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Vieillissement: boire pour ne pas oublier

La consommation d'alcool à petites doses a fait la preuve de ses vertus préventives dans les maladies cardiovasculaires. C’est un peu plus compliqué en ce qui concerne la démence et les affections neurodégénératives.

La reine Elizabeth fête son jubilé avec modération - Jason Reed / Reuters
La reine Elizabeth fête son jubilé avec modération - Jason Reed / Reuters

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Parfois, l’alcool est une bien belle substance. C’est aussi, assez fréquemment, une molécule détestable. Heureusement désinhibitrice dans de nombreux cas, facilitant les échanges entre humains, elle est à l’origine d’un fléau multiforme, la cause de dégâts majeurs, individuels et collectifs. On retrouve cette ambivalence dans le champ de la biologie et de la médecine.

De très nombreux travaux ont cherché (et sont parvenus) à mettre en évidence l’impact bénéfique d’une consommation modérée de boissons alcooliques (de vins pour l’essentiel) sur l’appareil cardiovasculaire. Ces travaux sont notamment directement impliqués dans les démonstrations récurrente des vertus du célèbre «régime méditerranéen» qui vient une nouvelle fois d’être mis à l’honneur: l’European Journal of Clinical Nutrition (2012; 66(3): 360-8) publie une étude qui associe ce type d’alimentation à une qualité de vie définitivement meilleure en termes de santé physique et de bien-être mental.

De l'alcool pour préserver les fonctions cognitives

La question reste ouverte pour ce qui est de l’impact de la consommation d’alcool sur le maintien des capacités cognitives ou de la prévention du risque de démence. Elle s’enrichit aujourd’hui d’une étude  publiée dans la revue Psychiatry Investigation. Ce travail sud-coréen a été dirigé par le Dr Ihn-Geun Choi (Department of Neuropsychiatry, Hallym University Hangang Sacred Heart Hospital, Seoul) Les auteurs se sont intéressés à la question, passionnante, de savoir s’il était possible (au vue des données actuellement disponibles) de définir « un modèle optimal de consommation ».

Ils observent que dans ce domaine (et à la différence notable du coeur) les mécanismes biologiques spécifiques restent mal compris, et il semble pour le moins prématuré de recommander une consommation régulière d’alcool (même modérée) dans le but de prévenir ou de réduire le risque de démence (entendue comme une perte d’autonomie) précoce.  Il leur semble néanmoins  possible de dédramatiser les conséquences négatives d’une (légère) consommation quotidienne d’alcool chez les patients âgés et très âgés.

Comment faire la part entre un effet neurotoxique et un effet neuroprotecteur de la consommation d’alcool? L'association entre cette consommation et la fonction cognitive chez les personnes âgées est pour le moins complexe. C’est l’analyse de cette association qui est effectuée par les auteurs de la publication de Psychiatry Investigation. Les doses, les habitudes de consommation voire le type de boissons sont autant de paramètres qui peuvent entrer en ligne de compte. Des études longitudinales et par imagerie cérébrale ont d’ores et déjà montré que chez les patients âgés, une consommation excessive d'alcool peut augmenter le risque de dysfonctionnement cognitif et de démence. A l’inverse une consommation à la fois faible (ou modérée) et régulière peut protéger contre déclin cognitif et la démence, sans même parler des bénéfices cardiovasculaires.

Les auteurs sud-coréens ont analysé les études sur l’association alcool-capacité cognitive chez les personnes âgées publiées durant quarante ans: de 1971 à 2011. Le contexte général est connu: on manque cruellement de traitements efficaces pour prévenir le déclin cognitif ou la démence. Or, il apparaît, au vu d’un certain nombre d'études épidémiologiques prospectives que le risque de démence précoce est plus faible chez les buveurs (légers à modérés) que chez les abstinents. D'autres études font aussi état d’effets bénéfiques mais seulement  dans certains sous-groupes. Une récente méta-analyse sur des sujets de plus de 65 ans conclut de manière convergente que la consommation d'alcool légère à modérée est associée à un risque moindre d'environ 35 à 45% de déclin cognitif ou de démence par rapport à l’abstinence.

Un médicament en phase de test: le resvératrol

On pourra rapprocher ces travaux de l’initiative de chercheurs de la Georgetown University: ils souhaitent  faire le point le plus objectif possible sur la façon dont on pourrait à l'avenir utiliser le resvératrol (un composé présent notamment dans les raisins et vins  rouges) contre le développement de la maladie d’Alzheimer. La Georgetown University vient ainsi de lancer une grande étude nationale, soutenue par le National Institute on Aging (NIA-NIH) en collaboration avec 24 institutions universitaires américaines. Il s’agit d’un essai de phase II de douze mois qui vise à examiner les effets du resvératrol sur des patients atteints de démence légère à modérée de type maladie d'Alzheimer. Ce travail est coordonné par le Pr R. Scott Turner, directeur du Georgetown University Medical Center's Memory Disorders Program. Aujourd’hui le resvératrol (et a fortiori les vins rouges) n'est pas approuvé par le Food and Drug Administration pour le traitement de la maladie d'Alzheimer.

La plupart des études montrant les bénéfices du resvératrol a été menée sur l’animal et surtout sur des souris, et avec des doses qui dépassent de loin l'apport d’une consommation quotidienne modeste de vin rouge. Ici les participants devront subir deux ponctions lombaires, trois IRM cérébrales, des prélèvements sanguins et des tests d'urine. Un autre objectif sera de confirmer les bénéfices du resvératrol en prévention du diabète.

Que peut-on, pratiquement conclure et conseiller dans ce domaine? A dire vrai peu de choses, du moins si l’on en croit les spécialistes sud coréens. Les mécanismes biologiques spécifiques directement impliqués dans les phénomènes observés demeurent mal compris. On ne saurait sans grand risque préconiser des fourchettes de consommation à visée préventive. Tout au plus peut-on affirmer qu’une consommation modérée apparaît potentiellement bénéfique – et qu’en toute hypothèse elle peut être dédramatisée. Et ce d’autant que des données biomédicales soutiennent l'idée qu’une consommation modérée d'éthanol est non seulement sans danger pour la fonction cognitive, mais qu’elle peut avoir un effet neuroprotecteur.

Reste que l’on est ici soumis aux faiblesses méthodologiques, aux écarts statistiques et à l’absence de définitions vraiment normalisées. Un flou relatif qui incite à souhaiter la conduite d’études mieux élaborées pour savoir si les seniors peuvent, eux aussi, bénéficier des plaisirs inhérents à une consommation (non pathologique) de boissons alcooliques.

Jean-Yves Nau

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