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L'homoparentalité n'est pas un problème, la stabilité d'un couple l'est

William Saletan répond à l'article de Mark Regnerus selon lequel les enfants élevés par des couples homos auraient plus de chance d'être en échec scolaire et instables une fois adultes. Si l'étude n'est pas complètement exacte, il ne faut pas l'enterrer trop vite, parce qu'elle peut nous aider à revoir nos idées sur le mariage et la sexualité.

<a href="http://www.flickr.com/photos/23912576@N05/2942523255/">Wedding cake figurines</a>laverrue via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Wedding cake figurineslaverrue via Flickr CC License by

Temps de lecture: 7 minutes

Mark Regnerus [NDLR: le chercheur a créé la polémique avec une étude et un article affirmant que les enfants élevés par des couples homos auraient plus de chance d'être en échec scolaire et instables une fois adultes] est un cul-bénit haineux. C'est un ultra-conservateur qui a des liens avec l'Opus Dei. Sa nouvelle étude sur l'homoparentalité est «volontairement fallacieuse» et «cherche à discréditer les parents gays et lesbiens». Sa «soi-disant étude va à l'encontre de 30 ans de recherches scientifiques montrant, à une écrasante majorité, que les enfants élevés par des parents LGBT s'en sortent tout aussi bien que les autres». Sa «pseudo-science» et sa «désinformation», qui contredisent l'avis de l'APA et des «principales associations de défense des enfants», ne méritent pas qu'on y porte le moindre crédit ni la moindre attention médiatique.  

Voici ce que quatre des principaux groupes américains de défense des droits des homosexuels –la Human Rights Campaign [campagne pour les droits humains], le Family Equality Council [conseil pour l'égalité familiale], Freedom to Marry [libres de se marier] et la Gay & Lesbian Alliance Against Defamation [alliance gay et lesbienne contre la calomnie]– ont déclaré dans un communiqué commun.

Flanqués d'une armée de blogueurs, ils entendent désormais mettre en cause les motivations de Regnerus, détruire sa crédibilité et exclure son étude des annales scientifiques. Même une de nos contributrices, E.J. Graff, affirme que la «rédaction de Slate devrait avoir honte» d'avoir publié la «dangereuse propagande» de Regnerus. 

Une étude à ne pas enterrer

Eh bé. Le papier de Regnerus a sans doute des défauts. Mais avant d'aller chercher nos cailloux, nos fourches et nos bidons d'essence, puis-je proposer une alternative? Faites confiance à la science. N'enterrez pas cette étude. Acceptez-la. Les données collectées par Regnerus peuvent tous nous aider à revoir nos idées sur le mariage et la sexualité. Elle peut éclairer la droite comme la gauche. Et, en réalité, c'est ce qu'elle a déjà commencé à faire.

Oui, Regnerus est socialement conservateur. Mais c'est aussi quelqu'un d'ouvert d'esprit, de réfléchi et de pragmatique. Les deux preuves à charge citées contre lui sont un article de Slate où il s'oppose à la promiscuité sexuelle et un autre publié dans Christianity Today où il promeut le mariage chez les jeunes.

Mais si vous lisez ces articles, vous verrez que sa défense du mariage juvénile souligne avant tout le caractère improbable de l'abstinence prolongée et que son attaque de la libération des mœurs se fonde sur une critique des rapports de force déséquilibrés entre hommes et femmes. C'est un type bien plus complexe que ce que laissent entendre ses détracteurs.

Oui, deux organisations de droite ont financé son étude. Mais qu'ont-elles eu en échange? Un sondage national, détaillé et représentatif, portant sur 15 000 individus, soit un ensemble de données permettant de tester des hypothèses sur les structures familiales. Il n'y a rien de nauséabond dans ces données. Et, vu de la gauche, il s'agit des 800.000 dollars [637.000 euros] les mieux dépensés par ces deux bailleurs de fonds.

