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La Grèce handicapée par son mode de scrutin

En Grèce, les élections du 6 mai ont conduit à une impasse politique et institutionnelle inédite depuis 1974. Elles ont aussi démontré les limites de la loi électorale en vigueur pensée à l’origine comme un instrument de stabilisation.

Deux manifestantes devant le parlement grec, en mai 2012. REUTERS/John Kolesidis
Deux manifestantes devant le parlement grec, en mai 2012. REUTERS/John Kolesidis

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L’effondrement des deux partis gouvernementaux, ND (droite) et Pasok (socialiste), qui ont respectivement obtenu 18,85% et 13,18% des voix aux dernières législatives, a totalement reconfiguré le paysage politique grec.

Sanctionnés par les électeurs pour leur gestion corrompue du pays et pour avoir accepté les mesures d’austérité accompagnant les plans de sauvetage de la «troïka», les deux partis majoritaires ont fait place à de nouveaux protagonistes qui seront incontournables pour former un gouvernement à l’issue du scrutin du 17 juin.

Mais si les scores de la coalition de gauche radicale Syriza qui a devancé le Pasok ont créé la surprise le 6 mai, l’éparpillement des voix, plus impressionnant encore, suscite aujourd’hui une vive polémique autour des injustices du système électoral.

«Non seulement la faiblesse des résultats des deux partis chargés habituellement de former un gouvernement a démonté la logique bipartisane qui présidait aux élections grecques, mais elle a aussi annulé tout le potentiel stabilisateur de l’actuelle loi électorale», affirme Giacomo Benedetto, professeur au département d’études européennes de l’université de Londres.

Destinée à faciliter la formation d’une majorité à la Vouli –le parlement grec qui compte 300 sièges– la loi électorale prévoit en effet plusieurs mesures destinées à empêcher que la multiplication des partis ne conduise à une atomisation des instances représentatives.

Parmi ces règles figurent l’attribution automatique d’un bonus de 50 sièges au parti arrivé en tête et l’obligation de récolter au minimum 3% du total des voix pour accéder au parlement.

Une proportionnelle «pleine»

«Malheureusement, le bonus des 50 sièges ne peut garantir la stabilité que dans les cas où un ou deux partis domine(nt) la scène politique et obtien(nen)t entre 35% et 40% des voix, poursuit Giacomo Benedetto. Si les partis arrivés en tête obtiennent un score plus faible, ce système accentue au contraire l’instabilité.»

Avec seulement 18,9% des votes, blancs et nuls non comptés, ND a récolté au total 108 sièges au parlement (58+50 sièges de bonus) contre 52 seulement pour Syriza. Pourtant, avec 16,6% des voix, cet «outsider» n’a obtenu qu’un peu plus de 2 points de moins que ND.

«L’écart dans la répartition des sièges est invraisemblable et l’injustice va se répéter lors du prochain scrutin car les voix ne seront pas moins éparpillées», tranche Thanasis Dimakis, jeune fondateur d’un mouvement en faveur de la réforme de l’actuelle loi électorale et le remplacement du scrutin proportionnel dit «renforcé» par une proportionnelle «pleine» («apli analogiki»).

Avec ce système, ND aurait obtenu 57 sièges. Sur le site Internet  aplianalogiki.gr, on trouve une représentation du parlement tel qu’il aurait été composé à l’issu du 6 mai avec la proportionnelle «pleine»:

aplianalogiki.gr (certains noms de partis traduits par Slate.fr)

La frustration est en effet d’autant plus grande que l’opposition au mémorandum s’impose aujourd’hui comme l’une des principales lignes de clivage qui fracture le paysage politique grec. «L’éparpillement des votes et le rejet sévère des politiques d’austérité lors des dernières élections ont exacerbé le sentiment d’injustice dans la répartition des sièges au parlement», explique Stamatis Kavvadias, blogueur grec devenu la figure de proue de la dénonciation de l’actuelle loi électorale.

En tout, les partis qui ont obtenu plus de 3% et fait campagne contre l’application des règles de la «troïka» ont totalisé 42,83% [1] des voix contre seulement 32,02% pour les deux partis souhaitant tenir leurs engagements vis-à-vis des bailleurs du pays.

Un écart important sur une thématique incontournable qui rend peu légitime l’avantage accordé au parti arrivé en tête. «Les défauts du système apparaissent encore plus clairement aujourd’hui dans la mesure où la loi électorale donne l’avantage à un parti (ND) qui soutient des mesures désavouées par la société», ajoute Stamatis Kavvadias.

Au niveau local, les absurdités générées par ce système ont été encore plus frappantes lors des dernières élections. A Patras, dans la région d’Achaïe, Syriza, dont le score s’est élevé à 21,81% lors des dernières élections, se voit attribuer 2 députés, autant que ND qui n’a pourtant obtenu que 17,55% des voix.

3% ou le mauvais seuil

Le seuil des 3% nécessaires pour que les partis accèdent au parlement génère des frustrations similaires. La somme des scores des partis qui n’ont pas obtenu ce sésame atteint presque 19%, soit plus que le parti majoritaire. Une situation que Stamatis Kavvadias résume ainsi:

«Avec ce système, 1/5e de la composition du parlement issu des élections du 6 mai correspondrait à des partis non représentés, ce qui est injuste au regard des scores très bas des partis arrivés en tête.»

Ce plafond, mis en place à l’origine pour freiner l’entrée au parlement de petites formations musulmanes réclamant l’autonomie de certaines parties de la région de Thrace, fait aujourd’hui l’objet de vives critiques de la part de plusieurs formations comme les écologistes grecs (2,93% des voix le 6 mai) la coalition anticapitaliste Antarsya (1,19%) ou le Parti pirate fondé en janvier 2012 (0,51% des voix). Ces partis ont d’ailleurs signé l’appel en faveur de la proportionnelle «pleine».

A quelques jours des nouvelles élections, ces critiques touchent une grande partie de l’opinion publique qui ne se reconnaît plus dans le système bipartisan. Selon Giacomo Benedetto, il pourrait en tout cas profiter à Syriza qui, en tant que parti de gauche leader des dernières élections récoltera les votes utiles d’ordinaire réservés au Pasok.

Si le parti de gauche radicale arrivait en tête, le possible ralliement des «grecs indépendants» d’Anel (droite) pour former une coalition consacrerait le clivage anti/pro-mémorandum comme une ligne de fracture plus importante que le traditionnel axe droite/gauche.  

Thalia Bayle


[1] Le parti de la Gauche démocratique, qui a obtenu 6,11% des voix le 6 mai, a fait campagne sur la «renégociation du mémorandum». Ses voix ne sont donc pas inclues dans le calcul. Retourner à l'article

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