Culture

New York, raconte-moi l'Amérique

Quatrième épisode de notre série sur les villes au cinéma.

«Il était une fois l'Amérique»
«Il était une fois l'Amérique»

Temps de lecture: 10 minutes

Un épisode ne suffit pas pour New York. Suite de notre exploration de la ville-personnage au travers des grands lieux qui symbolisent, pour tout terrien qui se respecte, la ville du futur, celle du rêve et du cauchemar, le personnage monstre d’une cinématographie fleuve.

The grass is always greener on the other side

Au cœur de Manhattan se niche l’un des plus grands parcs du monde (environ la superficie du 8e arrondissement parisien), le bien-nommé Central Park. Construit en 1873, il connaît une période faste jusqu’en 1929 puis la désolation s’en empare avec la crise (des bidonvilles y verront même le jour). Il remonte ensuite la pente jusque dans les années 1960 et devient durant les seventies un lieu à deux visages: hippie le jour, coupe-gorge la nuit. Dealers, junkies et autres marginaux sont délogés lors du grand «nettoyage» opéré dans les années 1980 (dont Times Square bénéficia aussi) et le parc renoue alors avec son public privilégié: les familles, les touristes et les joggeurs.

C’est d’ailleurs grâce à un aspirant coureur que l’on découvre le parc en 1976, dans Marathon Man de John Schlesinger. Dès les premières minutes, après un prologue mystérieux dans le quartier des diamantaires à New York, on assiste à l’entraînement de Babe Levy (Dustin Hoffman) qui désire concourir au prochain marathon de New York. Longeant l’immense lac artificiel creusé dans le parc, Babe transpire sous son maillot et croise d’innombrables congénères (la mode du jogging explose aux Etats-Unis à la fin des années 1970).

Séquence servant à la fois d’ouverture et de fin au film (il retourne près du lac et y balance une arme) comme une boucle narrative, cette séance sportive donne le rythme haletant au métrage (une course que Babe doit mener pour sauver sa peau) tout en le situant pleinement dans un lieu et une époque très marqués.

Symbole de la nature et de la liberté, Central Park est le refuge des hippies dans les années 1960. Le film Hair de Milos Forman (1979), qui narre le refus d’un jeune homme de partir à la guerre du Viêt-Nam ne pouvait pas faire l’économie d’une scène au vert.

Hair débute par Aquarius, morceau new-age psyché, entonné par la joyeuse bande de chevelus en plein Central Park. Le groupe, suivi par la police montée (incarnation du pouvoir coercitif à combattre) dont les chevaux eux prennent parti pour les beatniks, s’ébat dans des danses suggestives prônant la paix et l’amour. Les chorégraphies en plein air teintées des couleurs automnales et les pelouses à perte de vue concourent à créer une bulle d’oxygène et à faire oublier la menace d’emprisonnement pour désertion qui pèse sur le personnage principal (menace incarnée par la ville tentaculaire qui ceinture cet havre de paix). Central Park s’offre un rôle de choix: celui de figure protectrice des marginaux et autres objecteurs de conscience.

Une fois n’est pas coutume, c’est un Français qui s’empare de l’iconique parc en 1994. Dans Léon, Luc Besson met en scène un quasi spin-off de Nikita. Victor le nettoyeur est devenu Léon (nettoyeur aussi). Entre deux assassinats, il bichonne son unique amour, sa plante verte, jusqu’à ce qu’une jeune fille, Mathilda, déboule dans son existence.

Les films de Besson commencent souvent par un travelling (du moins jusqu’au Cinquième élément). La mer pour Le Grand Bleu, des pavés mouillés pour Nikita et Central Park pour Léon, une manière de poser d’emblée ses valises dans la Grosse Pomme, de s’approprier la ville.

Scène d’ouverture du film, c’est aussi dans un parc que le film s’achève (Mathilda met la plante verte rescapée du massacre dans le jardin de son école loin du centre-ville). Les dernières images montrent une skyline de New York, indiquant qu’il n’y a point de salut dans la ville et que s’en extraire est la condition pour survivre. Central Park n’est donc pas pour Besson l’horizon libertaire de Forman. Changement d’époque, changement de parc.