Une analyse a revoir, mais des données utiles

Oui, l'analyse est défectueuse. Mais ses erreurs peuvent être déconstruites, et les données réexaminées. Regnerus s'est servi d'une question comportementale générale –«L'un de vos deux parents a-t-il déjà eu une relation sentimentale avec quelqu'un du même sexe que lui?»– pour savoir quels parents étaient homosexuels. Il a ensuite utilisé un calendrier –«Merci de dire à quel âge vous avez vécu avec les personnes suivantes»– pour préciser la durée pendant laquelle chaque répondant avait vécu avec un parent homosexuel et son partenaire du même sexe.

Le calendrier, contrairement à la question comportementale, mesurait la structure familiale. Selon Regnerus, il pensait «trouver sans problèmes un nombre suffisant de cas où le répondant aurait déclaré avoir vécu avec sa mère et sa partenaire sur une longue période consécutive. Mais ce fut rare».

S'il était tombé sur davantage d'enfants élevés par des couples gays, Regnerus aurait pu comparer leur état avec ceux d'enfants élevés par des couples hétéros. Mais ce ne fut pas le cas. Et il s'agit ici de sa première erreur: il a remplacé la question comportementale par la question structurelle.

Il a comparé les enfants élevés dans des familles où le couple papa-maman était intact, non pas au petit sous-ensemble (statistiquement non valide) d'enfants élevés par des couples du même sexe, mais à l'échantillon plus important d'enfants dont l'un des parents avait eu une relation homosexuelle à un moment de sa vie.

Selon Regnerus, un comportement homosexuel et un foyer hétérosexuel sont deux catégories comparables. Dans son papier, il les regroupe sous l'étiquette «structures/expériences familiales». Pour Slate, il formule ce comportement en des termes structurels, précisant que son étude a porté sur des «ménages où les mères ou les pères ont eu des relations avec des personnes du même sexe qu'eux». Mais ce n'est pas vrai. Ce que les données calendaires montrent, c'est que la relation homosexuelle et le foyer dans lequel l’enfant a grandi sont deux choses différentes.

Et ce n'est pas moi qui le dis. C'est David Blankenhorn, le chercheur le plus respecté en matière de critique du mariage homosexuel: 

«Ce qui est particulièrement confus, c'est la tentative de comparer l'état des enfants dont les parents ont eu une relation homosexuelle (ce qui n'est pas une question de structure familiale) avec celui des enfants ayant grandi dans des foyers où leurs deux parents bio[logiques] étaient mariés (ce qui est une question de structure familiale). Par ricochet, si cette étude ne peut sans doute pas nous dire grand-chose sur la structure familiale, elle ne peut CERTAINEMENT rien nous dire sur la question du mariage, qu'il soit gay ou autre.»

Les enfants s'en sortent mieux dans des familles stables

Que se passe-t-il si nous corrigeons l'erreur de Regnerus? Que se passe-t-il si nous laissons tomber la comparaison structure-comportement et que nous comparons la structure avec la structure? Que nous disent les données calendaires?

Voici ce que dit Regnerus dans Slate:

«Néanmoins, parmi les adultes ayant été élevés par des parents du même sexe, un leitmotiv notable revient très souvent et concerne l'instabilité du foyer. (…) Si nous savons que les choses ont tendance à bien se passer –sur le court comme le long-terme– quand des individus forment des foyers durables, [dans l'étude], les parents qui ont eu des relations homosexuelles étaient ceux qui avaient le moins de chance d'expérimenter une telle stabilité domestique.»

Et dans Patheos:

«Au total, seuls deux répondants ont déclaré avoir vécu en continu avec leur mère et sa partenaire [lesbienne] de leur naissance à 18 ans. Quatre ont déclaré avoir vécu ainsi pendant 15 ans, et encore quatre autres pendant 13 ans. Évidemment, ces 10 s'en sortaient mieux et sur davantage de critères que leurs camarades élevés dans des foyers moins stables. Mais ils étaient trop rares, et ce groupe était à l'évidence trop réduit pour détecter des différences statistiquement significatives.»

