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Pourquoi la mission de Curiosity sur Mars est importante

A la recherche de traces de vie passée, ce succès vital pour la Nasa confirme le leadership des Etats-Unis dans l'exploration spatiale.

Une des premières images envoyées par Curiosity, le 6 août. Nasa.
Une des premières images envoyées par Curiosity, le 6 août. Nasa.

Temps de lecture: 4 minutes

Après un voyage de 8 mois et demi et 567 millions de km parcourus, lundi 6 août 2012, à 7h32 heure française, le robot sur roues Curiosity s’est posé dans le cratère Gale sur Mars. L’explosion de joie dans la salle de contrôle du Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la Nasa à Pasadena (Californie) révèle à la fois l’importance de la mission pour l’agence spatiale européenne et sa difficulté particulière.

Près de 7.000 personnes ont travaillé sur cette Curiosity qui coûte la bagatelle de 2,5 milliards de dollars. A Toulouse, l’explosion de joie a dû être comparable puisque Curiosity emporte deux instruments français à son bord (ChemCam et le chromatographe de SAM-GC) qui seront opérés, et c’est une première, directement depuis le French Instrument Mars Operation Centre (Fimoc) au CNES de Toulouse.

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La Nasa vit l’une de ses grandes heures qui rappelle celles de juillet 1969 avec le premier pas de l’homme sur la Lune. Son succès d’aujourd’hui concerne l’une des missions les plus difficiles de l’histoire de l’exploration spatiale. L’extraordinaire précision dans le timing de l’atterrissage, malgré une technique inédite de largage du robot à l’aide de câbles, démontre la maîtrise de la Nasa.

Le JPL sait désormais qu’il est capable d’expédier un engin de près d’une tonne sur une planète lointaine. De quoi ouvrir, si les moyens financiers suivent, des perspectives de missions vers Europa ou Encelade qui comptent parmi les candidats sérieux à l’hébergement de formes de vie.

Changement d’échelle

Certes, la Nasa lance des sondes et des robots vers Mars depuis 1996 (Mars Pathfinder). Et la mission précédente, Mars Exploration Rovers (MER) avait été un succès considérable en 2003. L’un des robots, Spirit, a fonctionné jusqu’en 2010 et l’autre, Opportunity, est toujours en activité.

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Les sites d'amarsissage précédents. Image Nasa.

Pour mesurer la performance de la mission Mars Science Laboratory, dont Curiosity est le robot, il suffit de la comparer avec MER. Quand les deux robots de MER mesuraient 2,3 x 1,6m sur 1,5 m de haut, Curiosity affiche 3 x 2,7 m sur 2,2 m de haut. Le poids, surtout, est passé de 170 kg à 899 kg. La masse des instruments scientifiques embarqués, de 5 à 75 kg. Le bras robotisé de 0,8 à 2,1m de longueur.

La précision d’atterrissage a également fortement progressé puisqu’elle a été réduite de 80 km pour MER à une ellipse de 20 km pour Curiosity. C’est donc un véritable changement d’échelle en matière de moyens mis en œuvre pour l’exploration de Mars. Du coté scientifique, les attentes sont proportionnelles.

Un géochimiste sur Mars

Ce que les scientifiques du monde de la recherche spatiale attendent de Curiosity n’est rien moins qu’une découverte majeure. Il s’agit d’analyser les roches de la région d’atterrissage, le cratère Gale, en espérant y découvrir des traces de vie passée. Passée parce que les conditions actuelles (atmosphère, température, pression…) de la planète rouge excluent toute possibilité de vie.

Mais, aux débuts de Mars, c’est une autre histoire. Et Curiosity doit remonter le temps, vers 3 milliards d’années en arrière, en scrutant les couches géologiques proches de lui. Un véritable livre ouvert dont il suffit de tourner les pages pour y lire le témoignage de chaque période de la vie de la planète rouge. La présence d’eau à la surface de Mars dans son passé lointain, attestée par les analyses précédentes, laisse espérer qu’une forme de vie a pu se développer alors. De quoi s’agissait-il exactement? Personne n’en sait rien aujourd’hui. Mais si la vie a existé sur Mars, elle doit avoir laissé des traces inscrites dans le grand livre de sa géologie.

