Économie

La longue desserte aux enfers du fret SNCF

L’activité de Fret SNCF continue de reculer, les compagnies privées n’ont pas encore pris le relais. L’offre ferroviaire ne se restructure pas, pénalisant les ports français qui souffrent d’une desserte insuffisante comparée à celles de leurs concurrents européens.

Port du Havre en 2010. REUTERS/Gonzalo Fuentes
Port du Havre en 2010. REUTERS/Gonzalo Fuentes

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C’est l’œuf et la poule : qui, de l’activité portuaire ou du transport ferroviaire de marchandises, a tiré l’autre vers le bas en premier?

Il y a longtemps que l’insuffisance de la desserte ferroviaire des ports français est accusée d’accentuer les détournements de trafic sur Anvers et Rotterdam. Mais ce n’est pas la seule raison qui handicape les ports de l’Hexagone face à leurs concurrents de la Mer du Nord. La lente et difficile mise en place de la réforme portuaire, engagée voilà… vingt ans, pénalise leur compétitivité et freine la progression des trafics. De sorte que, par contrecoup, le chemin de fer en pâtit.

Le Sénat a établi une corrélation entre les deux phénomènes dans un rapport sur l’avenir du fret ferroviaire. Il souligne l’urgence «d’achever la mise en œuvre dans les grands ports maritimes de la réforme portuaire» pour participer à la relance du fret ferroviaire. Mais le redressement des deux plus grands ports français, Le Havre et Marseille, se fait attendre.

Une insuffisante desserte des ports par le chemin de fer

Si l’on considère le seul trafic de conteneurs, le plus pertinent pour les reports sur le chemin de fer, Le Havre (au 42e rang mondial) perd des parts de marché au profit des ports du Benelux et n’est plus que le 10e européen. Et Marseille, qui réalise les deux tiers de son trafic avec les hydrocarbures d’après la Cour des Comptes, ne fait même plus partie des vingt premiers dans les conteneurs. Même la région lyonnaise fait aujourd’hui partie de la zone d’attraction du port d’Anvers, au détriment du port phocéen.

«La France souffre d’une forte désindustrialisation et de la faiblesse de ses grands ports maritimes», constate le Sénat pour expliquer le repli du fret ferroviaire. «Sans une politique offensive dans le fret ferroviaire, on condamne les ports français qui ont besoin de moyens de transport lourds comme les trains pour prendre en charge les marchandises en transit», ajoute un ancien cadre de Fret SNCF.

Or, l’heure n’est pas à la reconquête pour le transport de fret à la SNCF. La part du chemin de fer dans le transport terrestre est passée des deux tiers au milieu du siècle dernier à 30% en 1980 et 10% aujourd’hui.

Et pour couronner le tout, même si le Grenelle de l’Environnement avait insisté sur la nécessité de reporter une part du trafic routier sur le chemin de fer, l’activité de Fret SNCF continue de se dégrader. Au premier semestre 2012, son chiffre d’affaires a reculé de 10% «dans un contexte de récession économique», explique la direction du groupe.

Pourtant, il n’existe pas de fatalité qui frappe le rail: le fret ferroviaire a progressé de 45% en Allemagne au cours des dix dernières années lorsque, dans le même temps, il a reculé de 40% en France. Selon une étude du cabinet Eurogroup, la part modale du rail entre 2005 et 2009 a augmenté de 21% en Allemagne et 13% en Grande Bretagne alors qu’elle a baissé de 15% en France.

Concurrence et désindustrialisation

Encore faut-il vouloir relancer la machine. Or, on remarque que le recours aux trains de marchandises est de moins en moins intégré aux politiques logistiques des entreprises en France: dans un sondage Ifop réalisé fin 2011 à l’occasion des Assises du fret ferroviaire, il est apparu que dans trois cas sur quatre, le train ne peut accéder aux usines.  

