Économie

Logement: l’Etat peut-il faire mieux sans dépenser plus?

Le logement est un vrai problème pour beaucoup de Français et pas seulement pour les plus démunis. Et pourtant, les aides publiques se montent à 40 milliards d'euros par an. Mais on ne peut pas dire qu'elles sont vraiment efficaces.

Chantier immobilier à l'arrêt en Espagne. Gustau Nacarino / Reuters
Chantier immobilier à l'arrêt en Espagne. Gustau Nacarino / Reuters

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Combien la politique du logement coûte-t-elle aux finances publiques? A vrai dire, il est bien difficile de le savoir. Si l’on se contente de regarder le budget de la mission Ville et logement dans le projet de loi de finances pour 2012, on découvre un chiffre de seulement 7,8 milliards d’euros. En fait il faut regarder les diverses sources de financements publiques (Etat, collectivités locales, branche famille de la Sécurité sociale) et les différentes formes d’aides (aides à la pierre, à la personne, aides fiscales diverses), faire le total, enlever certaines sommes qui pourraient être comptées deux fois... Ce n’est pas simple. En février, le Conseil d’analyse stratégique, placé auprès du Premier ministre, a publié une note sur les aides au logement des ménages modestes; il n’a pu faire mieux que de donner une estimation des aides publiques au logement pour l’année 2009, à «environ» 37 milliards d’euros. Pour avoir un ordre de grandeur en tête, disons que la collectivité dépense aujourd’hui pour le logement près de 40 milliards d’euros chaque année. Ce n’est pas rien.

D’abord l’aide à la pierre

Ces aides se répartissent en gros en deux catégories: les aides à la construction de logements, appelées aussi aides à la pierre, et celles destinées aux usagers du logement, dites aides à la personne. Sur les 37 milliards de 2009, ces deux grandes familles d’aides s’équilibrent à peu près, avec 19,7 milliards pour les premières et 17,6 milliards pour les secondes. Il faut toutefois préciser que ces chiffres incluent des aides fiscales qui sont souvent présentées à part (comme les mesures en faveur de l’investissement locatif) et dont on peut parfois se demander si elles sont des aides au logement ou des aides au secteur du BTP (comme les réductions de TVA).

Pourquoi cumuler ces différentes formes d’aides et ne pas choisir la forme qui serait la plus efficace? Pour comprendre comment on est arrivé là, un rapide retour en arrière s’impose. Après la phase de reconstruction dans l’immédiat après-guerre, l’Etat s’engage au cours des années 50 dans une phase de construction à grande échelle pour faire face aux besoins en logements (la loi sur les HLM, habitations à loyer modéré date de 1949). Dans cette première phase, il ne s’agit pas spécialement de construire pour les plus défavorisés: on construit en quantité des logements de qualité destinés à un public très large. Mais, très vite, on commence à créer des logements de qualités différentes pour des populations diverses. Dès l’instant où on se met à parler de HLMO (avec un O pour ordinaire), le vers est dans le fruit: on commence à faire des PSR, programmes sociaux de relogement, ou des PLR, programmes à loyer réduit, par opposition aux HLMO ou aux ILN, immeubles à loyers normaux.

Puis Raymond Barre crée l’APL

Le point culminant de cette politique de construction de grands ensembles, dont beaucoup de qualité médiocre, est atteint à la fin des années 60 et au début des années 70. Mais cette construction de produits bas de gamme pour les pauvres suscite des réactions. En 1977, avec Raymond Barre, un changement de cap est amorcé. Il n’est plus question de faire des horreurs, on fait du logement social de qualité avec une aide à la pierre pour les constructeurs uniforme ( c’est la politique du PLA, prêt locatif aidé). Pour permettre à tout le monde d’y avoir accès, on crée l’APL, Aide Personnalisée au Logement, qui vient faire la différence entre ce que peut verser une famille aux revenus donnés et le loyer demandé (ce nouveau système vient compléter le système de l’ALF, allocation de logement familiale créée en 1948, et de l’ALS, allocation de logement sociale, créée en 1971).

