Culture

Jonathan Caouette: «Je resterai le reste de ma vie coincé entre 1965 et 1982»

Le réalisateur inaugure notre premier «Entretien tablette»: nous remplaçons les questions par des images, photos, dessins, vidéos que nous présentons à l'interviewé pour le faire réagir.

Jonathan Caouette et sa mère dans Walk away Renee. DR
Jonathan Caouette et sa mère dans Walk away Renee. DR

Temps de lecture: 4 minutes

En 2003 atterrit sur les écrans Tarnation, le documentaire autobiographique et expérimental de Jonathan Caouette, qui brasse pêle-mêle des images super 8 de ses proches tournées par le jeune homme depuis son adolescence, des bribes de ses prestations dans des courts-métrages durant les années 1980 et des saynètes intimistes mises en scène.

Filmant sa famille dysfonctionnelle (un père qui a pris la poudre d’escampette, sa mère schizophrène, des grands-parents aimants mais largués), Jonathan Caouette invente l’autofiction cinématographique. Près de dix ans plus tard, il revient avec un autre documentaire, Walk Away Renée, où l’on retrouve la famille nucléaire qui a pris du plomb dans l’aile.

De retour à Houston, où il doit récupérer sa mère pour la ramener chez lui, Jonathan convie le public à son road movie, du Texas à New-York.

Pour cerner un homme d’images, quoi de mieux que des vidéos, qui toutes dans leur genre révèlent une facette, qu’elle soit biographique, artistique, philosophique, esthétique…
 

Incarnation de New York par ses activités artistiques, son mode de vie libéral (il est homosexuel, en couple et père d’un petit garçon) et sa culture underground, Jonathan Caouette n’en est pas moins un texan d’origine. Or quand on dit Texas en France, on pense instinctivement à Dallas, la série culte des années 80. Et Jonathan Caouette?

Je n'ai jamais suivi Dallas, je ne connais que le générique de la version années 1970. Mais je me rappelle avoir entendu le fameux «Qui a tué JR?» quand j'étais enfant. La seule chose que je puisse dire du Texas c'est que je ne souhaite à personne d'y être né en 1972 et de grandir à Houston dans les années 80 en tant que juif, gay, aspirant réalisateur avec une famille profondément dysfonctionnelle.

Ça a été dur de grandir là. Le climat était oppressant, homophobe et terriblement religieux. Je ne sais pas trop si c'est encore comme ça… Je ne me suis jamais senti attaché au Texas, peut-être parce que je mettais toute mon énergie à m’en détacher. Beaucoup de coins et particulièrement les grandes villes ont dû évoluer depuis mon enfance. Mais je ne crois pas que je pourrais y vivre aujourd'hui, même si Austin est un endroit génial.

Austin est un peu «anormale» par rapport au reste du Texas. Je pourrais peut-être y vivre un jour… mais certainement pas à Houston. Il y a trop de fantômes. Et puis ça fait 15 ans que je vis à New York, c'est chez moi maintenant.

Celui qu’on connaît comme documentariste de sa propre existence, les deux pieds ancrés dans la réalité, a des amours cinéphiliques pour le moins surprenantes. Son film culte? L’Exorciste!

Les films d'horreur des années 1970, c'est mon premier contact avec le cinéma. Ils m'ont profondément marqué. J'aime l'atmosphère qu'ils dégagent (les bons évidemment), le traitement psychologique et ésotérique qui les caractérise. Le sang et le gore m'intéressent peu. Mais l'idée que certains éléments, invisibles, sont laissés à l'interprétation du spectateur, cela me touche.

L'Exorciste demeure encore à ce jour mon film d'horreur fétiche. J'adorerai réaliser un film de genre un jour, un film impliquant des éléments surréalistes ou magiques, un cinéma qui bousculerait la façon de raconter une histoire, une voie qui n’aurait jamais été prise.

