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Enregistrements de Mohamed Merah: ce que l'on a appris de nouveau

Les extraits des conversations tenues pendant le siège diffusés par TF1 et retranscrits par Le Monde donnent des informations inédites sur le parcours et les actes de l'auteur présumé des tueries de Toulouse et Montauban.

Capture d'écran de la vidéo de Mohamed Merah, datée de 2010, diffusée par France 2 le 21 mars 2012.
Capture d'écran de la vidéo de Mohamed Merah, datée de 2010, diffusée par France 2 le 21 mars 2012.

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TF1 a diffusé, dimanche 8 juillet, dans son émission Sept à huit, des extraits des longues conversations qu’ont eues les policiers et Mohamed Merah pendant le siège de l’appartement de ce dernier les 21 et 22 mars à Toulouse. Une diffusion qui a entraîné une vive réaction des familles des victimes du tueur, qui se sont dites «scandalisées», tandis que le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a estimé qu’«aucune précaution n'a été prise pour respecter les familles des victimes» et s’est interrogé «sur les moyens par lesquels le diffuseur a pu se procurer le dit enregistrement».

Le présentateur de l’émission Harry Roselmack a répondu à la polémique en affirmant que «ce document a une forte valeur ajoutée» et «donne des informations, des confirmations». Même argument chez Emmanuel Chain, le producteur de l’émission, qui parle de «document à forte valeur ajoutée», ou Catherine Nayl, la directrice de l’information du groupe, qui a estimé que ses journalistes n’avaient fait que leur métier et que le document diffusé contenait «des informations très importantes», des «informations nouvelles».

Les extraits sont à prendre avec précaution, d’abord parce que tout ce que Merah y affirme n’est pas forcément vrai. Ensuite parce qu’ils ne rendent pas compte de l’intégralité des échanges et qu’il n’est pas à exclure que les documents aient été fournis par un membre de la police, d’où l’ouverture d’une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGNP) pour violation du secret de l’instruction.

Mais les extraits choisis par TF1 contiennent plusieurs informations qui n’étaient pas disponibles au grand public avant cela, et que le document donne des détails inédits sur le déroulement des faits et le parcours de Merah, de même que l’article publié lundi par Le Monde, qui a également eu accès aux retranscriptions du même enregistrement.

Comment Merah s’est procuré de l’argent

Les extraits de TF1 répondent en partie à une question que beaucoup se posaient: comment Mohamed Merah a-t-il financé les préparatifs des tueries et le matériel utilisé pour les accomplir? L’intéressé dévoile un passage jusqu’ici inconnu de son parcours.

Mohamed Merah: «Je sais plutôt bien conduire en voiture,et on me payait pour aller d’un point à un autre […] Donc moi j’étais payé par des personnes du banditisme en les déplaçant à droite à gauche. Et si je croise la police, mon travail c’était de les semer très rapidement et voilà.»

Le Monde apporte plus de détails sur cet épisode:

Mohamed Merah: «J’ai réussi à faire quelque chose qui m’a rapporté au moins, facile, un peu plus de 10.000 euros d’un coup. […] ils ne connaissaient pas mon intention, pourquoi je faisais ça.»

D’autres attaques prévues

Mohamed Merah a commis trois attaques avant de se faire encercler dans son appartement, mais on savait qu’il avait planifié ou au moins fait des repérages en vue de commettre d’autres tueries, notamment Grande Rue Nazareth, devant l'école-collège Saint-Thomas d'Aquin. Les enregistrements dévoilent d’autres cibles potentielles.

Mohamed Merah: «J’avais plusieurs personnes dont je savais où ils habitaient. Je comptais opérer chez eux, t’as vu. Et à partir de là je savais que ça allait être vraiment chaud pour moi, qu’il y allait avoir des barrages, tout ça, et à ce moment-là, dès que j’aurais fait toutes ces opérations, j’aurais tout fait au culot, je serais entré dans les commissariats, j’aurais abattu le policier qui est à l’accueil, j’aurais abattu des gens dans la rue, des gendarmes qui circulent en voiture, aux feux rouges, j’aurais mis des guets-apens. J’allais faire tout au hasard et sans aucune préparation. […]

Crois-moi que je t’avais ciblé Hassan [l'agent de la DCRI qui avait rencontré Merah à plusieurs reprises, NDLR]. Allah a fait que ce n’est pas moi qui sera la cause de ta mort, peut-être que ce sera quelqu’un d’autre, peut-être que tu mourras d’une autre façon, t’as vu. Mais mon but c’était de t’appeler, de te dire que j’avais le nom, tout ça, te le donner, te faire un travail pour que tu viennes à moi, et t’en aurais pris une en pleine tête.»

