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L'implantation de souvenirs à la Total Recall: possible ou pas possible?

Dans Total Recall, Douglas Quay s'aperçoit qu'on lui a implanté des souvenirs artificiellement. Un champ qui intéresse déjà les chercheurs, notamment pour trouver un traitement aux pertes de mémoire. Mais pourrait-on vraiment se fabriquer une nouvelle mémoire?

Enregistrement de la mémoire d'une souris. REUTERS/Aly Song
Enregistrement de la mémoire d'une souris. REUTERS/Aly Song

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Vous vous souvenez du jour où votre plus beau rêve a été réalisé? Le jour où vous avez remporté la Coupe Stanley, décroché le Prix Nobel, gagné à la loterie, ou quand vous avez marché sur une plage déserte (et peut-être même sur Mars) en compagnie d'une personne qui vous faisait languir depuis des années? Vous pouvez mourir heureux – ce souvenir sera éternel.

A moins qu'il soit effacé, remplacé, ou qu'il n'ait jamais existé.

Le nouveau Total Recall propose de telles éventualités à ses spectateurs. Quand Douglas Quaid (joué par Colin Farrell) se fait implanter des puces mémorielles en vue d'améliorer son cauchemardesque ordinaire, il apprend que ses souvenirs ont déjà été modifiés et que son passé (et de fait, son présent) n'est qu'un artifice élaboré. Quaid passe ensuite d'un souvenir à l'autre, incapable de distinguer les réels – s'ils existent – des illusoires.

Si le remake est moins bon que l'original, ses postulats de base sur la malléabilité et la fiabilité de la mémoire sont plus pertinents aujourd'hui qu'en 1990. Les choses ont beaucoup changé en 22 ans, et nous avons beau mettre profils, portfolios, films et photos en ligne, nous avons en général du mal à concevoir l'humanité comme un ensemble de données. Total Recall explore cette idée de plus en plus crédible que nos expériences puissent un jour être transférées, supprimées ou modifiées comme les fichiers de nos clés USB.

Entre les dates de sortie de ces deux films, les scientifiques ont appris certaines choses sur la modification de la mémoire, notamment grâce à deux techniques: l'implantation de puces et la prise de médicaments. Mais ils ne s'en servent pas pour créer des souvenirs artificiels et permettre à des gens de mieux accepter leur vie, leur travail se concentre plutôt, entre autres choses, sur la dégénérescence mémorielle et les moyens d'y remédier.

Effacer puis créer artificiellement la mémoire des rats 

Des scientifiques de l'Université de Californie du Sud ont réussi à implanter chez des rats des souvenirs artificiels fonctionnant de la même manière que les organiques. Au départ, les chercheurs ont dressé les animaux pour qu'ils développent de véritables souvenirs liés à une tâche précise – ici, avoir de l'eau. Les rats ont rapidement compris qu'en appuyant sur un levier à gauche, puis un autre à droite, ils étaient récompensés par un petit verre.

L'équipe a ensuite bloqué chimiquement une aire spécifique de l'hippocampe (le centre de commande de la mémoire) pour créer comme une sorte de hoquet mémoriel. Après avoir été distraits pendant 5 à 10 secondes, les rats n'arrivaient plus à se rappeler le levier sur lequel ils venaient juste d'appuyer, ni celui qu'ils devaient actionner ensuite pour avoir à boire. La suppression d'une partie de l'hippocampe avait fondamentalement perturbé les connexions nerveuses entre mémoire à court et à long-terme. 

Pour voir s'ils pouvaient pallier les effets de cette perturbation mémorielle, les scientifiques ont ensuite implanté dans les rats des puces qui contenaient les fréquences cérébrales du souvenir correspondant à l'obtention de l'eau. Avec la puce, les rats pouvaient terminer leur tâche, avoir à boire, mais aussi assimiler de nouveaux souvenirs. Et les animaux dont la mémoire n'avait pas été inhibée par le médicament voyaient leurs souvenirs durer plus longtemps.

Ces expériences montrent qu'il est non seulement possible de répliquer l'encodage cérébral des souvenirs – comment le cerveau convertit une information externe en une construction neurologique qu'il peut ensuite stocker et mobiliser – mais aussi stocker cette information et la rendre accessible même si le cerveau est incapable de reproduire naturellement une telle opération. C'est un peu comme démarrer un ordinateur à partir du disque d'initialisation quand le disque dur est endommagé.  

Remplacer ou améliorer des souvenirs

Nos souvenirs portent la marque de notre vécu, de notre personnalité, de nos croyances, etc. Mais si notre cerveau possède réellement un plan général de fonctionnement, il est interchangeable. Individuellement, toutes les mémoires ne fonctionnent pas tout à fait de la même manière, mais comprendre la façon dont le cerveau encode des fréquences cérébrales signifie que, du moins théoriquement, nous sommes capables d'effacer, de remplacer ou d'améliorer des souvenirs.

Les scientifiques peuvent aussi activer artificiellement les neurones nécessaires à l'encodage des souvenirs. Une étude publiée dans le magazine Science au début de l'année laisse entendre qu'il est possible d’activer artificiellement certains souvenirs, soit l'étape précédant le déclenchement de souvenirs ou d'expériences spécifiques, «réels» ou non. Selon les scientifiques, il est aussi possible d'ajouter de nouvelles informations à des souvenirs après les avoir récupérés artificiellement, des souvenirs que des lésions de l'hippocampe peuvent effacer.

N'importe quel fan de science-fiction ne pourra s'empêcher de penser à toutes les possibilités dystopiques permises par de telles avancées, que ce soit le contrôle mental ou la programmation neuronale ou encore l'instauration toute orwellienne d'une police de l'esprit. S'il est impossible de faire la différence entre des données stockées sur des puces et des souvenirs empiriques ou organiques, pas très difficile d'imaginer un scénario à la Total Recall.

Mais ces progrès scientifiques ont aussi de nombreux et merveilleux avantages. Ces expériences attendent encore d'être répliquées sur des primates ou des humains, mais leurs implications sont particulièrement excitantes pour tous ceux qui souffrent d'Alzheimer, de démence, d'amnésie, ou encore pour les victimes d'AVC. Les puces pourraient remplacer les processus neuraux détruits ou endommagés et permettre la récupération de souvenirs bloqués ou oubliés, mais aussi augmenter la capacité du cerveau à former de nouveaux souvenirs.

Un jour – mais probablement pas de sitôt – plus de clés de voitures perdues ou de rendez-vous oubliés. Peut-être même que nous ne pourrons plus nous rappeler à quoi ressemblaient nos vies avant que nos rêves les plus fous se réalisent. 

Joelle Renstrom

Traduit par Peggy Sastre

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