France

«Au moment supposé de l'incident, les passagers devaient dormir»

Le témoignage d'un pilote familier du trajet sur A330-200.

Entre 2h14 et 2h20 GMT, la cabine est très calme, la plupart des passagers dorment. | Annie Theby <a href="https://unsplash.com/photos/jL8arV2unOA">via Unsplash</a>
Entre 2h14 et 2h20 GMT, la cabine est très calme, la plupart des passagers dorment. | Annie Theby via Unsplash

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Le «jeu» des hypothèses bat son plein pour essayer de comprendre ce qui a pu causer la disparition du vol AF447 d'Air France lundi 1er juin aux petites heures du matin, entre le Brésil et le Sénégal. Mais comment se passe un vol typique Rio Paris dans la cabine de pilotage? Le témoignage d'un pilote de ligne d'Air France familier de ce parcours entre le Brésil et la France sur A330-200.

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«Le vol Rio-Paris est un vol long courrier tout ce qu'il y a de plus banal pour les pilotes, qui sont au nombre de trois, un commandant de bord et deux copilotes.

La préparation du vol et le décollage de Rio sont les moments où ils doivent être le plus attentifs. Il faut travailler avant le départ sur le plan de vol, s'informer sur les conditions météo et prévoir d'éventuelles déviations du trajet. Le décollage, un moment clé de tout vol en termes d'attention et de risques, est particulièrement sensible à Rio, où les communications radios peuvent être difficiles. Les alentours de l'aéroport comportent d'importants reliefs, et le temps sur la ville se révèle souvent chargé en été (l'hiver dans l'hémisphère nord), climat tropical oblige.

La traversée de l'Atlantique est, au contraire, un moment très paisible pour les pilotes, mis à part la traversée de la fameuse zone du «pot au noir» et ses zones orageuses quasi-perpétuelles qui peuvent provoquer des turbulences. Mais des centaines d'avions traversent chaque jour cette zone sans incident. Les reports de position se font automatiquement tous les 120 nautiques, environ toutes les 30 minutes. Le dîner est servi juste après le décollage. Après deux heures de service, la moitié de l'équipage prend son repos tandis que l'autre moitié reste en veille. Au moment supposé de l'incident, entre 2h14 et 2h20 GMT, la cabine est donc très calme, la plupart des passagers dorment. Avec toute la technologie et la sûreté des avions modernes comme l'A330-200, on peut oublier qu'on vole en milieu hostile à des milliers de kilomètres d'altitude.

Vu l'endroit supposé du crash, il est probable que le commandant de bord venait de prendre son tour de repos dans la cabine couchette. Sur les Rio-Paris, les trois pilotes se relaient pour des périodes équivalentes, avec toujours deux d'entre eux aux commandes. Le commandant prend en général le repos du milieu, pour pouvoir gérer le décollage et être frais pour l'atterrissage. Même si les radars ultra-précis permettent de connaître l'intensité des orages, il s'agit de turbulences «normales» et le commandant a très bien pu aller dormir en connaissant les conditions difficiles qui arrivaient. D'autres avions ont traversé cette zone dans la nuit sans connaître de problèmes.

A titre personnel, j'ai été frappé deux fois par la foudre en 10.000 heures de vol, sur un Boeing 727 et sur un A320 en approchant de Londres entre deux gros cumulus. A chaque fois, le vacarme est énorme mais il n'y a aucune séquelle sur l'avion. Tout pilote traverse des zones de turbulences intenses, qui l'empêchent même parfois de lire les instruments de bord. La seule chose à faire dans ces moments est d'attendre que ça passe.

Le commandant peut également décider de dévier de trajectoire pour éviter de gros orages, mais dans ce cas, il doit communiquer avec les autres avions. Il y a en effet de nombreuses routes parallèles espacées de seulement 100 nautiques; dans cette zones à forte fréquentation, tout changement de trajectoire doit donc être préparé et coordonné.

Admettons que le commandant de bord est au repos au moment d'une grosse secousse. Si un des copilotes se trouve aux toilettes par exemple, la situation peut très vite devenir critique, surtout si les turbulences sont importantes. Une panne électrique rend les choses encore plus compliquées, même si le risque est faible, l'appareil possédant trois générateurs. La grande majorité des commandes ne fonctionne pas sans électricité. En das d'incidents, l''ordinateur vous soumet une cascade de check-lists.

Même en simulateur, où nous sommes confrontés à ce genre de situations, le niveau de stress augmente très vite. Sur les vols long courrier retours, les pilotes subissent en plus la fatigue du décalage horaire, ce qui peut amoindrir leur vigilance.

Bien qu'on ignore encore ce qui s'est passé sur le vol AF447, c'est une piqûre de rappel pour tous les pilotes. Le risque ne disparaît jamais complètement, et une accumulation de facteurs et d'incidents peut mener à des conséquences catastrophiques, même en plein vol dans un appareil ultramoderne.»

Recueilli par Grégoire Fleurot

Image de une: L'avion disparu photographié par un spotter: le numéro d'identification de l'appareil, A330 F-GZCP, est visible en agrandissant l'image depuis Flickr. CC Flickr/clippergoodwilll.

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