Économie

Facebook pourrait bien connaître le sort de GM

General Motors est mort, faute d'avoir adapté son modèle économique. Facebook court toujours après le sien.

Temps de lecture: 3 minutes

La valeur n'attend pas le nombre des années. Facebook, start up d'à peine cinq ans d'âge vaudrait 10 milliards de dollars. Au même moment, la centenaire General Motors, en coma dépassé, vaut zéro et 200 milliards de dettes, au point de chercher son salut dans la nationalisation.  Cherchons l'erreur.  D'un coté, un réseau d'amis fans de high tech, créé par un étudiant de Harvard qui compte plus de 200 millions d'utilisateurs actifs.  De l'autre, le constructeur des Chrevolet, Cadillac et  Buicks comptant une cinquantaine d'usines à travers le monde qui emploient 300 000 salariés.

General Motors (GM) a subi de plein fouet la double peine. D'un coté l'envolée de ses charges liée aux système de protection sociale et de soins médicaux de ses milliers d'ouvriers et de retraités. De l'autre,  la descente aux enfers de ses marges sur chaque modèle vendu. Ses dirigeants successifs avaient pensé qu'il suffisait de revisiter le mythe américain de la voiture, en ressortant la Corvette ou la PT Cruiser,  pour se sauver. Sourds aux avertissements et aux clignottants  passés au rouge vifs sur les changements profonds des modes de vie de la clientèle, l'état major de Detroit a pu (ou a voulu !) masquer pendant des années ses erreurs de perspectives grâce aux succès apparent des  pick-up, des minivans et des 4 x 4 devenus des gouffres à l'heure de l'envolée du prix du gallon de gasoil et la percée des petits modèles japonais bien plus frugaux.

L'histoire économique est riche de ces comportements aveugles, dictés souvent par l'arrogance de la puissance passée. Quatre vingts ans à dominer la planète automobile mondiale n'ont sans doute pas aidé les dirigeants de General Motors à se remettre en question. Ironie de l'histoire, Rick Wagoner, l'ancien patron de GM,  avait regardé avec dédain les offres d'alliance de Carlos Ghosn, en 2006 au motif que Renault-Nissan est en partie contrôlé par l'Etat français. Il voit ses successeurs trouver leur salut dans l'argent du contribuable américain.

A Washington comme à Detroit, certains continuent d'espérer que le groupe parviendra à renaître de ses cendres, au prix d'une terrible cure sociale marquée par la fermeture de dizaines d'usines, la réduction de plus d'un tiers du réseau de concessions et l'injection de dizaine de milliards de dollars d'argent de l'Etat. Mais le mal est fait: General Motors n'est pas parvenu ou n'a pas voulu transformer son modèle à temps. Le chapter 11 (loi sur les faillites aux Etats-Unis) risque de n'être qu'un anesthésiant plus puissant pour accompagner son agonie. Il ne permettra pas tout seul de rebâtir un modèle viable. Le roi est mort. Vive le roi. Mais lequel?

La violence de la crise actuelle rend d'autant plus brutal le passage de relais entre les anciennes icônes et les nouvelles stars de l'Amérique triomphante.  Il y a deux ans, la valeur de Facebook avait atteint 15 milliards de dollars, soit au dollar près le montant auquel était déja tombée la capitalisation en Bourse de GM. A l'époque, Microsoft s'était offert un strapontin de 1,6% dans Facebook pour 240 millions de dollars. Aujourd'hui, en dépit de l'explosion de la crise financière et économique intervenue depuis, le fonds d'investissement russe Digital Sky Technologies met sur la  table 200 millions de dollars pour à peine 2% de Face Book sans droit de regard sur la gestion. Du grand art !

Pourtant Facebook qui paraît aujourd'hui triompher, court toujours après un modèle économique qui ne saurait pour l'instant justifier sa valorisation équivalent à 20 fois son chiffre d'affaires. Pour l'expliquer, certains font valoir que le rouleau compresseur va, d'ici trois ans, détrôner Google en tant que site Internet le plus visité. Le secteur du high tech n'est-t-il pas familier de ce type de trajectoire fulgurante? Créé il y a trente cinq ans, Microsoft peine aujourd'hui à éviter que Google, de vingt ans son cadet,  n'ait définitivement pris le pas sur le marché des moteurs de recherche. En dix ans, Microsoft a vu sa valeur en Bourse divisée par deux pour représenter aujourd''hui trois fois son chiffre d'affaires. Face à lui, Google vaut plus de six fois ses ventes.

Facebook serait donc promis à un avenir radieux. Pourtant, la société ne gagne toujours pas d'argent. Et ses revenus, provenant essentiellement des bandeaux publicitaires, peuvent-il suffire à ses besoins d'investissement dans de nouveaux réseaux, des serveurs et des bases de stockage pour accueillir les millions de photos et vidéos qui chaque jours s'y déversent ? Certains en doutent.  Et font planer le soupçon que Facebook ne vaut aujourd'hui qu'au mieux la moitié des 10 milliards de dollars évoqués par ses dirigeants et les investisseurs qui souhaitent les accompagner, leur objectif prioritaire étant, à placer la barre si haut, de pouvoir continuer,à l'avenir,  de lever l'argent nécessaire pour investir et finir par démontrer que le jeu valait la chandelle de croire dans leur modèle.

Une méthode «Coué» qui, par certains aspects, n'est pas si différente de l'application dont ont fait preuve des années durant les dirigeants de General Motors pour éviter d'avoir à se remettre en question et sauver leur modèle.

Philippe Reclus

Photo: Une concession Chevrolet à Miami  Reuters

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