Mais cette politique reposait sur un espoir qui a été déçu: avec le temps et l’enrichissement de la population, l’aide personnalisée au logement pourrait diminuer. C’est le contraire qui est apparu et on s’en est vraiment rendu compte dans les années 90: la partie la plus modeste de la population, loin de voir son pouvoir d’achat augmenter, a eu de plus en plus besoin de l’APL, dont le budget n’a cessé d’augmenter. Et, malgré l’importance de cette aide, le taux d’effort, c’est-à-dire la part de leurs revenus que les ménages consacrent à leur logement, a augmenté nettement, surtout pour les plus modestes.

Déceptions en chaine

Autre déception: l’Etat comptait aussi réduire son aide à la pierre. Avec le temps, les sociétés d’HLM allaient se trouver à la tête d’un patrimoine immobilier important et allaient pouvoir financer sur leurs fonds propres, avec simplement le concours de la Caisse des Dépôts, les nouveaux logements nécessaires. Malheureusement, celles qui avaient construit les logements sociaux les plus médiocres ont dû engager des travaux de rénovation importants; elles ont  réinvesti avant d’avoir fini de rembourser leurs emprunts antérieurs. Et, plus récemment, on leur a parfois demandé de détruire carrément ces barres d’immeubles alors qu’elles n’avaient pas encore remboursé leurs PALULOS, ces primes à l’amélioration des logements. Comment, dans ces conditions réduire l’aide à la pierre? C’est d’autant plus difficile que l’Etat demande aux sociétés d’HLM de modérer leurs loyers pour limiter ses dépenses au titre de l’APL…

Diminuer ces aides, qu’il s’agisse des aides à la pierre ou des aides à la personne s’annonce difficile, surtout si le gouvernement veut respecter le programme de François Hollande: construire en moyenne 500.000 logements intermédiaires, sociaux et étudiants chaque année pendant cinq ans. Cela paraît d’autant plus difficile qu’on semble privilégier la voie la plus coûteuse: celle de la construction de logements pour les plus modestes avec des financements publics. Dans ce domaine, le raisonnement que tient souvent la gauche est très primaire: on manque de logements sociaux, donc il faut en construire plus. Alors que déjà 17 % des ménages français sont locataires du parc social et que, manifestement, des gens aux revenus moyens seraient très contents de sortir de ce parc social s’ils trouvaient à se loger à un prix raisonnable dans le locatif privé. Ainsi que le souligne Gilbert Emont, auteur de l’ouvrage Logement: pronostic vital engagé, «l’efficacité des aides publiques est maximale quand on traite l’ensemble de la chaine du logement».

Et Cécile Duflot arriva

Bref, si l’on s’obstine sur la voie du tout HLM, si l’on arrête le dispositif Scellier à la fin de l’année, comme vient de le confirmer Cécile Duflot, sans le remplacer par autre chose, par pure idéologie, pour ne pas faire de cadeaux fiscaux à des bailleurs privés, on risque bien  d’aller vers le coût maximal et l’efficacité minimale des aides publiques.

L’arrivée de la secrétaire nationale d’EELV au ministère du Logement suscite d’ailleurs les plus vives appréhensions parmi les professionnels du logement et même parmi les socialistes qui connaissent bien la question. Ces derniers constatent en effet que si les verts ne sont pas les seuls responsables du problème du logement en Ile-de-France, ils contribuent à l’aggraver par leur politique malthusienne. On manque de logements, les loyers augmentent, que fait-on? On prévoit un encadrement des loyers! Certes un tel dispositif peut se justifier à titre exceptionnel et provisoire dans certaines zones où le marché est particulièrement tendu, mais la solution est évidemment ailleurs: il faut construire des logements (y compris en hauteur et en densifiant l’utilisation de l’espace) et si l’on peut associer des capitaux privés à cet effort, on ira plus vite et à moindre coût pour la collectivité. Ce n’est pas gagné!

Gérard Horny

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