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Sotomayor, le choix d'Obama pour la Cour Suprême

Pourquoi Obama a choisi Sonia Sotomayor pour siéger à la Cour suprême.

Temps de lecture: 4 minutes

Des cases à cocher: voilà ce qui attend en général un président qui choisit un candidat au poste de juge à la Cour suprême.

En choisissant la juge Sonia Sotomayor, Barack Obama en a coché pas mal.

Femme: [X] (elle sera la troisième de l'Histoire si elle est investie).
Hispanique: [X] (c'est la première femme hispanique nominée).
Bipartisane: [X] (elle a déjà été nominée par le président républicain George W. Bush).
Expérimentée: [X] (elle a été investie deux fois par le Sénat, et a davantage d'expérience de la justice fédérale que les membres siégeant actuellement à la Cour suprême n'en avaient à leur nomination).
Libérale: [X]
Intelligente: [X] (diplômée de Princeton avec les félicitations du jury, elle a fait une licence de droit à Yale).
Connaissances en droit: [X] (elle a été procureur, juge, et avocate en droit privé)
Biographie: [X], vérifiée et re-vérifiée (Obama a vanté son «parcours hors du commun». Sotomayor a grandi dans une cité HLM et a perdu son père à l'âge de 9 ans).

Cerise sur le gâteau, Sotomayor a même la réputation d'avoir sauvé le baseball. Mais pour l'instant, rien sur ses compétences en matière de tarte aux pommes.

Pour contrer le choix d'Obama, les républicains vont devoir décocher toutes ces cases. Il doit être possible d'avancer que Sotomayor est soit trop libérale, soit trop à l'écart du courant dominant, mais en faisant cela les républicains risquent de porter préjudice à leur position déjà lamentable auprès des femmes et des Hispaniques. (Petit rappel historique: l'année dernière, Obama a raflé 67% des voix des Hispaniques contre 31% pour son adversaire.)

En entrant dans ce débat, les républicains en ont bien évalué les opportunités et les défis. Mathématiquement, il est fort probable que le Sénat approuvera la candidate d'Obama. D'un point de vue purement politique, la confirmation semble bien assurée. Obama bénéficie déjà d'une majorité de 59 démocrates qui le garantit contre toute obstruction. Il est également peu probable que les deux sénatrices républicaines modérées du Maine votent contre Sotomayor (ainsi que les deux autres femmes du parti républicain.)

Mais ce n'est pas parce que les mathématiques jouent en faveur de la confirmation que les républicains n'ont pas d'opportunités politiques. Comme l'a souligné la semaine dernière le sénateur républicain John Cornyn lors d'un petit-déjeuner avec des journalistes, son parti est traditionnellement fort sur les questions judiciaires. (Evidemment, il a aussi admis que les républicains étaient menacés d'extinction.) Cette nomination offre à l'opposition une occasion d'évoquer leurs valeurs, de façon à rappeler aux conservateurs pourquoi ils aiment les républicains, et elle leur fournit aussi un grand tremplin pour affirmer que le président appartient à la gauche idéologique. «C'est un grand moment de télévision», déclare un conseiller sénatorial. «Définitoire.»

Mais la nomination et la réaction qu'elle suscite surviennent en pleine crise d'identité du parti républicain. D'un côté, des gens comme le général Colin Powell estiment que le parti devrait se diversifier. Cela signifie étendre sa base au-delà du Sud et ne pas s'appuyer autant sur l'attrait exercé sur des types du genre «Joe le plombier». Si les républicains accablent trop Sotomayor, ils risquent d'annihiler ces efforts.

De l'autre côté du spectre républicain, certains conservateurs comme Rush Limbaugh argueront que la bataille de la nomination offre l'occasion rêvée pour le parti de réaffirmer fièrement le vrai idéal des conservateurs. C'est-à-dire s'insurger contre les juges prêts à légiférer depuis leur tribunal, et vilipender le fléau du communautarisme, deux calamités incarnées par le choix même de Sotomayor, et par la décision qu'elle a rendue dans une affaire de «discrimination positive» entre des pompiers blancs et la ville de New Haven.

Lors d'une première réaction à cette nomination, les républicains visaient déjà ce qu'ils considéraient comme l'activisme judiciaire de Sotomayor. «Nous examinerons consciencieusement son dossier pour nous assurer qu'elle comprend que le rôle d'un juriste dans notre démocratie est d'appliquer la loi de manière équitable, en dépit de ses propres sentiments ou de ses préférences politiques ou personnelles», a déclaré Mitch McConnell, le chef de la minorité au Sénat.

Politiquement, Obama ne pâtira de ce choix que dans le cas où l'on découvrirait que Sotomayor est une radicale refoulée, ce qui choquerait nombre de gens. Côté positif, il a répondu aux groupes latinos qui se plaignaient d'être sous-représentés dans l'administration.

Parmi les dernières candidatures, c'est Sotomayor qu'Obama connaissait le moins bien. Il l'a rencontrée mardi dernier et en est ressorti visiblement impressionné. Il a pris sa décision lundi. Pour décrire comment Obama a choisi sa candidate, les hauts responsables de la Maison Blanche évoquent les débats qui l'ont opposé à John Roberts, aujourd'hui président de la Cour suprême. Lorsqu'il était sénateur, Obama a déclaré que 95% des affaires présentées devant la Cour pouvaient être jugées en se basant sur la Constitution et la loi.

Mais les 5% restants ont une importance disproportionnée, affirment certains conseillers. «La Constitution a été rédigée il y a 220 ans. Ils n'avaient pas la moindre idée de ce que nous aurions à affronter», a expliqué l'un d'eux. «Donc, par définition, il faut y apporter une opinion, et il sent que cette opinion devrait intégrer une idée de la manière dont vivent les vraies gens.»

En annonçant la nomination de sa candidate, Obama a loué chez Sotomayor «sa compréhension pragmatique de la manière dont fonctionne la loi dans la vie quotidienne du peuple américain» et sa «sagesse acquise lors d'une trajectoire de vie édifiante.»

La présence de Sotomayor aidera non seulement à juguler le virage à droite de la cour (surtout dans les affaires de droit civil), mais celle-ci est aussi capable de témoigner de son point de vue judiciaire en public. Outre «l'empathie», critère requis par Obama et objet de vastes polémiques, ce fonctionnaire a utilisé le mot imagination la semaine dernière pour décrire ce que recherchait le président. Obama voulait quelqu'un doté du talent d'expliquer la loi au grand public avec des mots simples.

Obama a fait rire en disant que Sotomayor avait «sauvé le baseball» — elle a rendu le jugement qui a contribué à mettre un terme à la grève en 1995 — mais ce qu'il sous-entendait servait sa cause: voici un juge décidé à utiliser la loi de façon à ce qu'elle soit comprise et appréciée par tous les Américains.

John Dickerson

Image de une: REUTERS/Jim Young

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