Économie

Quand l'immigration va, tout va

C'est sûr, elle ne plaît pas à tout le monde. Pourtant, l'immigration constitue un bon indice de la santé d'une économie, dixit l'OCDE.

Une employée tamponne le passeport d'un étudiant étranger à Paris. REUTERS/Charles Platiau.
Une employée tamponne le passeport d'un étudiant étranger à Paris. REUTERS/Charles Platiau.

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«Quand General Motors éternue, l'Amérique s'enrhume», «Quand le bâtiment va, tout va»: les économistes, comme les agriculteurs, ont leurs maximes. Si cela ne tenait qu'à lui, Angel Gurria, secrétaire général de l'OCDE, en créerait bien une nouvelle: «Quand l'immigration va, tout va.»

Pour lui, le constat ne fait aucun doute: les flux migratoires constituent un excellent indice de la conjoncture économique sur le marché du travail. Car quand la crise est là, les immigrés ne viennent plus. Ou tellement moins!

Mais à l'inverse, si l'OCDE vieillissante entend continuer à croître, elle doit d'urgence mettre sur pied une politique volontariste d'immigration. Tel est le message que l'organisation internationale entendait faire passer dans son rapport «Perspectives sur les migrations internationales 2012» présenté récemment à Bruxelles.

Quand la crise est là, les quotas ne servent à rien

Dans l'OCDE, les flux migratoires ont baissé pendant la crise. L’immigration permanente à destination des pays membres a diminué de 2,5% en 2010, avec 4.1 millions de personnes concernées: -8% aux Etats Unis, -3% pour les pays européens —sans tenir compte des mouvements intra-européens.

Et les politiques n'y sont pas pour grand chose.  Ainsi, note l'organisation: 

«Au Royaume-Uni, l’an dernier, en dépit d’une limitation drastique de la migration hautement qualifiée, les employeurs ont si peu embauché que les limites imposées n’ont jamais été atteintes.»

«Aux Etats Unis, avant la crise, les quotas de visas H-1B pour les travailleurs qualifiés étaient souvent comblés en quelques jours. En 2009 et 2010, il a fallu plus de neuf mois.»

Et ce phénomène ne concerne pas seulement l'immigration légale, car l'immigration illégale diminue elle aussi lorsque les temps sont durs:

«En effet, ces mouvements ne sont pas sans coûts et, sans aucune garantie d’emploi, ils deviennent moins attrayants pour les migrants potentiels et leurs familles.»

Ainsi, aux Etats Unis, les  appréhensions aux frontières ont baissé de 875.000 en 2007 à 350.000 en 2011.

La France fait, à première vue, figure d'exception: dans l'Hexagone, et contrairement à la tendance générale, les flux d'immigration permanente ont été positifs (+8%) entre 2009 et 2010. Mais ce décalage n'invalide pas la relation entre flux migratoires et santé du marché du travail, selon l'OCDE. Car il  s'explique essentiellement par des raisons administratives: l'essentiel des «nouveaux» migrants de 2010 résidaient déjà dans le pays en 2009, mais n'ont obtenu le statut d'immigrés «permanents» qu'en 2010.

La croissance réveille les besoins

Les pays en croissance, en revanche, ont continué de voir leurs flux migratoires se gonfler: +10% vers le Canada, la Corée et le Mexique. Et la timide reprise de l'année 2011 dans l'OCDE a inversé les tendances: comme le note l'organisation, «la hausse a repris en 2011 en Australie, aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande, ainsi que dans la plupart des pays européens de l’OCDE, à l’exception de l’Italie, de l’Espagne et de la Suède». 

Et de fait, la conjoncture, c'est un euphémisme, n'est pas florissante dans les deux premiers pays. Quant au troisième, s'il va encore bien, son rythme de croissance s'est sensiblement ralenti. Bref, conclut Angel Gurria, «l'évolution des flux migratoires et du marché du travail sont étroitement liés».

