France / Politique

Gilbert Collard, la tentation du déshonneur

L'avocat proche de Marine Le Pen, candidat FN dans le Gard, se verrait bien rejoindre la cohorte des avocats talentueux qui ont fricoté avec l'extrême droite. L'époque a changé, le talent aussi.

En février 2012. Regis Duvignau / Reuters
En février 2012. Regis Duvignau / Reuters

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Qu’il perde ou qu’il gagne, dimanche 17 juin, dans la 2e circonscription du Gard, Gilbert Collard, le candidat VIP du Front national, risque de peiner à revenir en arrière; à sa seule réputation d’avocat un peu provocateur, en sur-jeu par délectation, qui donne toujours, depuis qu’il plaide, l’impression de charger sabre au clair, dans les prétoires comme à la télévision, comme si quelqu’un avait voulu lui en refuser l’entrée. Lui qui dit adorer être celui qu’on déteste, pourrait bien avoir satisfaction. 

Car il a rejoint une cohorte d’ombres. Même par opportunisme, comme beaucoup le croient autour de lui, même par la bande, pour une campagne de législatives à la méridionale, sous les préaux de Vauvert et les parasols du Grau-du-Roi, il s’est approché des figures de l’extrême droite, qui a pour première particularité de délivrer un label indélébile.

D’Edouard Drumont et sa « France juive » à Jean-Marie Le Pen, la sinistre photographie de groupe, où apparaissent pêle-mêle les visages de Charles Maurras, de Léon Daudet, du «cagoulard» Eugène Deloncle, du collabo Jacques Doriot, des factieux de l’OAS, lui fait bien volontiers de la place. La famille, même outre-tombe, ne demande qu’à s’agrandir. Le guichet reste ouvert. La soupe rance des confusions et des haines de l’autre est toujours sur le feu.

La bienpensance

Quand Gilbert Collard a pris, en 2011, la présidence du comité de soutien à la candidature de Marine Le Pen à la présidentielle, les médias ont voulu croire que c’était surtout pour redorer une image médiatique quelque peu ternie. « (…) il a replongé dans le délicieux tourbillon de la polémique, écrivait par exemple le Nouvel Observateur, retrouvé le frisson du scandale (…) A 63 ans, il s’est senti rajeunir, et il a arrêté de se ronger les ongles ».

«Tant pis ou tant mieux, si dans cette affaire, on parle d’abord de lui», ajoutait l’Express.

Ses raisons étaient d’abord d’ordre privé, affirmait-il. Il est l’ami de Marine Le Pen, depuis la jeunesse de celle-ci. Il a guidé ses premiers pas d’avocate, puis s’est lié avec son compagnon, Louis Alliot, juriste lui aussi, et numéro 2 du FN. Partageait-il leurs idées? Il esquivait: «nous sommes dans un aquarium sémantique où les mots sont figés par la bienpensance». 

Sa campagne législative a surtout prétendu illustrer «la dédiabolisation marine». Juste «le drapeau», «les frontières», «la préférence nationale». Sa critique, ancienne mais ravivée, de «la bienpensance systémique». Traduction pour les marchés du Gard: le pays contre Paris. Le FN nouveau, populiste bon teint, et a minima. La droite classique pourrait signer— d’ailleurs elle signe.

Considéré un temps comme un homme de gauche

Gilbert Collard précisait aussi qu’il n’avait pas pris sa carte du parti, et ne serait pas venu si Bruno Gollnisch avait été préféré à Marine Le Pen. Il était favorable à une charte, que signeraient les candidats, les membres du FN, proscrivant le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.

Il ne le rappelait pas, mais espérait bien que cela pèserait : sa vie, son œuvre ne plaidaient-elles pas en sa faveur? Ce fils d’un notaire Camelot du Roi, ami de Léon Daudet, avait résolument tourné le dos à l’idéologie familiale. Cap sur l’anarchie et les utopies, pendant ses études de droit. Puis jeune avocat pressé de Marseille, mitterrandiste, alors, et adversaire de la peine de mort, il avait milité, dès les années 80, pour la défense des étrangers.

