France

Yasser Arafat, le retour de la théorie de l'empoisonnement

Le polonium identifié à Lausanne sur des effets de l’ancien dirigeant palestinien est incompatible avec les conclusions des médecins militaires de l’hôpital Percy de Clamart en 2004. Le corps va être exhumé pour procéder à de nouvelles analyses.

A Gaza en 2009. REUTERS/Suhaib Salem.
A Gaza en 2009. REUTERS/Suhaib Salem.

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L'annonce de la découverte de traces de polonium dans les effets personnels de Yasser Arafat vient brutalement relancer la controverse quant aux véritables causes –jamais véritablement élucidées— de la mort de l’ancien président palestinien. Et concerne et embarrasse au premier chef les autorités françaises, puisque Yasser Arafat était mort à l'hôpital militaire Percy de Clamart le 11 novembre 2004.

Aujourd’hui, la présence de polonium-210 a été identifiée par l'Institut de radio-physique de Lausanne dans le cadre d’une expertise médicale conduite par le Pr Patrice Mangin (Centre hospitalier universitaire vaudois, Lausanne), directeur du Centre universitaire romand de médecine légale, à la demande d'un journaliste de la chaîne qatarie Al Jazeera, qui a réalisé un documentaire sur la mort du leader palestinien.

«Nous avons pu avoir accès à différents documents du dossier médical de Yasser Arafat mais nous n’avons pas pu procéder à des analyses sur des échantillons biologiques: on nous a dit qu’ils n’avaient pas été conservés par les médecins militaires français, a déclaré à Slate le Pr Mangin. Nous avons néanmoins pu travailler sur des effets personnels comme des sous-vêtements ou un keffieh avec présence de taches d’origine biologique ou de cheveux. Leur caractère personnel a pu être établi grâce à des analyses d’ADN.»

C’est dans ce contexte que Patrice Mangin a demandé la collaboration de ses collègues de l'Institut de radio-physique de Lausanne. «Je peux confirmer que nous avons enregistré un niveau élevé inexplicable de polonium-210 dans les effets de M. Arafat qui contenaient des traces de fluides corporels», a pour sa part précisé François Bochud, directeur de l'institut suisse, dans le documentaire.

Une pathologie sanguine dénommée CIVD

Fin 2004, les médecins français avaient totalement exclu l’hypothèse —alors très fréquemment avancée— d’un empoisonnement de Yasser Arafat. Officiellement, le président de l'Autorité palestinienne était mort des suites d'une pathologie sanguine dénommée CIVD (pour coagulation intra-vasculaire disséminée, un bouleversement complet de l'ensemble des mécanismes qui assurent l'équilibre des processus physiologiques de la coagulation sanguine). Des sources évoquaient aussi la présence (controversée) d’une cirrhose hépatique d’origine alcoolique.

Le gouvernement français se refusait alors à lever le secret sur ce dossier médical mais diverses informations qui y étaient contenues avaient néanmoins pu être obtenues. On avait ainsi pu apprendre que le chef palestinien souffrait d'une grande altération de son état général et de troubles digestifs sévères.

On indiquait aussi de très bonnes sources que la prise en charge médicale était d'autant plus urgente et complexe que le chef de l'Autorité palestinienne souffrait, dès son admission en urgence le 29 octobre 2004 à l'hôpital militaire Percy, d'une CIVD. Ce syndrome se caractérise notamment par la formation d'une multitude d'embolies microscopiques dans les réseaux de la microcirculation sanguine de l'organisme. Sans traitement adapté, ce phénomène progresse rapidement et conduit à l'apparition d'hémorragies importantes aux conséquences potentiellement mortelles.

Les médecins militaires de l'hôpital Percy avaient alors pris d'emblée la décision de placer leur patient dans le service de réanimation médicale puis dans celui des soins intensifs. Ils avaient établi d'autre part très rapidement l'existence de lésions hépatiques. «Faute d'avoir pu, compte tenu des risques hémorragiques, pratiquer une biopsie du foie, nous n'avons pas pu conclure stricto sensu au diagnostic de cirrhose», nous avait alors précisé un médecin militaire. Officiellement, une origine alcoolique avait été exclue.

