui a fait le travail), elle a été injectée pendant six semaines à des souris par voie intra-péritonéale.

C’est alors que l’on a observé une réduction importante du nombre de spermatozoïdes et de leur mobilité avec, indispensable mais troublant corollaire, une diminution du volume des testicules. Ce blocage de la spermatogenèse a permis une contraception efficace à des doses variables selon les souris. 

Franchir la barrière ses espèces et passer à l’homme? Martin M. Matzuk et ses collègues y songent, persuadés qu’ils sont que JQ1 pourrait être le Graal tant attendu notamment par les services de planification familiale de nombreux pays. «C'est un travail superbe, s'enthousiasme de ce côté-ci de l’Atlantique le Pr Jacques Young (service d'endocrinologie et des maladies de la reproduction de l'hôpital de Bicêtre, Inserm. C'est la première fois que je vois une cible aussi clairement établie de la spermatogenèse.» Ce spécialiste a expliqué au Monde qu’il  plaidait dorénavant pour des tests chez quelques primates, animaux plus proches de l'homme que les rongeurs.

Bien évidemment les essais cliniques et les molécules ne sont pas tout. Il faut également  faire avec la psyché.  Interrogé par Libération, Bernard Jégou directeur de l’Institut de recherche sur la santé, l’environnement et le travail (Irset) a ce propos:

«Outre l’acceptation par les hommes, c’est l’acceptation par les femmes, le véritable enjeu: seront-elles prêtes à abandonner ce qui est une grande conquête de leur émancipation dans les années 70? Parlons crûment: demain, si une femme prend la pilule, elle est maîtresse de son corps. Mais si, demain, son mec oublie de la prendre, ce n’est pas lui qui en subira les conséquences. Cela réclame une sacrée confiance ! »

Certes. Mais— et pour parler de manière symétriquement crue— comment oublier que les hommes peuvent «subir les conséquences» d’un oubli de contraceptif féminin? Et ce, qui plus est, dès aujourd’hui.   

Les termes de l’équation résumée par Bernard Jégou valent aussi pour les deux techniques aujourd’hui disponibles (et réversibles) dont on connaît les mérites comme les limites: le port du préservatif masculin et la pratique de la vasectomie; vasectomie qui peut être associée à un dépôt de sperme conservé par congélation.

Paradoxalement, ce sont ces deux procédés qui constituent les deux principaux obstacles au développement de la «pilule pour homme»: ils imposent en effet d’emblée la mise au point  d’une technique d’une innocuité absolue (sur le long terme) et d’une efficacité sans faille (et de tous les instants compte tenu des caractéristiques la spermatogenèse).

Il en allait différemment avec la mise au point il y a un demi-siècle —par Gregory Pincus (1903-1967)— de la pilule contraceptive hormonale féminine. Cette dernière cherchait à concilier des périodes successives de fécondité et de stérilité. Il semble qu’il faudra peut-être également compter avec cet autre obstacle, anatomique et psychologique, que pourrait être pour les partenaires la réduction, même temporaire, des volumes testiculaires.

Jean-Yves Nau

1 Pour spécialistes : la BRDT participe au remodelage chromatinien des spermatides dans leur phase  post-méiotique. Des mutations du gène codant pour la BRDT ont été associées à des cas humains de stérilité par azoospermie.

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