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Les arnaques à Saint Tropez

Les prix fous, les additions délirantes et la boule de glace à 4 euros font partie des coups de fusil détestables pour le moral et le portefeuille. Revue de détails.

Saint-Tropez, en 2010. REUTERS/Charles Platiau
Saint-Tropez, en 2010. REUTERS/Charles Platiau

Temps de lecture: 7 minutes

Les cinq millions de touristes qui envahissent la cité du bailli de Suffren (5.000 habitants hors saison) chère à Colette, Sagan et Bardot, doivent savoir où ils mettent les pieds: à Saint-Tropez, les prix fous, les additions délirantes et la boule de glace à 4 euros font partie des coups de fusil détestables pour le moral et le portefeuille. Revue de détails.

Sur le port, face aux yachts immobiles, la litanie est répétitive: une boutique de fringues, une agence immobilière et des bistrots à terrasse, snacks et trous dans les murs place des Lices où l’on débite des tagliatelles ou des penne bolognaise à manger sur le bitume (6 euros la portion). Les tarifs les plus cinglants concernent, cet été, les nourritures de rue (street food) telles les crêpes au jambon (sous plastique?) et fromage (industriel?) à 7 euros; au bout du port, après les yachts, les crêpes au chèvre à 18 euros ou au saumon et à la vodka (?) à 18 euros, le cocktail de fruits frais à 12 euros au Bar du Port.

Chez le Gorille, le croque-monsieur frites à 16 euros, les sardines (fraîches?) aux légumes à 16 euros à la Rhumerie. Au Café des Arts, en face des joueurs de boules, la tomate mozzarella à 14 euros, les légumes farcis à 22 euros, la salade mixte à 16 euros. Un peu plus loin, dans un troquet anonyme, les coquillettes (Lustucru?) au jambon à 22 euros, la pizzetta au loup (de pêche?) à 30 euros et le rosé de Bertaud Beaulieu à 72 euros la bouteille, pas donné.

Chez Sénéquier, adresse mythique, où l’on a fêté le 19 avril les 125 ans de l’ex-pâtisserie connue pour les nougats blancs et la tarte tropézienne (10 euros), on frôle les 600.000 clients dans l’année, un record mondial pour une ville de province. L’enseigne n’a jamais été un restaurant, mais on sert désormais des assiettes salées: la tarte aux anchois (9 euros), la salade de pâtes au saumon fumé (12 euros), des penne à la parmesane jambon de Parme (15,50 euros) et l’assiette anglaise à l’œuf dur (20 euros). Rendez-vous obligé des visiteurs et des locaux. Le «must» étant le petit déjeuner complet à 17 euros, le yaourt à 6 euros, le capuccino à 8 euros et le granité café ou chocolat à 11 euros cher à Danièle Thompson, la fille de Gérard Oury. On ferme à deux heures du matin.

Depuis l’origine, à la fin du XIXe siècle, la même famille tropézienne gère le fameux établissement, c’est la cinquième génération incarnée par Jean-Denis Sarraquine, un quinqua élégant, présent à la caisse; le propriétaire entend développer la légendaire brasserie et créer des succursales à travers le monde –Milan serait le premier maillon de la chaîne. Les pâtisseries restent le point fort du répertoire grâce au chef Philippe Grouiller, 48 ans, formé chez Ducasse et chez Alain Chapel à Mionnay: pour le jour anniversaire en avril dernier, son équipe de toqués a démoulé 3.500 feuilletés, gâteaux et bouchées de nougats (180.000 clients par an pour les délices sucrés).

Toute l’histoire de Saint-Tropez depuis le couple Martin et Marie Sénéquier, les créateurs en 1887, a défilé sur ces fauteuils de toile rouge —Chirac est un grand habitué– d’où l’on observe les badauds et flâneurs, la coque et le pont des yachts de milliardaires sirotant du champagne rosé –17,50 euros le 11 centilitres à la terrasse de Sénéquier.

Cela dit, l’ex-village de Saint-Tropez, archétype des vacances dans le vent, est loin de s’affaiblir, l’attraction de l’ancien port de pêcheurs cher au peintre Signac et à B.B. demeure vivante, en dépit des hordes de touristes qui arpentent les ruelles, les places et occupent les plages de Ramatuelle –la Voile Rouge démolie par la municipalité en est à la 72e procédure judiciaire! Oubliées les bouteilles de Cristal Roederer à 2.000 euros la bouteille.