Et commercialement, le rail ne séduit plus: dans deux cas sur trois, l’offre ferroviaire n’est pas jugée suffisamment réactive. En tout cas, celle de la SNCF. Tel est bien le message lancé par PSA qui, en 2011, a confié à Euro Cargo Rail, filiale française de la Deutsch Bahn, le transport de ses voitures. Un véritable camouflet pour Fret SNCF!

Outre la désindustrialisation, le problème du ferroviaire réside aussi dans les effets de l’ouverture à la concurrence, d’abord sur les corridors internationaux en 2003, puis sur l’ensemble du réseau en 2006.

Les quelque dix-neuf opérateurs alternatifs qui sont nés de cette libéralisation peuvent aujourd’hui prétendre à 20% du fret ferroviaire. Mais cette avancée a été opérée au détriment de la SNCF, et pas des modes concurrents notamment du transport routier. Ainsi, globalement, cette ouverture n’a pas permis le redressement du chemin de fer dans le transport de marchandises.

Ce recul est aussi, affirme-t-on à la SNCF, la conséquence d’un choix politique: la SNCF ne peut à la fois équilibrer ses comptes dans un environnement concurrentiel et être compétitive face à un autre mode – le routier – qui n’est pas contraint d’assumer ses coûts externes… au moins jusqu’en juillet 2013, date à laquelle l’écotaxe sur les poids lourds doit entrer en vigueur.

Dans ces conditions, le chemin de fer est perdant. Quant à la SNCF, elle a entrepris de se concentrer sur les opérations qui lui permettent de massifier les acheminements, et qui sont des prestations à marges. C’est à ce titre que la compagnie ferroviaire s’est lancée fin 2011 dans les trains longs, de 850 mètres de longueur et 2400 tonnes, tractés par deux locomotives, pour que la massification génère des gains de productivité.

L’extinction progressive de Fret SNCF

Mais ceci ne saurait tenir lieu de stratégie pour l’avenir de Fret SNCF, qui n’emploie plus que 10.000 cheminots sur les 155.000 de l’entreprise. «Il y a dix ans, Fret SNCF réalisait 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et affichait 300 millions d’euros de pertes. Aujourd’hui, on est à 1,2 milliard de chiffre d’affaires et 400 millions de pertes», commente un spécialiste. Un constat sans appel.

L’extinction est progressive, mais réelle. En 2007, le trafic de Fret SNCF atteignait 54 milliards de tkm  (tonnes x kilomètres). L’objectif à terme avait été fixé à 100 milliards. Un rêve car en réalité, il est tombé au-dessous de 30 milliards de tkm! La crise n’explique pas tout.

Certains parlementaires ont déjà appelé à la filialisation de Fret SNCF : injouable, compte tenu de la levée de boucliers que la décision déclencherait. Mais à ce rythme, la privatisation du transport de fret se fera d’elle-même par la disparition de la SNCF du transport de marchandises par chemin de fer… sauf par trains complets.

A charge pour les compagnies privées de prendre le relais, même dans les ports comme par exemple  Normandie Rail Services au Havre, un opérateur de proximité créé avec le concours de Fret SNCF qui lui a notamment rétrocédé ses activités de dessertes portuaires. Bien complexe, tout ça. La raison de cette restructuration du transport ferroviaire de marchandises? Le statut des cheminots à la SNCF, jugé trop rigide et qui n’a plus cours dans les compagnies privées seulement assujetties à la convention collective ferroviaire.

Mais en attendant que se mette en place un nouveau système, le fret ferroviaire patine en France, handicapant d’autres acteurs du transport comme les ports. La gauche, réputée plus ferrophile que la droite, saura-t-elle revivifier le système sans attendre l’asphyxie de Fret SNCF? La branche Geodis de la SNCF dans le transport de marchandises affiche quant à elle ses priorités: face à la logistique, au transport routier et à la messagerie, les transports ferroviaires de marchandises ne représentent plus que 20% de son activité.

Gilles Bridier

 

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