Life

Accro aux jeux iPhone

C'est rapide, pas cher, et ça me rend complètement dingue.

Temps de lecture: 5 minutes

Le mois dernier j'étais devenu contrôleur aérien, du genre complètement obsédé. La faute à Flight Control, un jeu génial sur iPhone, dont le principe est simple: vous voilà face à des tas d'avions, et votre job c'est de guider chacun vers sa propre piste. Pourtant, la jouabilité est terriblement compliquée. Au bout de quelques minutes seulement, les avions surgissent à un rythme effréné, et c'est la course pour éviter qu'ils se rentrent tous dedans. Quand cela arrive, on vous propose de rejouer. Flight Control rend tellement accro qu'il devrait être accompagné d'un avertissement. Selon Firemint, l'éditeur du jeu, cette appli à 99 cents a été téléchargée plus de 700 000 fois depuis le mois de mars, avec parfois des pointes à 20 000 téléchargements par jour.

Comme je suis tombée la tête la première dans Flight Control, j'ai essayé de comprendre ce qui le rendait aussi prenant. Déjà, c'est amusant et le design est plutôt chouette. Mais il y a autre chose: on peut y jouer n'importe où, n'importe quand, surtout quand on n'a rien à faire, qu'on s'ennuie, et qu'on est tout seul. Et parce que ce jeu est répétitif, un peu abrutissant et plutôt court, - on peut très bien y jouer quelques minutes seulement et puis l'éteindre - il a tendance à occuper tout votre temps libre. J'ai déjà joué à Flight Control dans la queue au supermarché, dans la salle d'attente chez le médecin, lors de mes crises d'insomnie, et bien sûr, aux toilettes.

Quand je dis aux gens que l'iPhone n'est pas un très bon téléphone - je capte tellement mal dans mon appartement que parfois j'en viens même à utiliser Skype - ils me regardent comme si j'étais complètement abruti. Pourquoi dépenser autant d'argent dans un téléphone avec lequel je ne peux même pas téléphoner ? Ne vous méprenez pas : le nom de l'iPhone c'est juste un stratagème marketing ; en vérité mon iPhone est un ordinateur mobile dont je me sers parfois pour passer des coups de fil. Et comme on peut le constater avec Flight Control, c'est aussi une console de jeu. Bien qu'il ne possède pas toutes les caractéristiques d'une véritable console portable comme la Nintendo DS, l'iPhone (et son jumeau avec lequel on ne peut pas téléphoner, l'iPod Touch) a pourtant quelques avantages non-négligeables : on l'emmène partout, et il est connecté en permanence à une gigantesque boutique de jeux pas chers et qui vous rendent complètement accro.

Je n'ai jamais vraiment joué aux jeux vidéo, donc je n'ai jamais eu de DS ou d'autre console du même genre. Alors comment a fait Apple pour me transformer en joueur compulsif ? Déjà, comme un jeu sur iPhone coûte rarement plus d'un ou deux dollars, le pari n'est pas très risqué alors on ne réfléchit pas à deux fois avant de l'acheter. Ensuite, la plupart d'entre eux correspondent à ce qui fait, selon le fondateur d'Atari Nolan Bushnell, les meilleurs jeux : faciles à comprendre, difficiles à maîtriser. Les joueurs très occasionnels prennent le coup de main assez rapidement, mais très vite on s'arrache les cheveux quand il s'agit de faire atterrir plus d'une cinquantaine d'avion à la fois - et en plus on persiste. Et voilà, sans vous en rendre compte, l'iPhone vous a transformé en véritable joueur.

S'il est vrai que certains jeux sont assez complexes - comme Oregon Trail qu'on met plusieurs jours à terminer, ou SimCity, qui n'a pas vraiment de fin - les développeurs les plus doués sur cette plateforme sont à leur compte, ou bien dans des startups, mais n'ont en tout cas pas les moyens de sortir de vrais « gros » titres. Alors ils se contentent de développer des petits jeux assez simples et qui séduisent un large public.

Le premier à l'avoir compris est depuis quelques mois devenu une véritable légende. Ethan Nicholas était programmeur chez Sun Microsystems. Il a dû faire face à des imprévus financiers, alors il a décidé de s'en sortir en mettant ses compétences à profit, mais sur l'iPhone. L'automne dernier, il a passé des semaines - parfois même en berçant son fils d'un an - à coder iShoot, un jeu dans lequel on contrôle un tank. Le jeu, qui coûtait $2.99, est arrivé sur l'Apple Store en octobre, et est devenu un best-seller en janvier, se vendant à des centaines de milliers de copies, ce qui a permis à Nicholas de gagner assez d'argent pour démissionner et se consacrer à plein temps au développement d'applis iPhone.

