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Pourquoi l'«erreur» d'Obama n'est que de la fausse modestie

Les hommes politiques rechignent toujours à reconnaître leurs erreurs. Et c'est bien dommage.

Barack Obama, en Virginie sous la pluie, le 14 juillet 2012. REUTERS/Jason Reed
Barack Obama, en Virginie sous la pluie, le 14 juillet 2012. REUTERS/Jason Reed

Temps de lecture: 6 minutes

Un jour, un membre haut placé de l'administration Bush m'avait dit: «Les présidents sont incapables de reconnaître leurs erreurs.» S'il admet ses erreurs, un président se met dans une position de faiblesse, il tend le bâton pour se faire battre et crée un dangereux précédent pour toutes les fois où les choses ne se dérouleront pas comme prévu. Et une fois une erreur admise, pourquoi s'arrêter en si bon chemin et ne pas en reconnaître d'autres? Dans tous les cas, mieux vaut s'abstenir d'un tel mea culpa pendant une année électorale.

Ce qui fait que lorsque Charlie Rose (1) s'est pointé à la Maison Blanche pour demander au président quelle était l'erreur qu'il regrettait le plus, le seul élément mystérieux de l'histoire, c'était la technique qu'allait utiliser Obama pour éluder la question.

Le président Obama a donc choisi la fausse modestie:

«Pendant les deux premières années de mon mandat, ma plus grosse erreur a été de penser qu'à ce poste, il fallait simplement faire les bons choix politiques et s'atteler à les mettre en œuvre. C'est important, évidemment, mais la nature de cette fonction consiste aussi à raconter une histoire au peuple américain, une histoire qui leur donne un sentiment d'unité, des objectifs et de l'optimisme, surtout en période de crise.»

C'est une honte. Reconnaître ses erreurs et savoir comment les corriger est un attribut fondamental d'une présidence. Les électeurs n'ont qu'un seul moyen de savoir si un candidat ou un président en est doté: qu'il en parle. Mais dans nos campagnes électorales, nous conditionnons nos candidats pour qu'ils ne révèlent jamais leurs erreurs, leurs conjectures à demi-hasardeuses ou les leçons apprises après des tentatives ratées. Un peu comme si, aux Jeux olympiques, les disciplines des qualifications n'avaient rien à voir avec celles de la compétition officielle.

Ce qu'en disait Obama en 2008

Pour résumer, le président a dit qu'il était tellement occupé à aider le peuple américain, qu'il a oublié de lui expliquer ce qu'il faisait.

En 2008, lorsqu'il était candidat, ce genre de fausse modestie avait fait rigoler Obama. Lors d'un débat pendant les primaires démocrates, les postulants avaient été interrogés sur leurs points faibles. Obama avait répondu qu'il était bordélique et qu'il n'arrivait pas à trier ses papiers. Pas très révélateur, mais pas de fausse modestie là-dedans. Par contre, Hillary Clinton et John Edwards avaient tous les deux préféré cette tactique. «Les amis, ils ne vous disent pas ce qu'ils pensent!», s'est amusé Obama le lendemain.

«Je pensais qu'ils voulaient dire: “quel est votre principal point faible?” J'ai donc répondu “Ben, en fait, je ne gère pas très bien les papiers, mon bureau est un immense foutoir, j'ai tout le temps besoin de quelqu'un pour m'aider à classer et à ranger mes dossiers.” Mais les deux autres, ils ont répondu: “Mon plus gros point faible? C'est d'avoir trop envie d'aider les pauvres gens. D'être trop impatient d’apporter le changement en Amérique.” Si j'étais passé en dernier, j'aurais compris les règles du jeu et j'aurais pu dire: “En fait, j'adore aider les vieilles dames à traverser la rue. Parfois, vous savez, elles refusent mon aide, c'est affreux.”»

Aujourd'hui, le président connaît les règles du jeu, mais il a déjà réussi par le passé –ne serait-ce que furtivement– à faire acte de contrition. Au début de son mandat, il avait admis avoir mal géré la nomination du Sénateur Tom Daschle (2). «J'ai merdé», avait-il reconnu à l'époque, expliquant comment son apparente indifférence aux déboires fiscaux de Daschle avait pu laisser entendre que les puissants n'étaient pas traités comme tout le monde.

Après l'entretien du 12 juillet, on ne peut pas non plus dire que qu'il a véritablement fait preuve de fausse modestie –un artifice d'humilité dont le but est de vous donner le beau rôle– face à Charlie Rose et qu'il mérite d'être flagellé en public. Obama pense honnêtement que sa communication aurait pu être meilleure.

Chacun aura sa propre interprétation de cette déclaration. Pour les détracteurs du président, on y entend de la condescendance. J'ai fait ce qu'il fallait, mais ces abrutis d'Américains n'ont pas compris. Pour ses fans, le président a fait sienne une critique qu'ils lui adressent depuis longtemps: Qu'est-il arrivé au brillant orateur de la compagne de 2008? Pour les étudiants en rhétorique présidentielle, les mots choisis par Obama sont au mieux curieux, au pire ridicules. Le président ne gagne pas les faveurs d'un pays par les histoires qu'il lui raconte; c'est la politique qui détermine le ressenti des citoyens.