Le Monde rapporte un autre extrait, absent de l’émission de TF1, où Merah explique qu’il avait également «repéré une maison juive où il y  avait beaucoup d’habitants dedans» et la «synagogue à Bagatelle», une cité de Toulouse.

L’attaque improvisée contre le collège Ozar-Hatorah

On savait déjà que Merah n’avait pas réussi à tuer un autre militaire et qu’il avait alors improvisé son attaque contre le collègre juif Ozar-Hatorah, le 19 mars. Un élément confirmé par l’enregistrement de TF1, mais avec une nuance: s'il n’avait pas prévu l’attaque pour ce jour-là, le collège était bien sur sa «liste».

Mohamed Merah: «J’étais en guet-apens, il [le militaire qu’il voulait abattre, NDLR] devait sortir, je devais moi apparaître devant lui et le tuer à travers le pare-brise. Mais il a ouvert le portail de la résidence de loin, ce qui a fait que quand il est arrivé près du portail, il n’a pas attendu, il est sorti directement. C’est à ce moment là que j’ai raté ma cible. […] Et à partir de là, j’ai repris le scooter et je suis passé comme ça, ce n’était pas prémédité, enfin si, je comptais le faire, t’as vu. Mais le matin en me réveillant ce n’était pas mon objectif. Je suis passé devant la synagogue…»

Ses liens avec al-Qaida et sa formation

Les différents voyages de Mohamed Merah et son entraînement au Pakistan étaient connus depuis le début de l'affaire ou presque. Mais là encore, des détails inédits sont révélés par les documents de TF1.

Mohamed Merah: «On m’a proposé de faire les bombes, je n’ai pas voulu. Je leur ai dit que voilà, les produits qu’il faut pour faire les bombes c’est surveillé en France, que je risquais de me faire arrêter avant même d’avoir […] quelque chose. Après voilà moi je leur ai dit "entrainez-moi que avec les pistolets". […]

Y’a des Français, y’a des Chinois, y’a des Tadjiks, des Afghans, des Pakistanais, des Américains, des Allemands, des Espagnols. Il y a de tout. J’ai croisé toutes sortes de personnes. [...]

J’ai mis environ une dizaine de jours pour trouver les frères. Le temps que je les rejoigne, parce que quand je suis arrivé là-bas, je n’avais pas le droit de sortir, je suis resté dans une pièce, je devais attendre. Ils ne savent pas qui je suis, d’où je sors, c’est pas n’importe qui qui rentre dans le groupe d’al-Qaida, j’ai gagné leur confiance, j’ai acheté mon arme, je me suis équipé, et j’ai toutes sortes de frères qui sont venus, des frères qui s’occupent de renvoyer des frères dans d’autres pays. On m’a proposé des attaques en Amérique, au Canada, etc. et moi je leur ai dit que comme j’étais Français, c’est plus facile pour moi et plus simple d’attaquer la France.»

L’agent de la DCRI: «Ils t’avaient demandé de tuer des personnes, de cibler des personnes en France? C’est quoi, des personnes en particulier, connues, des institutions, c’est quoi?»

Mohamed Merah: «Ouais c’était des personnes connues, c’était des personnes importantes, tuer certains diplomates, certaines personnes tout ça, t’as vu. […] Comme l’ambassadeur de l’Inde, ou l’ambassadrice, je sais plus si c’était une femme parce qu’à un moment on m’a parlé d’une femme. Certains ambassadeurs, certains journalistes je crois, pas des journalistes, des chefs de presse de certains pays t’as vu. Voilà, des personnes comme ça.»

Les négociations pour obtenir sa reddition

Catherine Nayl souligne, pour justifier la diffusion des extraits par sa chaîne, qu’ils prouvent que «jusqu'au bout du raid, les négociateurs ont essayé d'arrêter Mohamed Merah, et de l'arrêter vivant». Après le raid des policiers, une polémique était effectivement née autour de la durée du siège (32 heures) et de l’incapacité des policiers à capturer Merah vivant. Les documents de TF1 révèlent les efforts de l’agent de la DCRI qui l’avait interrogé quelques mois plus tôt pour tenter de l’amener à une reddition pacifique.

Mohamed Merah: «Je sais ce qui va se passer, je sais comment vous opérez pour intervenir, je sais que vous risquez de m’abattre, c’est un risque que je prends. Donc voilà, sachez qu’en face de vous, vous avez un homme qui n’a pas peur de la mort. Moi la mort, je l’aime comme vous aimez la vie.»