En 1995, dans l’affaire des Comoriens, il représentait encore, au tribunal, les jeunes gens attaqués par des colleurs d’affiche frontistes. «Nous voulons démontrer la responsabilité des leaders du Front national dans le délire raciste et criminel de ses militants», affirmait-il devant la presse.

Parmi ses faits d’armes de pénaliste, la défense des familles des tombes profanées de Carpentras, le procès des collectifs antillais contre la minimisation de la traite des noirs, la partie civile pendant le procès de Klaus Barbie… 

Mais aussi, à bien y regarder, alors que Gilbert Collard était encore considéré comme un homme de gauche, dissident du MRAP et du PS, et le veilleur vigilant des injustices, déjà des anomalies, des défenses paradoxales. Celle du général Paul Aussaresses, qui a avoué la torture en Algérie; de Charles Pasqua et de la famille Le Pen; de Laurent Gbagbo.

Certains avocats, parmi les pénalistes, ont toujours choisi le grand écart. La défense des salauds. Comme s’ils se dévouaient, au nom de la démocratie et de l’histoire, pour permettre, même aux plus indignes, de profiter d’un droit sans exclusive. C’est l’histoire de Jacques Vergès, l’avocat de Barbie, de Carlos ou de Milosevic, que, comme d’autres, Gilbert Collard a tenté d’imiter.

Camouflages

L’ennui, c’est que la contradiction des causes judiciaires a toujours fait partie des techniques de camouflage des ténors du barreau soupçonnés d’appartenance à l’extrémisme de droite, ou de sympathie pour lui. Les inspirateurs de l’ordre noir, en France, ont été, dans leur majorité, des journalistes et des écrivains – souvent transfuges de la gauche.

Les pires aventures antiparlementaires ou antisémites, la naissance des Ligues, avant-guerre, et les menées antigaullistes, pendant le conflit algérien, ont d’abord été affaires de presse et de plume. Drumont, Maurras, Maurice Bardèche ou François Brigneau. Céline et Brasillach, bien sûr. Mais les avocats n’ont jamais été bien loin.

D’abord, parce qu’il fallait bien assurer la défense des conjurés et cagoulards de toutes obédiences, lorsque la République leur faisait procès de leurs pensées ou de leurs écrits; ou de leurs crimes, à la Libération comme à la chute de l’OAS. Pamphlétaires, nervis ou militaires défroqués, financiers occultes, et avocats recommandables, tel a toujours été l’attelage.

Curieusement, le barreau manque dans la liste des antidreyfusards. Essentiellement parce que le capitane Dreyfus a été poursuivi par des juges militaires, et défendu par des républicains. La chronique a surtout retenu un nom, Jules Quesnay de Beaurepaire, procureur auprès de la cour de cassation au moment de l’«affaire». Il choisit de démissionner, en 1899, non pour se désolidariser de l’accusation, mais pour se donner toute liberté de dénoncer les avocats œuvrant à la révision du procès.

Les juristes sont plus nombreux parmi «les revanchards» des deux premières guerres contre l’ennemi allemand. Derrière l’Action française; avec les antiparlementaristes et les anti-communistes; contre le «cosmopolitisme» et le capitalisme juifs. Plus discrètement, cependant. Comme leur outil est le droit, forgé au parlement, il leur est difficile de défiler avec les Ligues, dans les années 30, autour de l’Assemblée nationale. Ils doivent se garder pour tenter d’alléger la responsabilité des chefs fachos, devant les tribunaux. Quand ils n’ont pas connu, eux-aussi, une jeunesse dreyfusarde ou de gauche, ils sont nés à l’extrémisme, catholique ou nationaliste, à la faculté de droit.

Le recyclage républicain

Celle de Paris, surtout, avec sa «corpo» d’exaltés hostiles au pouvoir, à la presse et aux idées démocratiques. Les avocats en herbe ont un peu défilé, et fait le coup de poing au Quartier latin, selon une tradition qui court jusqu’aux beaux jours du mouvement Occident, en 1968, à la fac parisienne d’Assas.

