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Hosni Moubarak dans le coma: quand est-on véritablement mort?

Les informations contradictoires sur l’état de l'ancien président égyptien témoignent des ambiguïtés médicalement croissantes de la définition de la mort.

Un partisan d'Hosni Moubarak tient son portrait à l'occasion de son procès, le 22 février 2012 au Caire. REUTERS/Amr Abdallah Dalsh.
Un partisan d'Hosni Moubarak tient son portrait à l'occasion de son procès, le 22 février 2012 au Caire. REUTERS/Amr Abdallah Dalsh.

Temps de lecture: 3 minutes

«Mort clinique.» «Mort cérébrale.» «Coma.» «Coma dépassé.» «Mort artificielle»... La plus grande confusion régnait toujours, dans la matinée du 20 juin, quant à l’état dans lequel se trouvait l'ex-président égyptien Hosni Moubarak, 84 ans. L'agence officielle Mena a annoncé sa «mort clinique» dans la soirée du 19 juin tandis qu’une source médicale indiquait, selon l’Agence France Presse, qu’il se trouvait «dans le coma» et placé sous «appareil respiratoire».

Peu auparavant, l’ancien président avait été admis à l'hôpital militaire de Maadi, dans la banlieue  du Caire, à quelques kilomètres de la prison de Tora où il était détenu dans une aile médicalisée. Hosni Moubarak avait été condamné à la réclusion  à vie le 2 juin pour la répression de la révolte contre son régime au début de l'année 2011, répression qui avait officiellement été à l’origine d’environ 850 morts.

Le tribunal ne l'a pas condamné pour une responsabilité directe, mais pour ne pas avoir alors pris les dispositions nécessaires pour prévenir ces morts violentes. Son état de santé se serait brutalement aggravé peu après l’annonce de son verdict.

Derniers jours de Franco et Boumediene

On indique de source officielle que deux défibrillations avaient dû être pratiquées le 11 juin après constatation d’arrêts cardiaques. «Dégradation de l'état de santé de Moubarak, victime d'une attaque cérébrale», a ensuite fait savoir la télévision publique égyptienne. Des sources de sécurité avaient aussi fait état de dépression aiguë, de difficultés respiratoires et d'hypertension artérielle.

La famille de l'ancien président a demandé qu'il soit transféré dans un hôpital pour y être détenu, comme cela était le cas avant sa condamnation. Les autorités égyptiennes avaient alors fait savoir que Moubarak serait «traité comme n'importe quel prisonnier».

La situation de l’ancien président égyptien n’est pas sans rappeler celle des derniers jours ou des dernières semaines de plusieurs anciens dirigeants politiques comme le général espagnol Francisco Franco (1892-1975) ou le président algérien Houari Boumediene (1932-1978) L’ambiguïté volontairement entretenue (pour diverses raisons politiques) sur la réalité de l’état de santé est ici la conséquence directe des progrès de la réanimation médicale, qui depuis plus d'un demi-siècle ont bouleversé la définition de la mort.

Angoisse du mort-vivant

Durant des millénaires, l’angoisse, dans ce domaine, fut de déclarer comme étant mortes des personnes qui, en réalité, ne l’étaient pas encore. C’est cette angoisse qui nourrit touts les contes, légendes et histoires des morts vivants et des cercueils ultérieurement retrouvés «griffés de l’intérieur». La médecine n’ayant pas encore fait les progrès que l’on sait, la mort fut, au fil des siècles, fondée sur des caractéristiques externes au premier rang desquelles la couleur (de la peau), la chaleur (du corps) et la rigidité du cadavre, sur lequel apparaissait des lividités assez caractéristiques.

La découverte progressive du rôle éminent de la fonction cardiaque puis de celle jouée par le système nerveux central devait bientôt modifier la donne. Plus précisément, c’est la mise au point d’appareils permettant d’enregistrer ces fonctions (électrocardiographes puis électroencéphalogrammes) qui, en permettant d’objectiver publiquement leur arrêt, ont permis aux juristes de proposer les premières définitions plus ou moins légales de la mort c'est-à-dire, pour eux, le passage du statut de personne à celui de chose.

Tout fut bouleversé avec la mise au point et la diffusion (au lendemain de la Seconde Guerre mondiale) des premières techniques de «réanimation cardio-vasculaire» et de «respiration artificielle». Ces dernières permirent en effet de maintenir «en vie» des personnes qui, en réalité, ne l’étaient plus: elles donnaient l’apparence de la vie alors même que leur «débranchement» démontrait qu’elles étaient bien mortes.

Ce fut l’avènement de la «mort rose», pour reprendre la formule du Pr Etienne-Charles Frogé, ancien vice-président de la Société française de médecine légale. C’est à partir de ce moment que l’on vit apparaître des formules sources de confusion comme le «coma dépassé» ou la «survie artificielle».

Ces situations sont différentes de celle dite de «l'état végétatif chronique» (situation dans laquelle se trouve notamment depuis 2006 l’ancien responsable politique israélien Ariel Sharon) et qui se caractérise par une situation dans laquelle les fonctions cérébrales supérieures sont pour l’essentiel détruites mais où persistent (parfois durant plusieurs années voire dizaines d’années) les fonctions respiratoires et cardiovasculaires.

Des cellules continuent à vivre

La volonté médicale et politique de développer les greffes (et donc les prélèvements) d’organes a conduit à multiplier ces situations et les incompréhensions qu’elles génèrent. On demande ainsi aux proches d’un défunt l’autorisation d’effectuer des prélèvements sur des personnes qui sont «cérébralement mortes» mais que l’on «maintient artificiellement en vie».

De plus, la pénurie d’organes disponibles fait que le corps médical spécialisé développe des procédures (comme celle dite du prélèvement «à cœur battant») brouillant un peu plus la confusion entre ce qui est encore la vie et ce qui est déjà la mort. C’est contre cette difficulté que luttent toutes les entreprises visant à augmenter le nombre des dons, comme celle menée actuellement en France par l’Agence de la biomédecine. Le paysage est en outre depuis peu un peu plus complexe avec une spectaculaire découverte (française): certaines cellules peuvent continuer à «vivre» plus de deux semaines dans le corps après une mort officiellement constatée.

Un consensus général veut que toute tentative médicale et chirurgicale de retour à la vie soit vaine dès lors que l’on a la preuve que les fonctions du système nerveux central sont éteintes. La démonstration en avait été tragiquement apportée au décours de la disparition de Marie Trintignant.

On estime généralement avoir la preuve de cette extinction à partir de données électriques (deux électroencéphalogrammes plats à quelques heures d’intervalle) ou via l’imagerie (disparition de toute forme de vascularisation du cerveau). Rien, pour l’heure, ne permet de démontrer le contraire.

Jean-Yves Nau

>>A lire également: les articles de Slate Afrique sur Hosni Moubarak.

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