Dans les mégaphones, ils crient aussi fort que les autres mais leur accent n'est pas le même. Parmi les 150.000 étudiants en grève au Québec depuis plus de 4 mois contre la hausse drastique des frais d'inscription à l'Université, quelques Français s'impliquent tout particulièrement.
Comme leurs camarades québécois, ils
refusent que le gouvernement libéral de la province n'augmente de 75% la
facture. D'ici 2016, un étudiant devra ainsi verser 3.000 euros par année pour
suivre des cours. Quand on a connu la quasi gratuité en France, le choc est
rude. Mais l'implication des ces Français va bien au delà de leur cas personnel.
Dans les manifestations, Blandine Parchemal, 23 ans, originaire de Caen, tient
la banderole de tête. Doctorante en philosophie à l'Université de Montréal,
elle a choisit le Québec pour la qualité des professeurs et leur disponibilité.
C'est pour que cet enseignement demeure accessible au plus grand nombre qu'elle
se bât. La jeune femme est élue et milite au sein de la principale organisation
étudiante, l'ASSÉ (l'Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante).
Dans les derniers mois, elle a organisé
des manifestations et des actions «pas toujours très légales», avoue-t-elle,
sans s'étendre davantage. Depuis que le gouvernement libéral de la province a
adopté une loi spéciale (surnommée «la
loi matraque»), les organisateurs de manifestations non déclarées de plus de
50 personnes sont passibles de plusieurs milliers d'euros d'amende.
Le12 avril, c'est elle qui a lancé l'appel sur Facebook pour occuper le rectorat
de l'Université de Montréal. L'opération a tourné au vinaigre, des manifestants
ont tenté d'enfoncer la porte du bureau du recteur à coups de bélier; les
dommages s'élèvent à plusieurs milliers d'euros. «Au départ, les manifestations
étaient assez tranquilles, alors j'essayais de pousser les étudiants à aller un
peu plus loin. Ce que les Québécois considèrent comme violent ne serait pas considéré
comme tel en France. Les blocages de ponts par exemple, ici ça fait toute une
histoire», analyse Blandine.
Militant de la première heure
La Normande réside au Québec depuis seulement 10 mois. «En tant que française, je suis habituée aux grèves, c'est en moi, pratiquement identitaire». Pourtant, elle n'a pas une grande expérience des conflits. Un peu de militantisme chez Lutte Ouvrière mais pas dans le mouvement étudiant français, si ce n'est quelques participations aux manifestations contre le CPE en 2006. «A la Sorbonne, où j'étudiais, je sentais moins le poids des syndicats étudiants comme au Québec, la culture d'association était beaucoup moins présente».
Un avis partagé par Michaël Cadilhac, un autre des 12.000 étudiants français inscrit dans les universités québécoises, un chiffre en constante progression. Le doctorant en informatique de 26 ans, originaire des Bouches-du-Rhône, a été attiré au Québec par un directeur de recherche stimulant. Mais en plus de poursuivre sa thèse, il est devenu un militant de la première heure contre la hausse des frais de scolarité.
Bien avant que les étudiants ne descendent dans la rue, il préparait la riposte au projet du gouvernement libéral. Michaël est élu depuis deux ans au sein de la FAÉCUM (la Fédération des Associations Étudiantes de l'Université de Montréal, 37.000 membres).
Pendant le conflit, il a pris part à
une douzaine de manifestations et monté des piquets de grève devant le campus,
même quand le geste est devenu illégal. Pourtant, en France, le militantisme
étudiant ne signifiait rien pour lui: «Je n’en connaissais même pas le nom. Pour
moi, le syndicat étudiant, ça voulait dire la mutuelle de santé, c'est tout».
À son arrivée au Québec, en 2008, il a été très impressionné par les
associations étudiantes: «Ça m'a fait chaud au cœur de voir ces jeunes capables
de si bien s'organiser, ça m'a poussé à m'impliquer. Les étudiants québécois en
grève forment un mouvement altruiste, et non égoïste comme voudrait le faire
croire le gouvernement libéral. Ce sont des gens capables de sacrifier leur
année scolaire et leur job d'été pour les générations à venir. C'est
réconfortant».
Une professeure française parmi les militants
Parmi les manifestants québécois, on retrouve aussi des professeurs. À l'Université de Sherbrooke (40.000 étudiants), à 150 kilomètres de Montréal, deux enseignantes trouvaient que leurs collègues traînaient un peu de la patte pour se joindre au mouvement de contestation. Elles ont donc monté un regroupement de professeurs contre la hausse des droits de scolarité.