A part William Friedkin, une autre sensation forte pour moi fut Trois Femmes de Robert Altman. Je le considère comme un film d'horreur. Ca ressemble à un rêve, ou plutôt un cauchemar. Les seuls autres films à m'avoir bouleversé comme ça sont Persona et Mulholland Drive. Des films assez proches dans leur traitement. Je suis sensible aux films qui rappellent aux spectateurs qu’ils vivent et meurent.

Représentant de la contre-culture américaine, Jonathan Caouette s’intéresse évidemment au mouvement beatnik, dernière grande révolution culturelle qui balaya son pays. Alors que Walk Away Renée explore le genre du road movie, on ne pouvait pas ne pas lui soumettre le monument tout à la fois routier et subversif Easy Rider.

J’adore ce film. Et la musique. Le monde que traversent les héros me rappelle mon enfance et mon inadéquation avec le Texas. A quel point j’avais l’impression de ne pas être à ma place à cette époque. 2012 me fait un drôle d’effet. Je ne m’y sens pas très à l’aise. Je préférais les années 60, 70, le début des années 80. Si je pouvais voyager dans le temps, je resterai le reste de ma vie coincé entre 1965 et 1982. Quant au côté road movie de Walk Away Renée, il s’est fait imposé naturellement, à coups de hasards. Rien n’était prémédité. Il s’agit juste du portrait de deux êtres. Une personne prenant soin de l’autre. C’est très difficile à expliquer.         

Tarnation et Walk Away Renée, mais surtout son documentaire sur l’ATP Festival, rendent compte de la culture musicale du réalisateur, entre indie pop et rock qui tâche. Parce qu’il porte le fameux tee-shirt à la grenouille de Daniel Johnston dans son dernier film, la vidéo était toute trouvée.

C’est sans doute le documentaire que j’affectionne le plus. J’ai rencontré Daniel et j’ai bossé avec lui. J’adore sa musique depuis des ANNEES! C’est un ange, un génie. Lorsque je pense à un nouveau projet, je commence par créer une mixtape qui musicalement raconte une histoire.

Je greffe ensuite le film sur la musique. C’est d’ailleurs le dénominateur commun de mes deux documentaires. Mais mon amour de la musique s’est pleinement épanoui lors du tournage d’All Tomorrow’s Parties (ATP). C’était cool et collaboratif.

J’ai décidé de prendre un co-réalisateur justement parce que tant d’intervenants avaient filmé qu’il fallait rendre compte au générique de cet aspect participatif. Quant au festival en lui-même, c’est le meilleur du monde. Je suis très fier d’avoir pu y participer à ma façon.

Chaque année, l’ATP invite un curateur qui programme le festival (Nick Cave ou Matt Groening ont été curateurs). Jonathan Caouette aimerait-il avoir sa propre édition? 

Je ne veux pas vendre la peau de l’ours… Mais je programmerais de la Dream Pop, de la new Indie, du low-fi, du Shoegaze (un rock alternatif britannique type My Bloody Valentine) et du 4AD (un label anglais indépendant qui a signé entre autres Bauhaus et Dead Can Dance).

Parce que le réel lui est cher, finissons par mettre en regard l’américain et un grand documentariste français du fait brut, Raymond Depardon.

J’aime les films crus, déstructurés,  comme Grey Gardens (documentaire américain de 1975 mettant en scène deux membres d’une famille en autarcie dans une demeure délabrée). J’ai fait quelques documentaires (rires) mais non, je ne me considère pas comme un documentariste, juste comme un réalisateur. J’aime l’idée qu’objectivité et subjectivité se combinent…

Tarnation était très subjectif alors que ce qui prédomine dans Walk Away Renée c’est l’objectivité. Je pense, que les deux sont importants car ils invitent chacun à des réflexions différentes. Même si pour moi, la vie est principalement question d’objectivité. Mais je suis en train de tourner le dos aux docs pour me lancer dans un film de fiction. Peut-être un métrage sur le voyage dans le temps.

Recueilli par Ursula Michel

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