Qu'importe votre avis sur la force de la rhétorique, le président aurait pu discuter d'une liste d'erreurs bien plus intéressante: comment il a surestimé le pouvoir de son plan de relance, comment il a perdu ses objectifs de vue en se consacrant à son projet de couverture maladie quasiment universelle aux dépends de l'économie, comment il a passé trop (ou trop peu) de temps à obtenir un accord bipartisan...

La cour des collaborateurs

Le président n'est pas seul dans ce cas. Mitt Romney a déclaré avoir fait des erreurs, mais sans vraiment préciser lesquelles. Lui aussi a su utiliser la fausse modestie. Il a déclaré que lorsqu'il était PDG de Bain, il n'a pas pensé que JetBlue pouvait être un bon investissement. En tant qu'homme d'affaires, la réussite de Romney est patente, c'est donc un peu comme si un Ballon d'or vous disait que ça lui est déjà arrivé de louper un penalty lors d'un entraînement. Newt Gingrich, par contre, a choisi l'extrême inverse en expliquant qu'il avait trompé son ex-femme parce qu'il avait tellement la pression à cause de son désir d'améliorer le pays qu'il ne savait plus ce qu'il faisait.

En matière d'instinct de survie, les politiciens sont passés maîtres. La fausse modestie n'a donc rien de surprenant. Mais avec ce genre de réponse, comment réussir à évaluer nos candidats? Voyez un peu quelles conséquences un soupçon d'introspection publique pourrait avoir: une telle franchise serait comme un électrochoc qui réveillerait les oreilles fatiguées de l'électorat. Ça serait tout simplement rafraîchissant. (Et qui n'a pas envie de se rafraîchir par cette canicule estivale?) Les électeurs pourraient boire les paroles d'un candidat s'il se démarque en prenant quelques risques. (Ce qui veut dire qu'ici, l'erreur d'Obama est multiple: en disant que son erreur a été de rater des occasions rhétoriques, il a raté une occasion rhétorique).

Lorsqu'on est président, difficile d'être bien conseillé quand on fait fausse route, car la grande majorité des gens qui travaillent avec vous sont pétris d'admiration pour votre fonction. Ou alors, ils sont dans un tel état de siège partisan permanent qu'ils se taisent pour le bien de la cause. (Exception faite de l'ancien gouverneur démocrate de Pennsylvanie, Ed Rendell qui semble chaque jour mettre le doigt sur une nouvelle erreur d'Obama).

La capacité d'un candidat à voir ses erreurs laisse entendre qu'il pourra tolérer la franchise de ses collaborateurs et subordonnés, capables de court-circuiter une catastrophe. En étant critiqués à longueur de journée, la capacité des présidents à trier le bon grain de l'ivraie, à savoir ce qu'ils peuvent ignorer et ce qu'ils doivent travailler nous donnent de bonnes indications sur la qualité de leur jugement. 

Paradoxalement bon signe?

On ne compte plus les tasses à café, les séminaires de coaching et autres calendriers remplis d'aphorismes sur les vertus de l'échec en tant qu'outil d'apprentissage, mais nos candidats ne nous montrent jamais comment ils ont su en tirer parti, ni même, et c'est plus important, s'ils sont capables d'en tirer parti. Nous devrions savoir s'ils sont têtus comme des mules, s'ils sont déterminés ou s'ils veulent «rester dans la course» simplement pour combler un manque psychologique.

Ronald Reagan avait une bien jolie façon de le formuler:

«Quand vous faites une erreur, voilà ce qui devrait se passer. Vous prenez vos coups, vous retenez vos leçons, puis vous passez à autre chose. C'est la façon la plus saine de gérer un problème. Vous apprenez. Vous mettez les choses en perspectives. Vous reprenez des forces. Vous changez.»

Ici, Reagan admettait que son administration avait tenté d'échanger des armes contre des otages. Il fait partie des rares présidents contemporains à avoir reconnu une erreur. Kennedy, aussi, avait battu sa coulpe après la Baie des Cochons. Mais il s'agissait de deux cas extrêmes. Ces deux hommes devaient faire quelque chose pour restaurer leur réputation après un coup presque fatal porté à leur administration. Peut-être faut-il voir un signe de bonne santé politique dans le fait qu'Obama n'ait pas été obligé de reconnaître ce genre de désastre.

Pour quiconque a suivi la campagne actuelle et vu comment une succession de gaffes absurdes et hors-sujet l'ont fait tourner en rond, l'esquive du président peut paraître sensée. L'auto-critique est sans doute admirable et désirable, mais l'auto-immolation est stupide. Obama ne se présente pas à la présidence d'une thérapie de groupe remplie d'individus compréhensifs. Il se présente à quelque-chose qui en est l'exact opposé. Nous devons donc partir du principe que son adversaire et lui savent gérer leurs erreurs. Car en général, quand nous apprenons qu'ils sont capables de les reconnaître, c'est uniquement quand elles sont vraiment énormes.  

John Dickerson

Traduit par Peggy Sastre

(1) Journaliste américain qui officie sur CBS et PBS. Retourner à l'article

(2) Tom Daschle était un proche d'Obama que ce dernier avait nommé en 2009 secrétaire à la Santé pour mener sa réforme emblématique, l'Obamacare. Mais Daschle avait des problèmes avec le fisc (120.000 dollars d'impayés) et avait renoncé au poste. Retourner à l'article

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