Côté hôtellerie trois à cinq étoiles, les créations fourmillent: la rénovation de l’Hôtel de Paris va dépasser les 100 millions d’euros, le chef de Vonnas (Ain), Georges Blanc, sera le conseiller culinaire. Ouverture l’an prochain.

A la mi-juin, le White 1921 a remplacé la Maison Blanche, sur la place des Lices. Huit chambres et suites de 290 à 990 euros la nuit, décor zen de Jean-Michel Wilmotte, lounge et fauteuils club, vaste terrasse dans la cour ombragée où les champagnes de Bernard Arnault qui a une villa bien à l’écart sont à l’honneur: le verre de Krug à 42 euros, le Moët à 18 euros, le Clicquot rosé à 18 euros. Carte de restaurant réduite: melon et jambon à 32 euros, risotto à la truffe d’été à 41 euros, les 500 grammes de caviar à 4.000 euros et le café à 10 euros. Une adresse de nuit pour les noctambules sages.

Sur les hauteurs, loin des foules de curieux, au cœur d’une pinède de 10 hectares, se dresse le Château de la Messardière, authentique demeure du XIXe siècle, rénovée et agrandie en 1989. Ce lieu de mémoire, de style méditerranéen, recèle un chic fou à la fois kitsch et contemporain. Tourelles et coupelles, voûtes et colonnades modèlent l’espace. Les ocres provençaux rivalisent avec l’azur du ciel, le velouté des chambres (73) apaisent les ardeurs du soleil et la brise marine est bienfaisante, la nature préservée.

La beauté de l’endroit, côté architecture et décoration, enchante les pensionnaires, ainsi que le subtil mariage des styles, volutes de fer forgé, marbre de Carrare, terre cuite, bar anglais, statues Art Déco, et deux cygnes dans le bassin. Les œuvres de Victoire de la Messardière ornent murs et salons. L’art est partout présent dans ce cinq étoiles sans faux luxe –et pas de jet setter genre Flavio Briatore.

De ce promontoire truffé de pins parasols, la vue panoramique sur la campagne varoise et la mer au loin sont à elles seules une double bénédiction. Grâce à l’espace, le parc, aux massifs de fleurs, à l’air vivifiant, la Messardière de Gilles Gibier, propriétaire actif, est une superbe maison de vacances, les balcons, terrasses et jardins, chambres et suites (45) préservent l’intimité des résidents. Rares sont, sur la Côte d’Azur, les cinq étoiles aussi confortables –deux piscines, un spa– disposant d’autant d’atouts et de prestations: limousines pour rejoindre Saint-Tropez, personnel jeune, poli et dévoué.

En cuisine, Christian Farenasso, enfant de Toulon, étoilé au Cassiopée de Méribel et au Belvédère de Porto-Vecchio, a repensé depuis 2010 la carte des Trois Saisons, le restaurant gastronomique situé sur une large terrasse ouverte sur la nature inviolée et la grande bleue. Le dîner, dans la douceur de la nuit, est un moment choisi pour les hôtes.

La palette du chef panache les plats de la tradition sudiste: le denti en bouillabaisse, la brandade crémeuse de daurade royale aux herbes fraîches et les préparations issues des produits de saison comme les crevettes sauvages à la plancha au confit d’artichaut, les supions poêlés à la persillade de sauce au pistou, la truffe d’été au parmentier rafraîchi et tarte fine, le loup de ligne aux girolles et gratin de courgettes. Tout cela exécuté avec le respect des matières premières, les cuissons minutes et les assaisonnements appropriés. La bouillabaisse et les farcis sont ceux de Madame Farenasso, une mère cordon-bleu qui a su former le palais de son fils Christian.

Notez que le talentueux Farenasso, excellent pédagogue –deux chefs à ses côtés– bénéficie des trésors marins de Jean-Pierre Jouvenceau, l’un des derniers pêcheurs du Golfe de Saint-Tropez: les pagres, daurades royales, loups aux écailles argentées enrichissant la carte de douze plats avec quatre viandes dont le carré de veau de lait rôti à la plancha, crème de girolles et pommes cocotte. Soufflé chaud à l’orange, fruits rouges compotés en croustillant caramélisé. On voit mal comment l’étoile Michelin pourrait échapper à cette adresse de rêve.