L’agent de la DCRI: «Maintenant qu’est-ce que tu veux faire?»

Mohammed Merah: «J’ai envie de me rendre mais il y aura rien, c’est flou.»

L’agent de la DCRI: «Pourquoi c’est flou? Il y aura rien. Tu sais, regarde, on a été réglos. Ils sont venus me chercher, je suis venu pour toi […] Tu sais que l’autre fois on s’est rencontrés, on a tissé des liens. Ici il n’y a que des professionnels, quand ils apportent leur promesse, ils la tiennent.»

Mohamed Merah: «Je connais le système français, je sais ce que je risque. Je vais prendre la peine maximale, trente ans de réclusion criminelle avec sûrement vingt-deux ans de sûreté. Voilà, je peux me dire aussi que j’ai rien à perdre. […] Si je me rends, ça aura servi à quoi tout ce que j’ai fait?»

L’agent de la DCRI: «Pour moi la seconde solution est la meilleure hein. Que tu te rendes comme ça au moins qu’on puisse en parler, et voilà.»

Comment il a trompé les renseignements français

La nature exacte de la relation entre Mohamed Merah et les services de renseignements français faisait l’objet de nombreuses interrogations. Certains ont même émis l’hypothèse selon laquelle il aurait ait servi d’informateur de la DGSE qui l’aurait fait rentrer en Israël. Début juin, l’avocate algérienne du père de Merah affirmait détenir deux vidéos prouvant cette hypothèse.

Les enregistrements ne mettent pas totalement fin à cette théorie, mais ils apportent plusieurs éléments sur la relation entre Merah et le renseignement français. Les extraits diffusés par TF1 montrent Merah expliquant comment il a volontairement trompé les policiers en adoptant un style «fashion», et s’étonnant que ses voyages n’aient pas plus attiré leurs soupçons.

Mohamed Merah: «Tu crois que je vais faire du tourisme au Pakistan et en Afghanistan? Qui t’as vu faire du tourisme dans ces pays-là?»

L’agent de la DCRI: «Toi tu me l’as dit.»

Mohamed Merah: «"Al harbe khoudaa", tu sais ce que ça veut dire? Ca veut dire la guerre est une ruse. J’ai fait plusieurs pays afin de trouver les frères. Quand je les ai trouvés, c’est quand j’ai été au Pakistan. […] Quand tu m’avais convoqué, quand j’étais dans vos bureaux, j’étais en contact avec eux, je les avais trouvés et tout […]. Ca je crois que c’est l’une des plus grandes erreurs de ta carrière. [...]»

Oui je vais en boîte […], je m’habillais d’une certaine façon qui montre que j’ai pas le profil de quelqu’un qui fait partie d’al-Qaida […]. J’avais fait une vraie coupe fashion, t’as vu, j’avais fait la crête, les cheveux longs, en arrière, dégradé espagnol sur le côté, tribal. J’avais fait tout ça, j’avais fait blond, ça fait partie de la ruse tu vois.»

Les retranscriptions diffusées par Le Monde montrent Mohamed Merah se moquant des policiers et de leur incapacité à prévenir ses attaques.

Mohamed Merah: «Je me suis même fait arrêter par les juifs en Israël, par les militaires irakiens à Mossoul, par les soldats algériens dans les montagnes de Boumerdès ou des montagnes collées à la région de la Kabylie où il y a tous les frères qui opèrent. Je me suis fait arrêter en Afghanistan.

Vous vous êtes complètement loupés parce que j’ai pu faire trois attaques, tuer plus de sept personnes et en blesser plusieurs. […] Si vous auriez été un peu  plus malins, vous auriez appelé des cyber-policiers. […] C’est pour ça j’ai vite trouvé des armes et vite attaqué.»

L’agent de la DCRI lui-même avoue à Merah qu’il n’a rien vu venir dans les extraits publiés par Le Monde.

L’agent de la DCRI: «On reprend la discussion qu’on a eue en novembre, et là bon, sur de bonnes bases quoi, avec un peu de sincérité. Parce que bon, tu m’as bien roulé dans la farine, hein, avoue-le. T’as été bon sur ce coup-là. […] On va se faire engueuler. […] On savait pas  grand-chose de toi. […] On se connait depuis un petit moment quand-même. […] Peut-être que tu t’es foutu de ma gueule au mois de novembre, quand on s’est reçu.»

Mohamed Merah: «Ecoute t’es mon ennemi tu vois? On combat face à face, tu vois, calibre à la main.»

Grégoire Fleurot

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