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GRIPPE A(H1N1): avec 50 millions de vaccins, la France met la dose

Le ministère de la Santé travaille sur les hypothèses les plus sombres.

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Totale confusion. Le ministère français de la Santé a relativisé auprès de Slate.fr, dans l'après-midi du 30 mai, les informations selon laquelle la France venait de décider d'acquérir au plus vite 100 millions de doses de vaccins antigrippaux et ce pour un montant d'un milliard d'euros. Pour autant, la porte-parole de Roselyne Bachelot m'a confirmé que dans le cadre de la lutte préventive contre la nouvelle forme de grippe le gouvernement Fillon avait, il y a deux semaines, préempté 50 millions de doses d'un futur vaccin «pandémique» contre l'infection par le virus A/H1N1, et ce auprès de la multinationale GlaxoSmithKline. Ces 50 millions de doses permettraient de protéger 25 millions de personnes étant entendu qu'il faudra, cette fois, deux injections vaccinales pour chacun.

Des négociations complémentaires sont en cours avec d'autres grandes multinationales susceptibles de produire un vaccin similaire, au premier rang desquelles  Sanofi-Pasteur et Novartis. L'hypothèse retenue est celle des scénarios épidémiques les moins favorables et il n'est nullement exclu de constituer, si nécessaire, un stock global national de cent millions de doses. Aucune décision n'a toutefois encore été prise quant à savoir si le futur vaccin ne protègera que contre le nouveau virus ou s'il protègera aussi contre ceux de la prochaine grippe hivernale.

En toute hypothèse, ces vaccins ne pourront pas être prêts avant septembre. Les incertitudes demeurent quant au coût de telles décisions. Et aucune précision n'est donnée quant au fait de savoir si le moment venu la vaccination se fera — comme pour la grippe hivernale — sur la base du volontariat ou si des mesures contraignantes pourraient être prises.

S'émouvoir? S'inquiéter? S'indigner? Dire d'abord qu'une telle décision est en parfaite cohérence avec le caractère ambitieux — «maximaliste» ou «excessif» confient certains spécialistes — qui caractérise le plan français de lutte contre la pandémie. On sait que ce plan a été progressivement  mis en place depuis plusieurs années après  l'apparition du risque de transmission à l'homme du virus A(H5N1) de la grippe aviaire. Il est une traduction exemplaire de l'application du principe constitutionnel dit «de précaution».

La France n'est pas la seule à prendre de telles mesures. Ainsi la multinationale française Sanofi-Pasteur n'était pas peu fière d'annoncer il y a quelques jours à la presse internationale une première commande des Etats-Unis pour son futur nouveau vaccin; pour un montant de 190 millions de dollars. Et le gouvernement américain a d'ores et déjà fait savoir qu'il comptait investir un total d'un milliard de dollars sur ce thème. Enfin, jamais en reste quand il s'agit d'annonces-chocs l'Organisation mondiale de la santé réclamait il y a deux semaines  la production de «cinq milliards» de doses du futur vaccin.

Il m'est bien difficile de juger, dans l'urgence, de l'opportunité de la décision française. Mais force m'est bien d'observer, avec quelques spécialistes de diverses disciplines,  que cette décision est à très hauts risques sanitaires,  économiques et — peut-être demain — politiques. C'est que les équations sont ici à inconnues multiples. Question centrale: le futur vaccin dont on va commencer la fabrication industrielle sera-t-il efficace contre les virus qui circuleront en automne?

A dire vrai, nous traversons de bien étranges moments. Cinq semaines après l'émergence de cette nouvelle grippe, aucune personne au monde, aussi savante et compétente soit-elle, n'est capable de dire vers quoi nous nous dirigeons.

Un exemple.

La puissance de la virologie moderne a certes permis d'identifier le nouveau virus A(H1N1). Nous savons tout de son intimité moléculaire. Mais nous ne savons pas si (quand et comment) sa structure va évoluer au point d'en faire un agent pathogène hautement meurtrier. Nous avons cru qu'il était d'origine porcine avant que l'on nous affirme qu'il n'en était rien. Et voici qu'aujourd'hui une nouvelle étude, publiée dans l'hebdomadaire américain Science, laisse à nouveau entendre que le porc est très vraisemblablement le coupable.

Dirigé par Rebecca Garten, l'une des responsables des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies, ce travail a consisté à séquencer tout ou partie du génome de 76 souches du nouveau virus prélevées sur des personnes infectées. Conclusion: certes, les huit gènes qui composent le patrimoine héréditaire viral proviennent bien, comme on l'avait dit dès le départ, de virus connus pour être présents chez des porcs, des oiseaux et des humains. Toutefois les fractions d'origine porcine semblent relativement plus impliquées que les autres. Et dans  leur quête moléculaire de l'origine du mal, les chercheurs vont jusqu'à dire que le A(H1N1) a, selon toute vraisemblance, récemment émergé d'élevages de porcs situés en Amérique du nord et/ou en Eurasie.

La bonne nouvelle, selon ces chercheurs, c'est que la structure actuelle du virus (plus précisément la composition des protéines qui sont à sa surface) laisse penser qu'il ne devrait pas être trop difficile d'élaborer un vaccin. La mauvaise nouvelle, c'est que l'on sait que des hommes infectés peuvent contaminer des porcs. Le cas a été récemment observé en Alberta, au Canada. Et des porcs infectés par le A(H1N1) pourraient rapidement (re)devenir une forme de creuset vivant d'où pourrait émerger une nouvelle configuration virale, nettement plus dangereuse.

Pour l'heure nous sommes au mode conditionnel.  Le gouvernement français postule que non. Du moins avant l'automne.

Jean-Yves Nau

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