Au final, ils étaient près d'une centaine à prendre part à des manifestations, des tables rondes, des interviews... La nationalité de ces deux meneuses? Française... «J'ai été très étonnée de voir à quel point les étudiants Québécois étaient organisés, préparés, avec des arguments solides et des contre-propositions chiffrées. Ça change du côté bordélique des syndicats étudiants que j'ai connus en France», explique Karine Collette, 42 ans, originaire de Besançon.
Professeure de Lettres et Sciences
humaines, elle est arrivée au Canada il y a sept ans grâce à une bourse
postdoctorale. Au bout de 3 mois, elle a décroché un emploi à l'Université de
Sherbrooke et emménagé dans la Belle Province avec son mari et ses enfants.
L'enseignante apprécie le mouvement de contestation actuel au Québec, surtout depuis
qu'il a été rejoint par d'autres franges de la société. «Dans la rue
maintenant, on voit des personnes âgées, des travailleurs précaires, des
enfants, surtout dans les manifestations de
casseroles.»
L'adoption de la loi spéciale 78 qui restreint le droit de manifester
a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour bon nombre de citoyens
déjà déçus par les affaires de corruption dans lesquelles baigne un
gouvernement libéral au pouvoir depuis 9 ans. «Ici, je n'ai pas peur d'aller
manifester avec mes enfants. Et même s'il y a eu des dérapages, je trouve que
ce n'est rien par rapport à cequi peut se passer en France», ajoute Karine.
Le «Printemps québécois» n’est toutefois pas sans risques. Depuis le mois de
février, près de 3.000 personnes ont été arrêtées par la police. De nombreux Français
s'abstiennent d'ailleurs de manifester pour cette raison. Le fils de Karine,
Léo, participe à des parades festives de casseroles mais il évite les actions
de désobéissance civile. Il a peur que sa demande de citoyenneté canadienne ne
lui soit refusée s'il a un casier judiciaire. Une crainte ressentie également
par Blandine Parchemal: «J'ai peur tous les jours, dès que je vois une voiture
de police. Tout le monde me dit de faire attention à mon visa».
Malgré tout, ces immigrés français ont trouvé dans ce «Printemps érable» un
formidable outil de relations sociales. «C'est un mouvement qui me fait sentir
intégrée au Québec, je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup de monde qui
partage mes valeurs», explique Karine. Mais un autre outil leur manque dans ce
mouvement social éminemment politique...
Aucun de ces militants purs et durs n'a le droit de vote dans leur nouveau pays. La professeure se sent coupable: «J'aurais dû faire mes papiers de citoyenneté plus tôt, quand je le pouvais». Au Canada, un immigrant peut devenir citoyen, et donc obtenir le droit de vote, après 3 ans de présence dans le pays. «C'est frustrant de ne pas pouvoir voter, reconnaît Blandine. J'ai participé aux présidentielles françaises mais je ne me sentais pas concernée».
L'enseignement supérieur français, un modèle pour le Québec?
Blandine, Michaël et Karine sont tous les trois partisans d'une scolarité complètement gratuite mais pas comme en France. «Le système français est un modèle d'accessibilité aux études mais le problème, c'est que ça se fait au détriment du financement de la recherche», estime Michaël. Selon lui, les universités québécoises ne vivent pas un problème de sous financement comme en France mais plutôt de «mal financement».
La gestion des finances des institutions est au cœur du conflit. Blandine se souvient des locaux désuets et des professeurs absents à la Sorbonne: «Ce qui était bien jusqu'à présent au Québec, c'est que les droits de scolarité étaient peu élevés et il y avait une bonne qualité d'enseignement. Je pense qu'on ne peut pas instaurer la gratuité sans l'accompagner d'un financement important, sinon l'Université va tomber en ruine».
Karine, quant à elle, a gardé le contact avec ses anciens collègues professeurs d'université en France: «Ils me disent que le virage vers la financiarisation de l'éducation supérieure a été pris. La compétition entre les universités françaises est devenue féroce. La problématique ressemble de plus en plus à celle du Québec».
L’arrivée de l’été a un peu ralenti la mobilisation des étudiants québécois. Mais après 130 jours de conflit avec le gouvernement, les grévistes ne comptent pas en rester là et menacent de reprendre de plus belle leur lutte à la rentrée du mois d’août. Blandine, Michaël et Karine comptent bien continuer d’y prendre part. Les Québécois disent souvent qu'on ne peut pas aller à une fête d'étudiants sans croiser un français. C'est encore plus vrai dans les manifestations.
Thomas Gerbet