Culture

Les gens qui disent «LOL» et «psychoter» achètent-ils encore des dictionnaires?

Les dictionnaires de papier restent d’énormes best-sellers. Mais, comme le disent les millénaristes (subs. et adj. relig.), la fin est proche.

<a href="http://www.flickr.com/photos/atoach/4954528861/sizes/l/in/photostream/%22">Dictionnaires</a> / Tim Green via FlickrCC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">Licence by</a>
Dictionnaires / Tim Green via FlickrCC Licence by

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On s’extasie  sur la capacité des dictionnaires à intégrer, chaque année, les quelques mots nouveaux qui font le, hum, «buzz», généralement des anglicismes ayant quelque chose à voir avec l’univers des ordinateurs, mais on manque de curiosité sur la capacité des Français à débourser une soixantaine d’euros pour le dernier millésime (on vend encore 600.000 Larousse par an, pour 150.000 Petit Robert).

Mes vieux dicos, tout cornés sur leur étagère, prennent la poussière dans l’attente d’un grand ménage et il est assez peu question de leur offrir une succession. Non pas que je me sois arrêté de vérifier qu’omnubilé s’écrit vraiment obnubilé (il y aura toujours de bonnes raisons de se planter sur le même mot tout au long de sa vie) mais juste que, avec Internet, les ouvrages de référence n’ont plus besoin de peser 1,5 kilo pour faire autorité.

Moi, ma bible lexicale, désormais, c’est Lexilogos, un site qui me donne accès à une tripotée de dictionnaires en ligne, du vénérable Littré au compendium terminologique du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales du CNRS. On y trouve «compendium» et « terminologique » et pas encore «LOL» ou « psychoter » mais je me débrouille finalement très bien comme ça…

J’ai d’ailleurs souvent rêvé d’aligner les 92 volumes de l’Encyclopédia Universalis dans ma bibliothèque pour épater les visiteurs, mais j’ai fini par abandonner cette idée. De toute manière, il y a longtemps qu’on ne voit plus passer les vendeurs en porte- à-porte de l’auguste publication. J’imagine qu’ils se sont reconvertis en prosélytes des témoins de Jéhovah ou en vendeurs de double-vitrages pour ne pas laisser perdre tout ce savoir-faire accumulé à la dure.

Enfants des écoles et scrabbleurs

«Le dictionnaire reste pourtant un ouvrage essentiel pour les Français, s’offusque (gentiment) Carine Girac-Marinier, la directrice du département dictionnaires et encyclopédies des éditions Larousse. D’abord, il y a les scolaires, auxquels les enseignants prescrivent encore l’achat d’un dictionnaire papier compact, mais aussi les personnes qui jouent aux mots-croisés ou au scrabble et s’en servent comme d’un juge de paix…»

Dont acte.

Mais entre les enfants des écoles auxquels on impose d’acheter un petit Larousse pour garder le goût de l’effort et ne pas désapprendre un ordre alphabétique chèrement acquis d’un côté, et les personnes d’âge mûr qui font des tournois de jeux de mots de l’autre, est-ce que c’est un marché d’avenir?

Carine Girac-Marinier: Personne ne le sait vraiment. Mais même si nos ventes ne dépassent plus le million d’exemplaires comme dans les meilleures années, la situation reste très favorable, du moins pour les dictionnaires compacts en un volume, par comparaison avec les ouvrages en plusieurs volumes que nous ne faisons plus.

Ne peut-on imaginer que les dictionnaires rejoignent les encyclopédies au cimetière des éléphants de la culture? Après tout, il y a quelque chose d’étrange à ce que les gens qui utilisent pour de bon les mots nouveaux type «LOL» ou «psychoter» soient votre cœur de cible…

Carine Girac-Marinier: Oui, mais l’encyclopédie était d’un usage différent. De notre côté, nous avons également abandonné les encyclopédies généralistes papier en plusieurs volumes pour développer des encyclopédies thématiques en un volume qui marchent encore très bien. De son côté, le dictionnaire compact reste un objet du quotidien.

Un objet du quotidien? Allons-donc! Vous en utilisez un, vous, madame Larousse, dont la voix fraîche et juvénile  me suggère que vous n’étiez pas déjà dans la maison lors du lancement de la première édition il y a 150 ans ? (il s’agit d’un entretien téléphonique, NDLR)

Carine Girac-Marinier: Bien sûr! Nous avons beau proposer une édition en ligne accessible gratuitement et des applications iPad ou  iPhone très efficaces, mon premier réflexe est toujours d’attraper mon dictionnaire papier pour vérifier un mot. C'est un automatisme…

Aha… Ok, je reformule alors: les dicos papiers ont encore de l’avenir chez les scolaires, les scrabbleurs et les gens qui travaillent chez Larousse. C’est sûr, ça fait pas mal de monde mais on sent qu’il vaut mieux acheter des actions Apple ou Facebook tout de même si l’on investit à long terme…

Hugues Serraf

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