Libéraliser les flux migratoires ne fait du reste pas toujours exploser les flux: si les employeurs doivent appliquer aux migrants les mêmes règles qu'aux nationaux... ils préfèrent les nationaux et n'embauchent que si les besoins sont vraiment importants. Les besoins du marché, en d'autres termes, priment. Ainsi «l’introduction à la fin de l’année 2008 d’un régime migratoire libéral en Suède, a effectivement entraîné une demande accrue de la part des employeurs, mais cette demande n’a cependant pas explosé».

L'immigration, un investissement d'avenir

Si les flux migratoires varient avec la conjoncture,  pas question cependant d'en faire une variable d'ajustement. L'Espagne, qui avait employé beaucoup d'immigrés non qualifiés pour subvenir aux besoins du bâtiment —aujourd'hui en pleine déconfiture—, en sait quelque chose. Car les migrants sont les premiers touchés par le chômage, et tout particulièrement par le chômage de longue durée, surtout s'ils sont peu qualifiés. Ce qui ne contribue guère à faciliter leur intégration dans le pays...  

Mieux vaut donc mener une politique d'immigration volontariste et sur le long terme en veillant à la bonne intégration des personnes migrantes, conseille l'OCDE. Car Angel Gurria n'a pas peur de l'affirmer: l'immigration est indispensable aux économies occidentales!

Qu'on en juge: sur les dix dernières années, les nouveaux migrants ont contribué à hauteur de 70% à l'augmentation de la population active en Europe et à 47% aux Etats Unis. «Mais les flux migratoires actuels ne suffiront pas pour maintenir à son niveau actuel la population en âge de travailler dans de nombreux pays, particulièrement en Europe», prévient l'OCDE.

Remplacer les départs en retraite par des travailleurs immigrés? La proposition peut laisser sceptique. Et pourtant, les migrants actuels sont plus qualifiés que les baby-boomers qui partent à la retraite! La proportion de travailleurs de formation supérieure est depuis dix ans plus élevée chez les nouveaux immigrés que chez les retraités, même si elle reste inférieure à celle des nationaux.

C'est vrai: le niveau de qualification des migrants varie beaucoup selon leur pays d'accueil. Au Canada, championne en la matière, plus d'un sur deux a un niveau de formation supérieure. Mais même en France, où le ratio est un peu inférieur à la moyenne OCDE (30%), près d'un nouvel immigré sur quatre a une formation supérieure.

Rien d'étonnant donc à ce que, crise ou pas, les flux migratoires qui augmentent quasiment sans interruption dans l'OCDE soient ceux... des étudiants. En 2009, ils étaient ainsi 2,6 millions dans les pays de l’OCDE et dans la Fédération de Russie. Et, surprise, l’Australie a remplacé la France à la troisième place du classement des grands pays de destination, après les États-Unis et le Royaume-Uni. 

Les immigrants chinois en voie de raréfaction   

Si l'OCDE doit intensifier ses flux migratoires, elle devra cependant apprendre à se passer des migrants chinois que, pourtant, elle apprécie beaucoup: leur nombre a bondi ces dernières années, et ils représentent désormais un immigré sur dix. Soit, la première origine des migrants, avant la Roumanie, l'Inde et la Pologne (pour la France, l'Algérie et le Maroc restent les principaux pays d'origine des migrants, la Chine n'arrivant qu'en 6ème position). Mais il y a fort à parier qu'ils resteront plus souvent en Asie dans les décennies à venir, puisque l'on aura là-bas besoin d'eux. Les flux d'émigration risquent donc de sensiblement diminuer.

D'où l'importance de mettre en place de véritables stratégies sur le long terme, pour que l'immigration devienne une véritable composante de la politique du marché du travail. L'OCDE n'a certes aucun pouvoir —autre que moral— en la matière. Angel Gurria était cependant accompagné de deux commissaires européens lors de la présentation de son rapport.  Un signe d'une prise de conscience européenne?

Catherine Bernard 

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