Les chiffres ne s'additionnent pas, et l'échantillon est trop petit pour pouvoir être généralisé, mais vous saisissez l'essentiel: les enfants de parents gays, comme de parents hétéros, s'en sont mieux sortis dans des familles stables. Ce qui, en tendance, cadre avec toutes ces études que citent les groupes de défense des droits des homosexuels pour désavouer Regnerus: les enfants élevés par des couples gays solidaires et où la sécurité financière est de mise s'en sortent parfaitement bien.

Un échantillon trop large

Et nous arrivons à la deuxième erreur de Regnerus: selon lui, son étude contredit des recherches précédentes faisant état de conséquences plus heureuses dans les familles homosexuelles. Il attribue ces nouvelles conclusions à de «meilleures» méthodes. Mais il n'y a aucune contradiction entre son étude et les autres. Les études précédentes avaient tout simplement ciblé et présenté les couples gays les plus stables et les plus éduqués.

Elles étaient trop restrictives. Regnerus, avec sa question «un de vos parents a-t-il déjà eu une relation homosexuelle» a pris dans ses filets toutes les familles paumées qui avaient été ignorées précédemment. Mais, pour le coup, ses mailles étaient trop larges: son échantillon est dominé par des enfants qui n'ont que très rarement vécu dans un ménage homosexuel.

L'important, c'est la stabilité et pas l'orientation sexuelle

Se demander s'il faut croire les données de Regnerus ou celles des autres études, c'est comme débattre pour savoir s'il faut examiner son voisin au microscope ou au télescope spatial. Chacun voit ce que l'autre ne peut pas voir. Mais, au final, vous regardez la même chose. La vue télescopique vous montre que les parents gays dans des foyers instables échouent. La vue microscopique vous montre que les parents gays dans des foyers stables réussissent. L'important, ici, c'est la stabilité, et non l'orientation sexuelle.

C'est d'ailleurs la direction que prend ce débat, scientifiquement comme politiquement. Vous pouvez le voir dans ce que Regnerus dit sur CBS News: «Qu'ils soient gays ou hétéros, les gens devraient rester avec leurs partenaires. C'est à mon sens ce que l'étude prouve

Vous pouvez le voir dans l'obsrvation à brûle-pourpoint que fait Charles C.W. Cooke, assistant de rédaction de la National Review:

«Compte-tenu de l'agencement de l'étude, on peut décemment se demander s'il ne s'agit pas tant d'une analyse comparée de l'homoparentalité vs. l'hétéroparentalité, mais de la stabilité dans l'enfance versus l'instabilité.»

Vous pouvez le voir dans ce que concède Ed Whelan, président de l'Ethics and Public Policy Center [centre d'éthique et de politiques publiques]:

«Il se pourrait bien que les enfants élevés par des couples de même sexe non mariés s'en soient mieux sortis si ces couples avait voulu et pu se marier.»

Faire glisser la conversation de l'orientation à la stabilité ne met pas fin au débat. Mais cela nous sort du cul-de-sac. Cela nous libère des appels à l'autorité, que ce soit la Bible ou les recommandations de l'APA, qui cherchent à faire taire la dissidence. Cela permet aux conservateurs sociaux d'envisager la possibilité du mariage gay vu que, comme le souligne Regnerus, «si certains arrangements relationnels sont systématiquement plus sujets que d'autres à la désorganisation», cela relève d'une «question empiriquement testable».

Par la même occasion, cela pousse les homosexuels à tenir leurs engagements. L'étude de Regnerus montre combien les foyers de la plupart des parents gays étaient instables lorsque l'homosexualité et l'homoparentalité étaient illégales. Nous avons aujourd'hui une chance de faire mieux. Ne laissez pas échouer l'expérience. 

Voilà pourquoi nous devons prendre cette étude au sérieux. Aux deux parties, y compris son auteur et ses mécènes, elle dit des vérités qui sont dures à entendre. La stabilité familiale importe. Et quand des couples du même sexe sont autorisés, encouragés et déterminés à procurer une telle stabilité à leurs enfants, ils s'en sortent mieux. Les lumières de la gauche sur l'orientation sexuelle peuvent épouser la sagesse de la droite sur les valeurs familiales. Ce ne sera pas facile. Mais cela en vaut la peine.

William Saletan

Traduit par Peggy Sastre

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