Retour à l’action en 1995 avec John McTiernan aux manettes. John McLane (Bruce Willis) s’apprête à passer un nouveau «jour difficile» dans Die Hard 3, une Journée en enfer. Un terroriste le balade d’une cabine téléphonique à une station de métro, chronomètre en main. Alors quand il doit s’engager sur Park Drive totalement embouteillé, pas d’autre solution que traverser Central Park au volant d’un taxi. Dans cette scène ébouriffante, McLane slalome entre les inévitables joggeurs, insulte les flâneurs et donne une vision unique et iconoclaste du calme parc. Oser une scène de poursuite urbaine en milieu naturel fallait y penser. McT l’a fait!

Enfin quand on dit parc, on pense bestiole. Au diable les écureuils, c’est un singe géant qui s’y promène en 2005. Dans King Kong, Peter Jackson ramène le primate à New York (comme dans l’original de 1933) mais il lui offre un détour par Central Park. De nuit, sous la neige, le gorille traverse le parc jusqu’au lac gelé où il embarque sa partenaire, Naomi Watts dans un duo de patinage artistique insolite.

Mi-drôle (les gesticulations et chutes du singe) mi-mièvre (les clichés romantiques les plus éculés sont repris sans recul ni second degré), la scène propose toutefois un parc nocturne et illuminé comme à l’approche de Noël, quant au décor immaculé, il fait merveille. Demi-réussite pour ce ballet incongru.

Last exit to New York

Nombreux sont les films où les héros tentent de quitter New York et la meilleure issue de sortie s’appelle Grand Central Station. La plus grande gare du monde (44 quais) ressemble au cœur de Manhattan, sans cesse animé du flux et reflux de voyageurs, réseau ferroviaire qui irrigue les provinces d’Albany et pulse jusqu’au Connecticut.

Dans La Mort aux trousses (1959), quand Roger Thornhill, pourchassé tente de filer à l’anglaise, ses pas le mènent inévitablement à Grand Central. Se fondre dans la masse grouillante de passants, disparaître, tel est l’espoir du personnage. Grâce à un espace incroyable et une géométrie de mouvement inespérée pour un metteur en scène (la chorégraphie des allées et venues incessantes et le personnage pivot à suivre dans cette marée humaine), Grand Central offre tous les ingrédients nécessaires à une séquence de suspense. Quant à la notion de gare, elle permet d’introduire de nouveaux personnages sans heurter le principe de réalité (Eva Marie Saint apparaît dans le film à cette occasion). Autant esthétique que narrativement utile, Grand Central conjugue tous les avantages.

En 1984, dans Cotton Club (le célèbre club de jazz new-yorkais des années 1920/1930), Francis Ford Coppola met en scène un final magistral qui se déroule simultanément entre le Cotton club et Grand Central Station. Les danseurs du club, habillés en contrôleurs ou porteurs de valises virevoltent sur la scène et en parallèle se retrouvent à terminer leurs chorégraphies dans les allées de la gare. Ce télescopage de deux lieux emblématiques de la ville est mené tambour battant, chacun répondant à l’autre à coups de claquettes et de pas de danse. Ça swingue à Grand Central Station!

En 1993, Brian De Palma retrouve Grand Central Station (1) pour une scène tout aussi bluffante. Dans L’Impasse, il suit à hauteur d’homme Al Pacino dans un plan séquence implacable (du métro aux escalators de la gare). Grand central déploie alors tout son potentiel. Ça monte, ça descend, ça arrive de droite, de gauche. Les angles verticaux prennent peu à peu la place des horizontaux lorsque la course poursuite se joue non plus sur un plan mais sur plusieurs étages. Un travail d’orfèvre rendu possible par les qualités spatiales inouïes de la gare.

L’Impasse partie 1 :

 

http://www.metacafe.com/watch/an-C1uUn7b24hbJmm/carlitos_way_1993_grand_central_chase_scene_part_4/

L’Impasse partie 2 :

http://www.metacafe.com/watch/anC1uUnY224hntY/carlitos_way_1993_grand_central_chase_scene_part_5/

Under the bridges

Pour les piétons, direction Grand Central, mais les automobilistes eux sont priés de prendre les ponts. Artères qui relient l’île de Manhattan au reste de la ville, ils jouent un rôle non négligeable dans l’imaginaire des spectateurs.

