France

Rapatrier les centres d'appels? Et le co-développement, bordel?

Montebourg veut empêcher le Maghreb de se développer et accélérer le déclassement des jeunes diplômés français (mais ça part d’un bon sentiment).

Arnaud Montebourg prenant un appel - Pascal Rossignol / Reuters
Arnaud Montebourg prenant un appel - Pascal Rossignol / Reuters

Temps de lecture: 2 minutes

Arnaud Montebourg veut réindustrialiser la France et c’est une super idée. Après tout, fabriquer des trucs et des bidules plutôt que simplement les inventer dans des bureaux d’étude, ça justifie l’existence d’un parc nucléaire qui alimente des usines gloutonnes en énergie et ça stimule les activités de dépollution.

Ça n’est pas exactement de la croissance durable, bien sûr, mais c’est toujours de la croissance tout court.

Le hic, c’est que les trucs et les bidules sur lesquels il se concentre, du fil de soutien-gorge au fil d’acier, ne sont pas exactement le meilleur moyen de rattraper l’Allemagne ou le Japon sur ce terrain. Ces deux pays, les seuls ou presque encore capables de vendre quoi que ce soit aux émergents, préfèrent leur expédier des machines-outils ou des robots: ça rapporte davantage et ça permet bien payer les ouvriers. Mais surtout, les Chinois ne savent pas encore faire les mêmes et ils en ont besoin pour fabriquer les soutiens-gorge et l’acier qu’ils exportent vers la France à vil prix.  

De fait, si notre projet industriel est de concurrencer la Chine et l’Inde sur le textile et les rouleaux de métal, il faudra aussi penser à ramener nos salaires et nos conditions de travail aux niveaux chinois ou indiens. Remarquez, ce sera tout bénef pour les fabricants allemands et japonais de machines-outils auprès desquels il nous faudra bien nous équiper…

Des débouchés pour les diplômés en socio qui n’ont pas été pris à McDo

Mais Arnaud Montebourg s’intéresse aussi au tertiaire, même si ça clashe un peu avec l’intitulé de son ministère. Il entend désormais «rapatrier» les centres d’appels des sociétés françaises installés en Afrique du Nord ou à Madagascar, au motif que ça créerait des emplois (un bon 30.000, entend-on dire ici et là mais personne ne sait vraiment).  

Bon, c’est normal qu’il s’intéresse à ce genre de choses parce que c’est exactement la même approche que pour l’industrie: concurrençons les pays à bas salaires sur des postes peu qualifiés et la prospérité reviendra! Mais le hic (oui, il y a encore un hic), c’est que les centres d’appels sont exactement le genre d’endroits où aboutissent les jeunes diplômés qui n’ont pas été pris chez McDo pour parachever leur déclassement social.

Abonnés au smic, forcés de travailler le dimanche et le soir parce que le principe de la hotline, c’est précisément de fonctionner à plein régime sur ces périodes, ils pourraient mettre leurs masters en psycho, socio et autres «sciences de la communication» au service des abonnés à Free (lesquels feraient tout de même un peu la gueule parce que le prix de l’assistance téléphonique aura augmenté dans la foulée).

Pour autant, l'ami Montebourg, il faudra encore qu’il explique à Pascal Canfin, son collègue chargé de l'aide au développement, en quoi cette initiative est une bonne chose pour les pays du Maghreb, dont les avantages comparatifs autorisant un décollage économique à l’asiatique sont précisément d’être francophones, de travailler le dimanche et à des horaires différents de la France pour des raisons culturelles, de disposer d’une main d’œuvre abondante et bon marché.

Des milliers de licenciements en Tunisie et au Maroc et l’interdiction absolue pour ces pays d’apprendre à pêcher au lieu d’être gavés de poissons conditionnés en France (ok, c'est une image), ça ça serait un joli coup de pouce de la gauche aux révolutions arabes…

Hugues Serraf

cover
-
/
cover

Liste de lecture