Conclusion négative sur l'empoisonnement

Durant l'hospitalisation, des bulletins de santé avaient été diffusés par Leïla Shahid, représentante de la Palestine en France, qui concluaient à l'absence de leucémie. Les médecins militaires et civils que j’avais alors interrogés pour Le Monde et qui avaient pu prendre connaissance du dossier estimaient généralement que des lésions hépatiques associées à la CIVD avaient été à l’origine d’une altération rapide de l’état de santé du raïs, et ce, en provoquant des phénomènes hémorragiques massifs.

Il y eut ainsi une défaillance multi-viscérale et l'apparition d'un tableau d'encéphalopathie, suivies d’une hémorragie cérébrale et d’un coma profond rendant la situation irréversible. Ces mêmes médecins indiquaient toutefois qu'aucun diagnostic ne pouvait être porté de manière indiscutable pour expliquer la CIVD. Ce phénomène n’est pas en effet une maladie en tant que telle mais le symptôme d'une pathologie qui, chez un patient de cet âge, est soit d'origine infectieuse, soit d'origine cancéreuse.

Les examens pratiqués avaient permis d'exclure les hypothèses d'infection d'origine virale ou bactérienne. Ils n'avaient pas, d'autre part, permis d'identifier de lésion cancéreuse. «Nous avons aussi très largement travaillé, avec des techniques sophistiquées, la question d'un possible empoisonnement avant, finalement, de conclure par la négative», assurait-on encore en novembre 2004 de source militaire.

«Proprement impensable»

Compte-tenu de l’importance diplomatique majeure de ce dossier, l'équipe médicale de Percy avait bénéficié de l'aide de quelques-uns des meilleurs spécialistes hospitaliers parisiens d'hématologie, de cancérologie et de médecine interne. En privé, plusieurs de ses membres ne cachaient pas leurs regrets et leur frustration de ne pas avoir eu, en dépit de leurs demandes, communication des données sur les antécédents médicaux du leader palestinien.

L’annonce des résultats obtenus par l'Institut de radio-physique de Lausanne est donc aujourd'hui en contradiction avec les examens menés par le Service de protection radiologique des armées. On indique de bonne source que différentes analyses avaient été réalisées sur des échantillons urinaires, et avaient permis d’exclure la présence de rayonnements radioactifs de type alpha, béta ou gamma, la recherche spécifique de polonium-210 n’ayant toutefois pas été effectuée. «Compte-tenu des caractéristiques spécifiques de cet élément radioactif, il est proprement impensable que les spécialistes français aient pu, en 2004, ne pas identifier du polonium si ce polonium est effectivement encore présent huit ans plus tard comme on le dit à Lausanne», confie cette source.  

Du polonium avait-il été alors trouvé à l’hôpital Percy mais à des doses trop faibles pour qu’il soit létal? Dans ce cas, aurait-on gardé le silence pour des raisons diplomatiques? Les symptômes rapportés ne semblent a priori pas compatibles avec un tableau d’intoxication aigue par cette substance (comme dans le cas de l’espion russe Alexandre Litvinenko en 2006).

Feu vert à l'exhumation

Pour autant la complexité du dossier et l’absence de certitudes diagnostiques laissent toujours place au doute, renforcé par la non-conservation d’échantillons biologiques de Yasser Arafat.

«On peut certes arguer qu’il ne s’agissait pas d’une procédure judiciaire et que cette conservation n’était pas nécessaire, mais il ne s’agissait toutefois pas d’un patient comme les autres, observe le Pr Mangin. Dès lors, en toute hypothèse, la recherche de la vérité demande de procéder rapidement à l'exhumation du corps et de pratiquer de nouveaux examens.»

La veuve d'Arafat a indiqué qu'elle allait faire des démarches dans ce sens. Selon elle, «il faut aller plus loin et exhumer le corps de Yasser Arafat pour révéler la vérité à tous les musulmans et au monde arabe». La dépouille est actuellement enterrée à Ramallah en Cisjordanie. Quelques heures après la diffusion du documentaire d’Al Jazeera, l'Autorité palestinienne a donné son feu vert à l'exhumation.

Jean-Yves Nau

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