Le pont Verrazano sert de jonction entre deux mondes: Brooklyn la prolétaire et Manhattan la bourgeoise (en passant par Staten Island). Le héros de La Fièvre du samedi soir (1978), bloqué dans son quartier où son avenir se résume à vendre des pots de peinture, hésite devant les possibilités que le pont incarne. Le passer, c’est tourner le dos à sa famille, ses racines et embrasser le «rêve américain». Un des personnages y perdra d’ailleurs la vie et Tony Manero (John Travolta) finira par passer le Rubicon (pardon l’Hudson) pour changer d’existence.

Autre pont entre Brooklyn et Manhattan et autre film. Le pont de Manhattan dans Il était une fois en Amérique (1984). Omniprésent dans le dos des personnages, il squatte même l’affiche du métrage de Sergio Leone. Dans les années 1920 dans le quartier juif du Lower East Side (Manhattan), Noodles (Robert de Niro) et Max (James Woods) se lancent dans la carrière de gangsters. Prohibition, pègre, violence, tous les éléments du film noir sont rassemblés dans cette fresque, qui par l’entremise du destin des deux personnages raconte une autre histoire de l’Amérique.

Le pont, jamais traversé par les héros (ils sont déjà au cœur de New York) tient lieu de témoin de l’évolution de la mafia en terre américaine et devient lors d’une scène mémorable le décor du meurtre d’un des amis de Noodles. Sonnant la fin de l’innocence, cette séquence fait passer un cap aux héros, «écrasés» par la présence de ce pont monumental, qui devient alors le symbole de cet instant où tout a basculé. Ils jouent dorénavant dans la cour des grands. L’histoire est en marche…

Au milieu des années 1990, les films catastrophe retrouvant du poil de la bête, Roland Emmerich, le spécialiste ès destructions jette son dévolu sur un monstre de cinéma célèbre: Godzilla. Pourquoi le saurien ne fracasse-t-il que Tokyo? Telle fut la question que le réalisateur allemand a dû se poser. Etant donné que Godzilla est l’émanation cathartique du traumatisme atomique nippon, autant qu’il aille tailler des croupières aux ricains dans la plus symbolique de leurs cités, à savoir New York.

Une fois le Kaiju (monstre de cinéma japonais) dans la Grosse Pomme, il s’attaque à tous les symboles de la puissance américaine et inévitablement un pont se retrouve dans son collimateur. Le pont de Brooklyn est ainsi au centre d’une séquence apocalyptique où, à la poursuite d’une voiture engagée sur le pont, Godzilla explose le monument dans un déluge d’effets spéciaux très réussis.


Godzilla 1998: épilogue par fuzz59

Nombre de réalisateurs new-yorkais ont utilisé les silhouettes des ponts qui dessinent l’horizon de la ville. Woody Allen, Abel Ferrara ou encore Martin Scorsese. Dans Gangs of New York (2002), ce dernier met en scène l’unification de la ville autour de ses cinq boroughs (Manhattan, Brooklyn, le Bronx, le Queens et Staten Island) et clôt son film par une skyline de Manhattan de 1863 à 2000, incluant nécessairement un pont, symbole de cette ville entre ciel et mer.

L’île mystérieuse

A l’extrême sud de Brooklyn, se trouve une péninsule nommée Coney Island. Plages, hôtels et parcs d’attractions ont fait de ce lieu un incontournable de New York, aux antipodes de l’urbanisme moderniste de Manhattan. Plus grande concentration d’attractions de tous les Etats-Unis, Coney constitue jusque dans les années 1940 la balade privilégiée des familles mais la recrudescence de gangs et l’édification d’autres lieux de loisirs détournent le public de Coney (Disneyland en Californie ouvre en 1955). Luna Park ferme ses portes en 1944 suivi en 1964 par Steeplechase Park. Zone moribonde, désaffectée, Coney renaît au tournant du millénaire, offrant ses plages et ses fameux hot-dogs (l’institution Nathan’s Famous inaugurée en 1916 et toujours en activité) aux New-Yorkais en mal de plein air.