Puis il se fondent dans la bourgeoisie politique républicaine, prennent rosette et cabinet confortable. Comme l’Ordre du barreau veille, ils sont irréprochables. On ne les voit pas dans les meetings, encore moins les jours de chasse, comme celles menées, en 1936, aux dirigeants du Front populaire. Ils ne s’avancent que lors des procès fameux. Avec l’éternel argument: un ennemi de la République a droit à un défenseur républicain, preuve ultime de la grandeur et de la bienveillance de la dite République. 

Pour mieux asseoir cette vérité, et leur propre innocence, ils ont pris soin d’aller défendre auparavant le camp d’en face. Ils sont quelques-uns, dans l’histoire récente, parmi les plaideurs inspirés de droite, à avoir pu se prévaloir, avant de représenter les collabos ou, vingt ans plus tard, les putschistes d’Alger, de quelques plaidoiries remarquées en faveur de partisans d’une idéologie contraire. Avant de tenter d’épargner, en 1945, la peine capitale à Brasillach, puis au maréchal Pétain – manqué pour le premier, réussi pour le second - Me Jacques Isorni, tribun d’exception, avait défendu les communistes poursuivis par la cour d’appel de Paris et le Tribunal d’Etat, pendant l’Occupation.

Quand la presse s’était étonnée de le voir plaider pour des collaborateurs, après sa défense de victimes de Vichy, il avait eu cette réplique: «j’étais du côté des prisonniers. A la Libération, les prisonniers ont changé. Moi, je suis resté du côté des prisonniers».

Ce n’est qu’ensuite qu’il avait rejoint le Centre national des indépendants et paysans (CNIP) d’Antoine Pinay, pour beaucoup spécialisé dans le recyclage – «la machine à laver», plaisantait-on, alors – des extrémistes de droite désireux d’entreprendre une carrière politique légale. Jacques Isorni avait été élu député. Il s’était illustré par une proposition de loi en faveur de l’abolition de la peine de mort, mais avait été aussi le seul parlementaire de droite à refuser l’investiture du général de Gaulle.

Battu en 1958, il avait repris sa mission de défenseur des dévoyés idéologiques, dans les palais de justice, en particulier l’un des accusés de l’attentat du Petit-Clamart contre le chef de l’Etat. Jusqu’à la fin de sa vie, il avait lutté, devant toutes les instances de justice possibles, pour la révision du procès de Pétain.

Autre exemple d’ambiguïté. Pascal Arrighi. Résistant, interné dans les camps espagnols, combattant des troupes de la France libre; député du CNIP, partisan acharné de l’Algérie française, plusieurs fois sauvé par de Gaulle; grand juriste; entré au Front national en 1984.

Ou encore Jean-Marc Varaut: étudiant royaliste, directeur du journal l’Action française (Restauration nationale), puis avocat, un temps associé à Roland Dumas. Animateur des comités Tixier-Vignancourt, du nom de l’avocat d’extrême droite le plus célèbre de l’après-guerre ; défenseur des premiers dissidents soviétiques, puis de Jacques Médecin, le maire de Nice, de Challe, l’un des conjurés d’Alger, du mercenaire Bob Denard, et de Maurice Papon. Auteur également d’un livre apaisé, en 1999, Pour la nation, qui défend une conception de la France très ouverte aux immigrants. 

Manifestement, Gilbert Collard aimerait hanter ce cercle aujourd’hui défunt, des grands pénalistes solitaires et incompris, qui ont parfois tutoyé un certain déshonneur sans y succomber. Rêve difficile, indépendamment de son propre talent, dans les prétoires: l’histoire de France, hier, multipliait les fractures violentes, et dégageait des coupables bien trempés.

En 2012, le noir romantisme politico-pénal risque d’apparaître plus terre à terre, plus médiocre, aux contemporains de l’avocat-candidat FN.

Philippe Boggio

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