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«Un jour j’irai à New York avec toi», proposait Téléphone en 1985. Mais pour imprimer sur sa rétine la mégapole américaine, pas la peine d’attendre Jean-Louis (trop long) ni même un avion (trop coûteux), le cinéma offre depuis près d’un siècle une virée touristique idéale dans la ville qui ne dort jamais.
Aucune cité au monde ne peut se prévaloir d’être à ce point identifiable ou reconnaissable au premier coup d’œil. New York, c’est le fantasme urbain par excellence, la ville cinéma où chaque bout de trottoir, chaque touffe d’herbe fut, au moins une fois, immortalisé par une caméra. Petit tour des grands lieux qui symbolisent, pour tout Terrien qui se respecte, la ville du futur, celle du rêve et du cauchemar, le personnage monstre d’une cinématographie fleuve.
La Statue de la liberté
Cadeau de la France pour fêter le centenaire de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis, la Statue de la Liberté, inaugurée en 1886, garde depuis ce jour l’entrée de New York. Symbole de liberté, elle est la première image à frapper les nombreux migrants du début du siècle arrivant par bateaux.
Dès 1917, la grande dame et son flambeau font d’ailleurs une apparition dans The Immigrant de Charlie Chaplin. Sur un rafiot bourré d’étrangers, le regard plein des possibles qu’incarnent alors le Nouveau Monde, Charlot voit apparaître la fameuse statue, gage de jours meilleurs même si, comique oblige, le film tentera de démontrer que les vœux pieux ne suffisent pas à changer les mentalités.
En 1998, dans Titanic de James Cameron la Statue reprendra ce rôle de vigie, annonciatrice d’une terre quasi sainte. Après le naufrage du paquebot (1912), alors que le personnage campé par Kate Winslet arrive enfin à destination, elle se dépouille de son ancien patronyme sous le regard de la Statue pour endosser une nouvelle identité (Rose Dawson). Une terre nouvelle pour une vie réinventée, voilà ce qu’incarnent les Etats-Unis par l’entremise de la Lady. Sorte de déesse protectrice de New York, elle guide (elle fut à ses débuts un phare), souhaite la bienvenue aux exilés et incarne le rêve américain.
Mais au jeu du symbole libertaire, Splash de Ron Howard frappe un grand coup. La belle blonde Daryl Hannah se baladant totalement nue (c’est une sirène, alors les contingences vestimentaires, elle s’en fout un peu) devant la Statue demeure un moment émoustillant, qui prend au pied de la lettre la notion de liberté (à 3'06).
Mais la Statue de la Liberté n’a pas eu que le bon rôle d’hôtesse new-yorkaise. En 1942, Alfred Hitchcock a l’idée, non pas de filmer la Statue de loin, comme une silhouette, mais plutôt de faire de son corps un lieu de tournage. Dans son film d’espionnage La Cinquième colonne, le combat final qui oppose le héros injustement accusé au saboteur se déroule à l’intérieur du monument. Offrant des vues jusqu’alors inédites sur grand écran (l’intérieur de la tête, du flambeau, des vues sur la skyline de Manhattan…), le réalisateur britannique inscrit dans le patrimoine mondial cinématographique Lady Liberty.
Si les metteurs en scène ont eu à cœur de filmer la Dame sous toutes ses coutures, la mettre à sac devint bientôt un leitmotiv. Sa destruction s’est imposée au fil des films catastrophe comme un passage obligé. En 1998, elle est submergée par les eaux dans Deep Impact. Même traitement en 2004 dans Le Jour d’après.
Seul Matt Reeves propose une fin plus insolite dans Cloverfield. La pauvre se fait décapiter par la bestiole géante qui attaque la ville. On ne voit d’ailleurs pas l’«attaque» à proprement parlé (à la différence des deux fins du monde précédentes) mais uniquement sa tête qui déboule devant les personnages médusés.
Tête diablement importante car Roland Emmerich la fait réapparaître plus tard dans son Jour d’après, dérivant sous l’eau qui a envahi les rues de la Grosse Pomme (images empruntées à la bande-dessinée de 1968 Valérian, La Cité des eaux mouvantes de Jean-Claude Mézières).
Multiplement mutilée (l’affiche de New York 1997 propose elle aussi une Statue en sale état) à longueur de pellicule, elle trouve tout de même le salut dans le calamiteux 4e épisode des aventures de Superman. Alors que Nuclear Man (le méchant) enlève le monument de son socle pour le projeter sur de pauvres passants, Superman parvient à stopper la chute de la dame de cuivre, toute la séquence soutenue par des effets spéciaux d’un cheap absolu!
