Économie

Automobile française: en panne d'image

Si les voitures françaises ont nettement progressé en matière de qualité, PSA et Renault n'existent plus sur le créneau des voitures de luxe et de sport, celles qui construisent une image. Or, la voiture demeure un objet dont l'achat n'est pas seulement rationnel. Le prestige, l'image, la mode jouent un rôle clé dans le succès.

Une vieille Peugeot 504 au milieu du gué au Chili après des inondations.   REUTERS
Une vieille Peugeot 504 au milieu du gué au Chili après des inondations. REUTERS

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En quelques mots bien pesés dans «La carte et le territoire», l’écrivain Michel Houellebecq exprime en creux le mal de l’automobile française. On acquiert une Audi lorsqu’on accède à un certain «niveau de fortune», parce que tout y est usiné «comme un coffre-fort». On privilégie une Mercedes lorsqu’on ne s’intéresse pas tellement aux voitures et qu’on privilégie «la sécurité et le confort», et qu’on fait partie de «la bourgeoisie mondiale» avec des «moyens suffisamment élevés».  Ce n’est pas seulement la mécanique sous le capot qui fait la différence, mais le statut social que confère l’auto à son propriétaire.

L’automobile reste un vecteur de statut social

Rien de très rationnel; la fascination fonctionne toujours. D’un côté, les anneaux flamboyants (qui symbolisent le rapprochement de quatre marques); de l’autre, l’étoile éternelle (utilisée par le fondateur Gottlieb Daimler dans sa correspondance à sa femme).

Pas de lion sochalien, ni de chevrons ou de losange - même revisité par le peintre Vasarely -  parmi les voitures du Goncourt 2010. Car lorsqu’on parle des marques françaises, le même discours revient sempiternellement: elles n’auraient pas la qualité requise, la fameuse qualité allemande. Comme si on était encore au temps de la 403 de l’inspecteur Colombo, des R5 qui rouillent ou des R25 dont le moteur prend feu… Vieilles lunes, des décennies se sont écoulées depuis et la fiabilité et la qualité n'ont plus rien de comparable. Mais difficile de changer les idées reçues.

Tandis que l’industrie automobile française est clairement menacée, il serait bien temps de se poser les bonnes questions sur les raisons des succès ou des échecs commerciaux et du déclin de l'automobile «made in France».

Les marques françaises ont oublié le prestige

La voiture demeure un objet à statut, à affect, à identification pour beaucoup d’automobilistes, quoi qu’on en dise. C’est le moteur du succès des marques allemandes. On touche là du doigt le plus grand échec des marques françaises qui ne sont pas parvenues à imposer leur image dans le club des marques statutaires, valorisantes, glamour...

Certes, il est difficile de prétendre à être considérée comme une marque de prestige lorsqu’on est perçu comme un constructeur généraliste. Question, dit-on un peu vite, de fiabilité. Les automobilistes qui soulignent des défauts des voitures françaises aujourd’hui corrigés, ne chercheraient-ils pas plutôt à justifier leur choix d’une marque étrangère pour satisfaire leur égo? Car la différence réside surtout dans le statut que confère le véhicule.

Les entreprises qui cherchent à attirer des collaborateurs aux profils pointus savent bien que, dans le package des avantages, mieux vaut proposer une voiture de fonction de marque allemande plutôt qu’une Peugeot ou une Renault. Les loueurs qui fournissent les flottes d’entreprises le savent aussi, qui parfois n’offrent même plus le choix.

L'image se construit par le haut

Les Auto Union et autres NSU qui furent jadis fondues dans Audi n’étaient pas des modèles de qualité. Pourtant après être entrée dans le giron de Volkswagen, la marque Audi va se hisser dans le gotha des griffes automobiles de luxe, rejoignant d’autres marques allemandes, à commencer par BMW et Mercedes. Une image, ça se construit patiemment et obstinément!

Comment? A force de temps et de persévérance. En déclinant les mêmes principes de qualité à chaque niveau d’une gamme. Et en  tirant celle-ci toujours plus vers le haut. Afin que même les modèles d’entrée de gamme profitent de l’aura des modèles les plus prestigieux.