Fossiles chimiques

Grâce à son laser et à ses outils, Curiosity va prélever des échantillons sur ces couches géologiques et les analyser sur place grâce au véritable laboratoire portable qu’il contient et qui comprend une dizaine d’instruments. Les chercheurs devront ensuite déceler, dans les résultats, les témoignages éventuels d’une vie passée. Ils n’espèrent pas vraiment découvrir des fossiles solides, comme sur Terre. Mais  plutôt des fossiles chimiques.

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Curiosity commence sa mission ici, dans le cratère Gale. Image Nasa.

Et puis, ils espèrent aussi pouvoir répondre à des questions qui restent sans réponse sur, par exemple, la composition de l’atmosphère de Mars.  Cette dernière est composée de plus de 95% de CO2 mais il reste des traces de méthane. Or, le méthane peut être produit par la décomposition le la matière organique. Sur Terre, c’est ce phénomène qui a engendré la création des fameux clathrates, ces hydrates de méthane qui, s’ils sont relâchés dans l’atmosphère, risquent d’aggraver fortement le réchauffement climatique.

Sur Mars, le méthane est émis à partir de certaines régions de l’hémisphère nord. Comment est-il produit exactement ? C’est l’une des multiples questions qui se pose aux chercheurs. Enfin, comme la Nasa le rappelait la veille de l’atterrissage de Curiosity, les mesures à distance ne peuvent pas tout découvrir et le travail du nouveau robot sur le terrain pourrait conduire à des découvertes entièrement nouvelles. Au fond, c’est ce que les scientifiques attendent. De vraies surprises justifieraient le coût élevé de la mission.

Préparer le retour sur Terre d’échantillons de Mars

Pour autant, Curiosity n’est qu’en étape de l’exploration de Mars. Son objectif, outre les analyses qu’il pourra faire sur place, est de localiser des zones particulièrement riches en information afin de préparer le chapitre suivant: rapporter sur Terre des échantillons de la surface de Mars. La Nasa s’y prépare et travaille sur le projet.

Mais une telle mission ne peut être finalisée avant le verdict de Curiosity. Il faudra que le robot découvre assez d’éléments pour justifier l’opération délicate et coûteuse de retour sur Terre d’échantillons. Si atterrir sur Mars est désormais maîtrisé, en repartir pose d’autres problèmes concernant, en particulier, les réserves d’énergie nécessaires pour échapper à l’attraction martienne et effectuer le voyage retour. Au total, une telle mission parcourerait plus d’un milliard de km.

Un succès vital pour la Nasa

La veille de l’atterrissage réussi de Curiosity sur Mars, lors d’une conférence de presse au JPL, une question a été posée à Charles Elachi, le patron du JPL. «Et si la mission Curiosity échoue?» La réponse a été frappée au coin de la langue de bois. «Nous avons connu d’autres échecs. Nous analyserons les causes de celui-ci et nous en tirerons les leçons et nous continuerons».

imagecuriositeUne des premières images envoyées par Curiosity, le 6 août. Image Nasa.

En fait, un échec aurait sans doute eu des conséquences désastreuses sur les futurs projets de la Nasa.  Après l’arrêt de la navette spatiale et les incertitudes sur ses projets de voyage habité vers… la planète Mars, l’agence américaine avait un besoin vital d’un succès majeur, incontestable.

Leadership confirmé

Faute de pieds humains, ce sont les roues de Curiosity qui ont touché le sol rouge et poussiéreux de la planète la plus mythique du système solaire. La mission Mars Science Laboratory se distingue aussi par l’époque dans laquelle elle se situe.

La crise économique a conduit le gouvernement américain à rogner le budget de la Nasa, en particulier celui des futures missions martiennes. Curiosity aura coûté 2,5 milliards de dollars au lieu des 1,2 milliard prévus en 2006. En posant un robot mobile de 900 kilos sur Mars, la NASA conserve sa place de leader dans l’exploration spatiale au moment où le Japon, la Chine et l’Inde commencent leur ascension et promettent de devenir des concurrents sérieux au cours des prochaines décennies.

Michel Alberganti

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