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Julian Assange peut-il être arrêté par la police britannique dans une ambassade?

Une loi autorise théoriquement Londres à retirer son statut diplomatique à celle de l'Equateur, où il est réfugié, mais son application poserait de nombreux problèmes.

La police londonienne devant l'ambassade équatorienne, le 16 août 2012. REUTERS/Neil Hall.
La police londonienne devant l'ambassade équatorienne, le 16 août 2012. REUTERS/Neil Hall.

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Recherché par la justice suédoise pour des soupçons de viol, le fondateur de Wikileaks Julian Assange est réfugié à l’ambassade d’Equateur à Londres depuis le 15 juin dernier. Alors que le ministre des Affaires étrangères équatorien vient d’annoncer que le pays lui accordait l’asile politique, le Foreign Office britannique a fait savoir à Quito ce 16 août qu’il arrêterait le fondateur de Wikileaks quoi qu’il en soit.

Or, Julian Assange redoute d'être alors extradé en Suède puis transféré aux Etats-Unis (avec qui l'Equateur a un accord d'extradition [PDF], mais qui ne couvre pas les crimes politiques), où il pourrait répondre d'accusation d'espionnage pour avoir divulgué 250.000 télégrammes diplomatiques américains.

L’ambassade d’Equateur est-elle encore en territoire équatorien? Le Royaume-Uni pourrait-il y arrêter Julian Assange sans contrevenir au droit international? En théorie oui, mais en pratique les conditions à réunir sont presque irréalisables: «J’ai peur que nous devions être patients» a expliqué le parlementaire Lord Carlile à la BBC en expliquant que la police britannique ne pouvait pas «faire irruption dans l’ambassade».

Une loi menaçante mais difficilement applicable

Selon la Convention de Vienne de 1961, dont le Royaume-Uni est signataire, les Britanniques ne peuvent pas aller chercher en personne Julian Assange dans l’ambassade d’Equateur, qui est sous la juridiction du pays. Mais, précise le Guardian, le Foreign Office aurait prévenu l’Equateur qu’une loi de 1987 sur les statuts des locaux consulaires et diplomatiques lui ouvrait la possibilité de lever le statut diplomatique d’une ambassade sur son sol.

Mais le quotidien explique que cette loi risque d’être difficile à appliquer dans les faits. Son quatrième paragraphe précise en effet que «le secrétaire d’Etat devrait seulement donner ou retirer son consentement ou retirer son approbation s’il est convaincu que cela est acceptable sous la loi internationale», ce qui pourrait entrer en contradiction avec l'article 21 de la Convention de Vienne, qui dispose que le Royaume-Uni doit aider matériellement l’Equateur à obtenir des locaux pour son ambassade. 

De plus, des juristes équatoriens pourraient mettre en avant le fait qu’accueillir Julian Assange ne porte pas atteinte à la sécurité du Royaume-Uni (une des raisons pour lesquelles l’immunité des locaux de l’ambassade pourrait être levée), sachant qu’il est suspecté par la justice suédoise de viol et agression sexuelle et recherché comme témoin, et pas poursuivi, par exemple, pour des faits de terrorisme. La levée de l'immunité de l'ambassade équatorienne uniquement pour arrêter Julian Assange ne rentrerait donc pas dans le cadre de la loi telle qu’elle a été votée en 1987: à l'époque, le gouvernement britannique réagissait à la mort trois ans plus tôt d'un officier de police abattu depuis l'ambassade libyenne lors d'une manifestation.

Le Telegraph explique par ailleurs que lever le statut diplomatique de l’ambassade équatorienne constituerait un fait sans précédent qui placerait tous les ambassadeurs britanniques dans l’embarras, en particulier si d’autres nations décidaient par représailles de retirer le statut diplomatique des ambassades britanniques à l’étranger. Encore plus radicale, l'expulsion de l'ambassadeur et la rupture des relations diplomatiques avec l’Equateur (comme les Etats-Unis et l’Iran en 1980 ou le Rwanda et la France en 2006) serait sans doute interprétée comme une réaction disproportionnée.

Et s’il sort de l’ambassade?

S’il est peu probable que les Britanniques s’introduisent dans l’ambassade pour aller chercher Julian Assange, celui-ci perdra toutefois son statut de réfugié politique dès qu’il posera un orteil à l’extérieur. S’il veut se rendre à Quito, il pourra monter dans un véhicule de l’ambassade, qui bénéficie aussi de l’immunité, mais devra bien à un moment donné ne serait-ce que marcher sur le tarmac avant de monter dans l’avion.

Les policiers britanniques vont-ils le guetter jour et nuit? Le poursuivre sirènes hurlantes et se précipiter sur lui pour profiter de l’intervalle de quelques minutes (ou secondes) où il sera hors du véhicule? Pour parer à cette éventualité, d’aucuns imaginent qu’Assange pourrait être transporté tout du long dans une sorte de valise diplomatique, ou plutôt un container. Ceux-ci bénéficient aussi de l’immunité diplomatique de l’ambassade.

L’Equateur ne pourrait en revanche pas nommer Julian Assange diplomate pour qu’il bénéficie de l’immunité. En effet, le service des poursuites judiciaires de la Couronne britannique indique que «l’immunité diplomatique au Royaume-Uni est accordée à tous les membres d’une mission étrangère […] qui en ont avisé et ont été acceptés par le bureau des affaires étrangères du Commonwealth comme accomplissant une mission diplomatique».

Il est donc peu probable que le bureau des affaires étrangères du Commonwealth reconnaisse Assange comme un diplomate équatorien...

Et s'il restait définitivement?

Généralement, quand la personne concernée ne part pas à l'étranger, ce genre de «fuite» dans une ambassade ne dure jamais très longtemps, comme le montrent les exemples retenus par CNN. En 1989, quand les Etats-Unis ont envahi Panama pour arrêter le dictateur Manuel Noriega, ce dernier s'est ainsi réfugié à l’ambassade du Vatican mais, pour le faire sortir, les troupes américaines ont installé d’immenses enceintes avec de la musique tonitruante non-stop, le contraignant à se rendre au bout de dix jours.

Cette année, Wang Lijun, l’un des plus hauts fonctionnaires de la police chinoise, a lui trouvé refuge au consulat des Etats-Unis en Chine après la mort d’un homme d’affaire anglais, ami de Bo Xilai, un haut responsable du parti communiste. Lorsqu'il a quitté l’ambassade, il a été immédiatement emmené par la police chinoise, et on ne l’a plus revu depuis.

Il existe cependant au moins un cas où une ambassade a servi de refuge de longue durée: en 1956, le cardinal József Mindszenty, farouche opposant au régime communiste en Hongrie, s'est réfugié à l'ambassade des Etats-Unis à Budapest et y est resté… quinze ans.

Pauline Moullot et Ludivine Olives

L’explication remercie Eric Bosc, adjoint au porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

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