Pour découvrir le visage de Coney Island au faîte de sa gloire, rien ne vaut Fatty à la fête foraine, film muet de Roscoe Arbuckle tourné en 1917. On y découvre pêle-mêle des auto-tamponneuses, des montagnes russes, une parade et le court-métrage se termine sur la plage pour des activités balnéaires pour le moins loufoques. Buster Keaton, «l’homme qui ne rit jamais» y fait ses quasi-débuts, époque où l’acteur sourit encore lors de ses gags. Petit tour d’horizon de l’ambiance de Coney, joyeuse, festive et populeuse.

Changement de décor drastique en 1979 dans Les Guerriers de la nuit de Walter Hill. Film violent où un gang pourchassé à tort toute une nuit par tous les délinquants de la ville doit traverser New York pour réintégrer ses pénates à Coney. Au lever du jour, dans un Coney Island désert et mal famé, le gang doit livrer son dernier combat sur la plage.

Cette vision déprimante du quartier est pourtant une image plutôt fidèle de Coney avant sa réhabilitation. Rues désolées, monceaux de détritus, immeubles en ruines, le Coney de Walter Hill montre une zone qui a pris la crise de plein fouet, une image bien éloignée des lumières de fête d’un parc d’attraction mort depuis longtemps.

Un autre coin de Coney, Brighton Beach s’est vu offrir les faveurs du grand écran. En 1994, James Gray (qui y a traîné ses guêtres adolescent) y réalise Little Odessa (l’autre nom de Brighton Beach). Quartier russe et populaire, la petite Odessa sert de théâtre au film tragique de Gray.

Sur fond de déchirement familial (un fils devenu assassin revient chez lui), Gray brosse le portrait d’un endroit qu’il connaît bien. Entre chômage, perspectives d’avenir nulles et morosité contagieuse, Brighton Beach se rapproche de l’ambiance dépeinte par Walter Hill quinze ans plus tôt. Le désœuvrement et la violence règnent à Little Odessa, bien loin des images idylliques de Manhattan. New York recèle de nombreuses facettes. Brighton Beach est l’une d’elles. Pas la plus vue au cinéma, mais certainement une des plus sombres.

Un autre réalisateur new-yorkais trouve Brighton Beach à son goût. Pour Requiem for a Dream (2000), Darren Aronofsky filme les plages (et le célèbre ponton où Jennifer Connelly se penche déjà dans Dark City) avec une certaine mélancolie. Harry (Jared Leto) et Marianne (Jennifer Connelly), paumés chroniques et amoureux sont ancrés dans cet univers d’un autre temps.

Autrefois heureux, le lieu désolant aujourd’hui marque son empreinte sur ces personnages en quête d’un ailleurs meilleur. Leur lente mais inexorable descente aux enfers semble liée au destin de Coney, autrefois lieu de tous les plaisirs devenu un no man’s land.

Ville cinématographique, plus ancrée dans le Septième Art que la Mecque matricielle Los Angeles, New York s’offre aux caméras depuis près de cent ans.

Si les cinéastes de tous horizons l’ont filmée sous toutes les coutures, la cité reste profondément marquée dans ses représentations par l’entre-deux-guerres (époque de la prohibition). Celle qui fut le modèle de la ville futuriste de Fritz Lang pour son Metropolis n’a pourtant jamais cessé de se réinventer au fil du temps.

Babylone moderne, elle condense à elle seule l’iconographie du XXe siècle et l’histoire des Etats-Unis, devenue un peu la nôtre par la grâce du cinéma.

Ursula Michel

Article mis à jour le 20/08/12: une première version de cet article expliquait que la scène mythique des Incorruptibles dans une gare quasiment déserte avait été tournée à Grand Central Station, à New York. Brian de Palma a en fait tourné cette scène dans la gare de Chicago, et nous allons de ce pas dévaler les marches de la gare la plus proche tel le landeau du Cuirassé Potemkine pour nous punir de cet erreur. Retour à l'article

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