Ainsi, l’Audi A8 au sommet de la gamme et la très sportive R8 illuminent l’univers de l’Audi A3 pour amateurs avertis et discrètement fétichistes. La Mercedes Classe S, vaisseau amiral de la marque,  entretient une légende qui attire les jeunes retraités en Classe A. Et la BMW Série 7, berline sportive, alimente le désir des jeunes collaborateurs d’entreprises qui trouvent un exutoire à leur mesure avec la Série 1.

C’est précisément ce qui a manqué aux marques françaises: cette persévérance dans la construction d’un haut de gamme, pour développer une image valorisante qui rayonne sur tous les autres modèles. Sans vrai vaisseau amiral, même inaccessible, difficile de mener le combat commercial.

Par exemple chez Renault: après une hésitante Safrane et une déroutante Vel Satis, le vide… Comment, dans ces conditions, bâtir une image et fidéliser une clientèle? Peugeot veut faire renaître l’émotion automobile, mais vise encore trop bas. Même chose chez Citroën, qui a perdu le goût de l’auto de prestige et qui veut faire revivre – à soixante ans d’intervalle – le mythe de la DS pour le relancer.

 A modèles comparables, les voitures françaises supportent la comparaison

Pourtant, si on considère des voitures comparables, les marques françaises peuvent s’aligner sans complexes. C’est le cas par exemple pour une Peugeot 308 face à une BMW Serie 1, ou une Audi A3. Si on compare des versions dotées de motorisations approchantes et des mêmes équipements, on constate qu’une Peugeot 308 diesel «Sportium» de 150 ch coûte globalement 3000 euros moins cher qu’une BMW Serie 1 (avec seulement 3 portes) de même puissance,  ou que la même 308 en version «Féline» revient environ 5.000 euros moins cher que l’Audi A3 Ambition Luxe de 150 ch également.  Dans l’automobile, on paie la griffe, cette part du rêve.

On pourrait multiplier les exemples (dans cette catégorie de voitures moyennes compactes, avec les Renault Mégane ou Citroën DS4) qui montrent que, à prix comparables, les voitures françaises en donnent plus. Ou que, à finitions identiques, elles coûtent moins cher à l’achat. Problème: il n’y a plus de comparaison possible dès qu’on s’attaque au segment des Audi A6 ou BMW Serie 5…

Et la fiabilité? Les voitures françaises ne rouillent plus depuis belle lurette comme leurs homologues allemandes aujourd’hui. Et leurs moteurs encaissent autant de kilomètres. Il n’y a pas d’équipements de pointe parvenus au stade de l’industrialisation, dont une DS4, une DS5 ou une C6 chez Citroën ne puissent être équipées. Lorsque Daimler noue un accord avec Renault, c’est entre autre pour profiter de son savoir-faire dans les plateformes de petites voitures, un créneau moins bien maîtrisé par l’allemand.

Et comble de l’ironie, sous le capot de certaines Peugeot, on trouve des moteurs à essence mis au point avec (et surtout par) BMW… qui installe les mêmes sur ses propres voitures. La mondialisation a depuis longtemps fait disparaître les écarts trop prononcés.

Rattraper le temps perdu?

Il est vrai que le luxe, le prestige ou le «sport-performance» sont des marchés par définition exclusifs. Mais d’autres constructeurs généralistes on su développer des marques de prestige en inscrivant leur stratégie dans la durée. Volkswagen, qui a intégré des marques de voitures économiques comme Seat et Skoda, s’est aussi implanté dans le luxe avec Audi, et même Bentley, Lamborghini, Bugatti et, depuis peu, Porsche. Toyota a créé Lexus, Honda a lancé Acura dans le même esprit, et Nissan possède Infiniti: tous généralistes japonais, avec une marque de luxe.

Ainsi côté français, ce serait la stratégie, notamment marketing et commerciale, qui aurait failli. Tant que les productions automobiles françaises possèdent des qualités techniques sur lesquelles capitaliser, il existe un socle à partir duquel de nouvelles stratégies sont possibles. Mais le temps presse, car les coupes sombres dans les centres de recherche et de développement mettent en péril la survie de ce savoir-faire, de cette culture...

Gilles Bridier

 

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