France

Le jeu sordide de Fofana

Au fil des mois, le principal accusé s'est donné une contenance idéologique dont il veut pleinement profiter le temps du procès.

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Petit caïd de banlieue renvoyé aux assises pour un meurtre lâche et sordide ou figure de la «résistance» palestinienne et africaine? Au fil des mois, le principal accusé de la séquestration et l'assassinat d'Ilan Halimi s'est patiemment bâti un nouveau profil, prenant toujours à contre pied ses interlocuteurs, gardant la mainmise sur les débats. «Je m'appelle Arabs, Madame la Présidente, pour Africaine révolte armée barbare salafiste», s'était présenté Youssouf Fofana dès le premier jour du procès, donnant pour date et lieu de naissance ceux de la mort d'Ilan Halimi. Comme si, ce jour, un autre Fofana était né. «Ilan est mort? Tous les jours, des gens meurent en Afrique ou en Palestine», a-t-il poursuivi lors d'une audience ultérieure, selon des témoins.

Le 28 mai, il a encore désarçonné la cour en avouant de but en blanc le meurtre du jeune vendeur juif de téléphones portables. «Oui, c'est moi qui l'ai fait, vous le savez bien que je l'ai fait!», a-t-il déclaré, presque agacé, après l'audition des médecins légistes. Pour plus de détails, il a demandé à la cour de s'adresser à Samir, celui que les autres membres de la bande appelaient «l'autre boss» et qui a, à ce jour, livré la version la plus complète de cette nuit du 13 février 2006 qui a été fatale à Ilan Halimi. Le lendemain, Fofana aurait insisté: oui, c'est bien lui qui a tué Ilan Halimi, un geste qu'il a décidé de commettre lorsque les contacts téléphoniques ont été rompus. Demain, il peut néanmoins encore changer d'avis. De toute façon, pour l'instant c'est lui qui décide.

Retour en arrière. Le 23 février 2006, Fofana est appréhendé par la police locale à Abidjan. Interrogé à chaud, en présence de deux officiers de la Brigade criminelle, il n'avouera que son rôle dans la séquestration d'Ilan Halimi et son rôle de chef de bande. Il nie l'antisémitisme et met le meurtre sur le dos de «Craps» et de ses deux complices «arabes». Il dira à peu près la même chose lors de cette étonnante interview obtenue par I-Télé alors qu'il était détenu dans les locaux de la PJ d'Abdijan. Ilan a été enlevé «à des fins financières», dit-il; s'adressant à la famille, Fofana jure qu'il n'a pas tué «leur enfant». De retour à Paris, il tient le même discours face à la juge Corinne Goetzman ce qui, pour ses avocats de l'époque, constituait déjà une trame tout à fait prometteuse pour sa future défense. Puis, tout a basculé. La juge a commencé à recevoir des lettres d'insultes; idem pour l'avocat des parties civiles. Lors de ses auditions, Fofana s'est mis à invoquer l'islam, la lutte armée et l'oppression du peuple noir et palestinien. Son antisémitisme s'est affirmé dans ses déclarations et ses courriers, sa haine des juifs est devenue une véritable obsession. Extraits: «A chaque fois qu'un juif meurt, je suis content, Allah est grand»; «chaque dimanche matin, je regarde une émission sur les juifs et je me dis, purée, ils me dégoûtent, il faudrait les mettre dans un coffre de voiture pour les rançonner (...) vivants ou morts parce que leur cadavre vaut plus cher encore que s'ils sont vivants»; «à mort Israël, à mort les juifs». Totalement absente dans ses déclarations du début, l'intention de «financer» la rébellion en Côte d'Ivoire grâce aux enlèvements s'est également affirmée au fil des mois pour être désormais inscrite noir sur blanc dans l'ordonnance de mise en accusation. Il ne manquait plus que le procès pour que le nouveau personnage ne rentre en action.

 

A la différence de la grande majorité de ses complices, Fofana semble avoir attendu avec impatience ce moment pour exercer son pouvoir sur les parties civiles et les magistrats, comme s'il voulait perpétuer les négociations houleuses avec la famille d'il y a trois ans. Depuis, il s'est donné un nouveau rôle, un peu pour échapper à la terrible banalité des faits qui lui sont reprochés, beaucoup pour se donner un statut, une position dans la nouvelle vie qui s'ouvre à lui. En prison, il est ainsi considéré comme quelqu'un de particulièrement dangereux et d'imprévisible; à ce titre, il bénéficie de mesures de sécurité qui peuvent apparaître comme autant de privilèges. Un psy exerçant en milieu pénitencier raconte comment toute la prison retient son souffle lors de ses déplacements. En instillant une idéologie dans un crime crapuleux, l'accusé a gagné des galons aux yeux des autres détenus, il s'est ainsi donné une contenance. Souvent décrit comme un quasi attardé mental, il semble avoir opté pour une «défense très intelligente», aux dires même de l'une de ses avocates, révoquée pendant le procès. «Il a l'intelligence du vice», diront de lui les policiers qui l'ont interrogé. Pour eux, il ne faut pas se faire d'illusions: le procès du «gang des barbares» est surtout le one man show d'un homme qui sait qu'il est déjà condamné et qui prend un malin plaisir à faire du mal aux proches de la victimes. Une fois de plus, les policiers considèrent que le père d'Ilan, Didier Halimi, a opté pour la bonne attitude en restant chez lui, quelque part sur la côte Atlantique, plutôt que de lui servir de punching ball. «Comme ça, il ne pourra pas cracher son venin», disent-ils. «Chacun son fardeau. Merci, au revoir», s'est borné à déclarer Didier Halimi aux journalistes le jour où il avait été convoqué à la barre, avant de repartir loin du Palais de justice de Paris.

Alexandre Lévy

Image de une: Les avocats de Fofana, devant le box des accusés, à l'ouverture du procès. Benoit Tessier / Reuters

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