Le menu «Table d’hôte» à 56 euros, le plat à 32 euros. Déjeuner à la piscine turquoise: la niçoise à 22 euros, la tomate et mozzarella à 18 euros. Aux Trois saisons, le dîner de 90 à 120 euros. Champagne Ruinart blanc de blancs à 28 euros le verre. Plus de 400 références à la carte des vins. Rosé de Minuty et Malherbe à 45 euros la bouteille. C’est la destination à conseiller dans la baie tropézienne.

  • Le Château de la Messardière Route de Tahiti 83990 Saint-Tropez. Tél.: 04 94 56 76 00. Chambres à partir de 260 euros selon la saison, forfaits de trois et six nuits, parking gratuit, hammam, salle de gym, plage Tropezina réservée aux clients, salons.

Les autres adresses: du haut de gamme aux enseignes de bon rapport qualité-prix

Résidence la Pinède. Sur la plage de la Bouillabaisse, sous les pins maritimes, un superbe Relais & Châteaux les pieds dans l’eau. Grand luxe et confort d’exception. Restaurant deux étoiles voué à la gastronomie méditerranéenne, additions cinglantes, langouste en deux services. Dîner de 170 à 280 euros. 35 chambres à partir de 400 euros, le luxe à la française. Tél.: 04 94 55 91 00.

La Bastide de Saint-Tropez. Calme et douceur dans ces quatre mas provençaux blottis dans la verdure au bord de la piscine. Une adresse sélecte, des prix sérieux. 16 chambres à partir de 450 euros. Carte de 50 à 80 euros. Route des Carles. Tél.: 04 94 55 82 55.

La Ponche. Tout l’esprit tropézien dans ces anciennes demeures de pêcheurs aux 17 chambres provençales à partir de 320 euros. Cuisine du marché, menu à 29 euros, carte de 60 à 86 euros. 3 rue des Remparts, place Richelieu. Tél.: 04 94 97 02 53.

Des Lices. Tout près de cette place très fréquentée, une demeure familiale loin du faux luxe et des prix fous. Piscine chauffée. Chambres à partir de 170 euros. Avenue Grangeon. Tél.: 04 94 97 28 28.

Lou Cagnard. Une maison du village au cachet provençal, petit déjeuner sous les arbres fruitiers à 11 euros. Chambres à partir de 76 euros. 18 avenue Paul Roussel. Tél.: 04 94 97 04 24.

Le Colombier. Petit hôtel bien tenu, à l’écart du port et de la foule. Chambres à partir de 95 euros. Impasse des Conquettes. Tél.: 04 94 97 05 31.

Le Girelier. Sur le port, à côté de Sénéquier, le restaurant de poissons et crustacés de la pêche locale mené par Aimé, un grand professionnel de l’accueil et de la bonne chère, ami du maestro trois étoiles Georges Blanc dont c’est la table préférée à Saint-Tropez. Daurades, loups, soles, paella (39 euros) et l’exquise bouillabaisse (69 euros). Menu à 39 euros. Carte de 70 à 90 euros. Rosé de Minuty à 19 euros le verre, Médoc de Peyrat-Fourthon à 55 euros. Jusqu’à minuit. Quai Jean Jaurès. Tél. : 04 94 97 03 87.

Spoon Byblos. L’adaptation tropézienne du restaurant ludique inventé par Alain Ducasse. Pour sortir des sentiers battus et des ritournelles culinaires, un style de restauration moderne, adapté à notre époque. Menu au dîner à 86 euros. Carte de 50 à 90 euros. Avenue Paul Signac. Tél.: 04 94 56 68 00.

L’Auberge des Maures. Un classique de la restauration tropézienne, les spécialités locales, la Provence dans les assiettes. Menu à 49 euros. 4 rue du Docteur Boutin. Tél.: 04 94 97 01 50.

La table du Marché. L’enseigne du chef Christophe Leroy, cuisinier traiteur et organisateur de fêtes, cuisine de tradition, canaille et sudiste. Prix remarquables, déjeuner à 19 euros, dîner à 29 euros. Plats et pâtisseries à emporter. 21 bis rue Allard. Tél.: 04 94 97 85 20.

Nicolas de Rabaudy

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