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Le 12 juin 2012 paraissait dans The Lancet le résultat de l’expérience menée par Pierre Foldès, urologue (avec le Dr Béatrice Cuzin, également urologue, et la démographe Armelle Andro, de l’Ined): il a en effet mis au point une technique chirurgicale permettant de réparer les mutilations sexuelles chez les femmes. Trente années de combat qui portent aujourd’hui leurs fruits, puisque la publication des travaux de Pierre Foldès dans The Lancet valide la technique.
Les résultats sont impressionnants: pour résumer, non seulement la chirurgie pratiquée par le Dr Foldès soulage, dans une grande majorité des cas, les douleurs clitoridiennes, mais elle permet également aux femmes qui ont bénéficié de cette intervention d’éprouver du plaisir, et même d’avoir des orgasmes. Il est donc question ici de réparer concrètement les dégâts physiques causés par l’excision.
Le mot réparation, qui évoque plus une visite chez le garagiste qu’une démarche thérapeutique, peut heurter. Pourtant, la trivialité du terme met en évidence une réalité difficile à admettre pour celles et ceux qui voient le plaisir féminin comme une contrée mystérieuse et floue, tributaire du fameux «facteur émotionnel» cher à de nombreux sexologues. Catherine Solano, par exemple, affirme que chez l’homme, la sexualité est purement génitale, alors que la femme a besoin d’érotiser tout son corps, et cela expliquerait, selon la sexologue, que la femme ait besoin de plus de temps l’homme pour parvenir à une excitation équivalente. En donnant cette explication, elle occulte pourtant l’anatomie du clitoris et son potentiel érectile.
Wow! Mais que faites-vous du romantisme?
Oui, le clitoris bande, et l’orgasme féminin est une simple mécanique, au même titre que l’orgasme masculin. Comme les hommes, les femmes ont donc des érections ou leur équivalent, grâce auxquelles elles peuvent jouir: lorsque le clitoris est opérationnel, il suffit de trouver la bonne façon de le stimuler, et cela entraîne un orgasme.
En nous prouvant aujourd’hui que l’on peut donc «réparer» le sexe féminin et rendre aux femmes la possibilité d’avoir des orgasmes, Pierre Foldès met en évidence, de façon transversale à sa démarche thérapeutique, la dimension purement mécanique du plaisir féminin. Et c’est justement cette réparation mécanique qui pose question. Réparer, c’est remettre en état, rétablir un fonctionnement. Comme si le sexe des femmes était réduit à sa fonction de «machine à orgasmes».
Mais ces notions de «fonctionnement mécanique» et de «réparation» sont-elles vraiment réductrices? Ça reste à démontrer. Pourquoi l’orgasme féminin envisagé dans sa dimension mécanique serait-il réducteur alors que chez les hommes cette dimension mécanique est si communément admise que l’érection masculine est commercialement et chimiquement sponsorisée par l’industrie pharmaceutique?
Tandis que ces dernières décennies, ce business de l’érection masculine faisait progressivement le bonheur des laboratoires, l’orgasme féminin est resté en carafe, les débouchés étant largement moins prometteurs et culturellement controversés (les femmes attendent toujours le droit de se voir prescrire un Viagra féminin, mais il semblerait que l’orgasme ne se vende bien qu’au masculin).
L’orgasme féminin reste donc, dans une société prétendument évoluée, condamné au romantisme et à la psychologie de comptoir. Alors qu’on connaît parfaitement l’anatomie et le fonctionnement du clitoris, au point d’en faire un best-seller avec le concours du Dr Foldès en personne (échographie en 3D à l’appui), le grand public ne semble pas prêt à admettre la composante purement mécanique du plaisir des femmes.
Et même les sexologues les plus enthousiastes redoublent de lyrisme pour décrire et expliquer ce que représente à leurs yeux l’orgasme féminin. «Continent inexplorable» pour Alain Héril, qui estime que «ses frontières sont suffisamment ouvertes pour ne pas être inscrites sur la carte du fonctionnement psychosexuel humain», l’orgasme provoque, pour le sexologue passionné, une «plongée au cœur de lui-même», mais «les mystères de l’amour ne lui ont pas été révélés». Rien que ça.
Le «bouton sacré» «masqué par sa capuche»
Pour Gérard Leleu, c’est encore plus poétique et insondable, puisque le «bouton sacré» est «niché au creux de la fente féminissime», fente sous laquelle il reste «masqué par sa capuche comme une belle mystérieuse qui se veut incognito». Notez qu’avec ce genre de description, une femme qui voudrait apprendre comment obtenir un orgasme peut toujours s’accrocher: on est effectivement dans le plus total incognito.
Hélas, si on a le malheur de se concentrer sur l’aspect mécanique du plaisir féminin au détriment de sa composante émotionnelle, on s’expose à la lapidation symbolique, on passe pour un assassin du sentiment amoureux, une brute de la psychologie érotique: comment donc, l’orgasme féminin fonctionnerait comme une machine, un moteur de voiture? Ciel, mais c’est inadmissible!
Car raisonner ainsi, c’est faire fi de décennies de complexité érotique officielle, complexité conférant au plaisir des femmes un caractère mystérieux et sacré constituant surtout une bonne excuse pour laisser les femmes dans l’ignorance du fonctionnement de leur sexe. A charge pour elles de se débrouiller comme elles le peuvent pour comprendre comment ça marche, écrasées qu’elles sont par le poids du conditionnement genré qui les condamne à désirer avec leur cœur plutôt qu’avec leur sexe.
Certes, le plaisir sexuel ne saurait être résumé à de simples mécanismes physiologiques, et on peut raisonnablement admettre qu’une des zones érogènes essentielles est bien le cerveau. Mais en matière d’orgasme proprement dit et de stimulation mécanique, il y a une sorte de duperie cautionnée par le corps médical lui-même: certains sexologues vont même jusqu’à considérer que l’homme, dès l’adolescence, a «besoin» de jouir, tandis que la femme peut éventuellement éprouver du plaisir. Conception réductrice pour les deux sexes, et cantonnant la femme à un rôle de réceptacle.
Alors quand Pierre Foldès s’associe à Odile Buisson pour expliquer dans un livre comment fonctionne le clitoris, et quand il publie ensuite le résultat de trente ans de chirurgie reconstructrice post-excision, prouvant ainsi que l’orgasme féminin procède non seulement d’une mécanique précisément connue mais qu’il est aussi réparable, il permet à la sexualité féminine de faire un précieux bond en avant.
En effet, ce que Pierre Foldès nous démontre aujourd’hui, c’est que sans préjudice porté à l’occasionnelle dimension émotionnelle du plaisir sexuel féminin, nous pouvons enfin ouvrir les yeux sur une évidence: aussi simplement que les hommes bandent et jouissent, les femmes, de façon tout aussi mécanique, bandent et jouissent. Elles disposent d’un organe ad hoc, opérationnel, et stimulable à volonté.
N’en déplaise aux romantiques qui conçoivent le plaisir féminin comme un monde mystérieux et inaccessible, c’est plutôt encourageant. Maintenant, on attend de pied ferme notre Viagra. Il serait temps.