Mais il peut arriver que la vieille dame se réveille et se venge de tous les outrages cinématographiques qu’elle a subis. Dans Ghostbusters 2, les chasseurs de fantômes se retrouvent aux commandes de la statue qui, animée, se met à déambuler dans Manhattan pour mettre la pâté au méchant du film. Elle incarne alors plus que jamais la libératrice, plus seulement symbolique posée sur son piédestal mais en mouvement et sacrément efficace.
Toutes ces destructions (ou tentatives) ne sont rien comparées à la dernière séquence (mythique) de La Planète des singes. Représentante de New York voire des Etats-Unis dans la plupart des films où elle fait de la figuration, la Statue de la Liberté devient, grâce au cinéma en 1968, le symbole de la Terre. Alors que George Taylor (Charlton Heston) désespère de pouvoir un jour quitter la planète simiesque pour retourner sur la terre, il découvre le long d’une plage déserte les restes de la statue, ensevelie sous le sable. Plutôt qu’un voyage à travers l’espace, le film de Franklin J. Schaffner n’était donc qu’un voyage dans le temps. Ce twist final reste l’un des plus ébouriffants et tragiques jamais tournés et l’apparition la plus marquante de la Statue.
planète des singes : séquence finale par Luciole_lucide
Enfin, même Paris peut prendre des airs de New York. Dans son polar Frantic, Roman Polanski, persona non grata aux Etats-Unis, s’amuse à paumer un Américain (Harrison Ford) à Paris. Lorsque celui-ci se réveille sur une péniche, il se croit de retour dans la Grosse Pomme à la vue de la Statue. Mais le trompe-l’œil s’estompe vite et le héros comprend qu’il observe en fait une réplique miniature, sise sur l’Ile aux Cygnes depuis 1889. Pied de nez du metteur en scène, qui faute de pouvoir filmer la vraie statue, se joue de cette interdiction de territoire, et s’offre un bout d’Amérique en plein Paris.
Times Square
Lieu de réunions spontanées (manifestations, réveillons…), Times Square se présente aujourd’hui comme le carrefour du consumérisme, la place clinquante du capitalisme et le point de ralliement de tous les touristes. Mais l’histoire de Times Square est loin d’être linéaire et c’est vers le cinéma qu’il faut se tourner pour mieux comprendre les différentes époques et ambiances qui s’y sont succédé.
Après l’installation du quotidien New York Times au début du siècle (qui donne son nom au fameux square), l’endroit devient la Mecque des théâtres et des cinémas. Plus de 70 salles de spectacle y ont pignon sur rue, éclairant de leurs façades lumineuses l’artère culturelle de la ville.
Mais les temps changent et les quartiers aussi. La Grande Dépression inaugure une nouvelle ère pour Times Square. Celle de la délinquance. Le célèbre carrefour devient le symbole de la décrépitude morale, entre peepshows et dealers d’héro.
En 1976, avant que le «ménage» ne commence à New York, Times Square est un lieu malfamé et dangereux. Martin Scorsese trouve alors le décor idéal de son Taxi Driver. Travis (Robert de Niro), vétéran du Viêt-Nam, arpente inlassablement le quartier à bord de son taxi et le spectacle de la corruption et de la prostitution qui y règnent sert de déclencheur à sa folie meurtrière. Times Square, métaphore d’un monde perverti, queue de comète de l’utopie hippie qui a échoué, offre au réalisateur un visage à mille lieues de celui mis en image aujourd’hui dans Phone Game par exemple (2002).
Image d’Epinal de Times Square, le film de Joel Schumacher égrène les clichés habituels du lieu (masse grouillante de passants, affiches publicitaires géantes). De jour et plus de vingt ans après, force est de constater que Times Square a été «karchérisé» en regard de la version glauque de Scorsese.
Mais, le Septième Art peut (et doit) surtout revisiter ou fantasmer des lieux notoires pour mieux les imprimer dans des versions «originales sur nos rétines de spectateur. Le réalisateur Cameron Crowe offre ainsi le trip ultime d’un Times Square désert dans Vanilla Sky (2001).Vision onirique ou cauchemardesque, l’absence de voitures, de piétons et de vie dans le cœur de Manhattan fait frissonner de plaisir (profiter égoïstement d’un lieu unique) et de peur (la normalité bouleversée synonyme de cataclysme).
Poussant plus loin ce nihilisme, Francis Lawrence ne se contente pas de vider Times Square. En 2007, dans Je suis une légende, il met en scène un décor post-apocalyptique, mi-urbain (les immeubles toujours debout) mi-jungle (la nature a repris ses droits) qui fascine tout autant qu’il effraie. Le symbole de notre civilisation rendu aux lianes et aux bêtes féroces nous rappelle ainsi la fragilité de notre monde.
Et Central Park, Grand Central Station, les ponts new-yorkais ou encore Coney Island? La balade se poursuit dans le volume 2 de New York au cinéma.
A suivre...
Ursula Michel