IShoot fut aussi le premier jeu qui m'ait donné envie de jouer sur mon téléphone. Il est facile à prendre en main ; c'est un jeu d'artillerie dans lequel il faut choisir les bonnes armes, le bon angle, et la bonne vitesse pour tirer sur d'autres tanks qui progressent dans un paysage montagneux en 2-D. Ses graphismes sont peut-être un peu dingues - par exemple, des tanks apparaissent sur le Mont Rushmore ou le toit de la Maison Blanche - mais il est évident qu'iShoot reste une production lo-fi. Attention, ça ne change rien à sa qualité : Nicholas a été très attentif à la progression dans le jeu, même quand on est néophyte, et il a fait en sorte qu'on s'y amuse, quelque soit le niveau de difficulté. Je ne regrette pas mes 3 dollars, au contraire. J'ai joué à iShoot pendant des semaines, profitant de toute occasion pour combattre des tanks, passant du niveau « facile » à « extrême », et j'ai commencé à trouver ça ennuyeux seulement quand je suis devenu assez bon pour finir tous les niveaux.

Les meilleurs jeux iPhone suivent souvent le modèle d'iShoot : ils imitent des classiques qui ont déjà fait leurs preuves sur d'autres plateformes. Il y a quelques mois, j'ai téléchargé Fieldrunners, une version iPhone des jeux « tower-defense » qui rencontrent un succès fou sur le Web. L'objectif de ce genre de jeux - bien connus pour vous rendre complètement accro dès les premières minutes - est de construire un maximum d'obstacles et de pièges élaborés pour empêcher les nuées d'ennemis de traverser votre écran et arriver à destination. La version la plus populaire sur le Net, Desktop Tower Defense, a très probablement réduit la productivité mondiale d'au moins quelques points après sa sortie en 2007 (j'ai moi-même rendu quelques bouquins en retard à cause de ce jeu).

Fieldrunners rend tout aussi accro, mais sans la culpabilité qui va d'habitude de paire. J'y jouais quand je n'étais pas sur mon ordinateur, quand je n'avais rien d'autre à faire, donc je ne me sentais pas coupable d'avoir passé des semaines à essayer de le terminer. J'ai lâché ce jeu quand j'ai fait la terrible erreur de chercher des astuces sur le Net : j'y ai trouvé un modèle complètement infranchissable qui me donnait le maximum de points à chaque fois, ce qui finissait par ôter tout intérêt au jeu.

Aucune étude n'a montré que l'iPhone avait fait baisser les ventes des consoles portables traditionnelles. En avril, Nintendo a lancé sa petite dernière, la DSi, et les ventes ont explosé. Il est très probable que l'intérêt porté à cette console réside en partie au moins dans une caractéristique que Nintendo a copié sur Apple: une boutique d'applis en ligne. On connecte la DSi en Wi-Fi sur le magasin online, on y trouve des jeux qui coûtent quelques dollars seulement, et comme sur l'iPhone, on peut y jouer instantanément.

Pour le moment il n'y a pas énormément de titres disponibles, mais comme la DS a une grosse communauté de fans, on peut s'attendre à ce que les développeurs s'y intéressent très rapidement. Ceci étant dit, pour des joueurs occasionnels comme moi, il n'y a pas  de raison que je décide d'acheter la DSi - après tout, elle ne fait pas téléphone (même médiocre).

Ma dernière lubie, c'est Strategery, une très belle version de Risk. Une fois encore, le principe est simple : il faut contrôler une carte en battant les pays voisins à coups de dé. Mais les développeurs ont donné aux adversaires une intelligence artificielle plutôt saisissante ; lorsqu'on choisit le niveau de difficulté le plus élevé, ils anticipent votre stratégie et bloquent vos coups avec une efficacité incroyable et sans aucun remords. Attention au craquage nerveux, on a souvent l'impression qu'il est impossible de gagner - même si je recommence systématiquement à chaque fois que je perds. Je vais finir par me lasser, c'est sûr, mais l'App Store est immense et les jeux pas chers. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je trouverai toujours de quoi m'occuper avant d'arriver à la caisse.

Farhad Manjoo

Article traduit par Nora Bouazzouni

Photo: iPhone  Reuters

En savoir plus
cover
-
/
cover

Liste de lecture