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Barack Obama a eu beau accueillir François Hollande dans le Bureau ovale le 18 mai pour leur première rencontre, il a aujourd’hui davantage à apprendre de l’autre homme qui a occupé la présidence française le mois dernier. Les élections française et américaine ont suffisamment de points communs –il s'agit dans les deux cas de processus très médiatiques, durant plusieurs années et largement centrés autour des personnalités des candidats– pour que la Maison Blanche soit attentive à ce qui vient d’arriver au dernier résident de l’Elysée.
Nicolas Sarkozy était mal préparé à être réélu, mais a finalement réussi à réduire de moitié un écart immuable dans les sondages, d’environ six points, dans la dernière ligne droite. Il est peut-être temps pour Obama d’établir le contact par téléconférence avec le bureau de Sarkozy dans le 8e arrondissement et d’en apprendre un peu plus sur ce qui a raté pour son ancien homologue. Voici cinq points à retenir pour lui.
1. L’énergie est dans les marges
Il y a cinq ans, le défi à la bipolarisation gauche-droite de la vie politique française avait été posé au centre. Au premier tour, la troisième place était revenue à François Bayrou, centriste prudent et remonté tardivement dans la course, qui avait réparti ses attaques de manière équitable entre Sarkozy et son adversaire socialiste Ségolène Royal. Cette année, Bayrou est arrivé péniblement à la cinquième place et les deux candidats qui le séparaient des finalistes, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, offraient une critique bien plus acerbe du statu quo.
La morale de l'histoire vaut autant pour Obama que pour Mitt Romney: s'il y a cette année des velléités de politique alternative, elles sont davantage à chercher du côté du Tea Party et du mouvement Occupy Wall Street que du désormais défunt Americans Elect, dont l’objectif était de désigner en ligne un candidat à la présidentielle.
Aller batailler au centre, comme le font naturellement les candidats, peut juste libérer de l’espace pour de nouveaux entrants sur les ailes. Le fait que Sarkozy a passé la majeure partie de l’entre-deux-tours à tenter désespérément de conquérir les électeurs en colère de Marine Le Pen lui a laissé peu d’espace pour développer une vision plus large et plus optimiste.
2. Affirmer que la situation s'améliore ne va pas vraiment changer la donne
Lors de la dernière semaine de campagne, la meilleure réplique d'un meeting de François Hollande n'est pas venue du candidat lui-même, mais d'une ancienne adversaire dont on pensait à l’époque qu’elle pourrait devenir son Premier ministre. Martine Aubry s'est moquée de Sarkozy qui, réagissant aux chiffres du chômage, affirmait que l'économie «allait mieux», même s'ils faisaient état de 20.000 Français nouvellement sans emploi. «Pour essayer d’échapper à son bilan, Nicolas Sarkozy a essayé de relancer l’usine à promesses», s'est amusée Aubry à Lille, son fief. «Vous savez, l’usine à promesses, c’est une des rares usines qui ne ferme pas avec Monsieur Sarkozy.»
L'élection américaine va probablement se jouer sur six mois d'une reprise économique hésitante et incertaine, et il sera donc impossible pour les deux bords d'adopter une rhétorique forte. Obama devra faire attention à ne pas se féliciter de succès prématurés, au risque de passer pour inconscient, tandis que Romney pourra difficilement laisser entendre que le désastre est complet.
3. Restez aimable
Le plus grand atout d’Obama dans la campagne pour sa réélection est que, alors qu’il doit se battre pour convaincre une majorité d’Américains qu’il fait du bon boulot, les 53% qui l’ont élu en 2008 semblent toujours apprécier sa personnalité. Il est donc plus difficile pour ses opposants de l’attaquer personnellement sans engendrer un mouvement de sympathie ou d’incrédulité parmi les électeurs.
L’équipe de campagne de Romney est en consciente, ce qui explique que les attaques du candidat sont restées modérées, presque contrites —comme son récent refrain selon quel Obama, «alors qu’il est peut-être un type bien, n’est tout simplement pas à la hauteur de la tâche». Une nouvelle pub pro-Romney financée pour 25 millions de dollars par Crossroads GPS, un super PAC dirigé par Karl Rove, renforce ce sentiment de déception: il met en avant une femme imaginaire qui lâche Obama après avoir voté pour lui en 2008 «parce qu’il parlait si bien». Cela crée une dynamique déséquilibrée: à cause notamment de primaires durant lesquelles il a été souvent attaqué par les autres républicains, Romney est moins populaire qu’Obama, ce qui autorise la campagne démocrate a faire peu de cas de lui avec mépris d’une façon que les républicains ne peuvent pas se permettre.
Le mal-aimé Sarkozy, bien sûr, n’a jamais pu briguer sa réélection en bénéficiant de la sympathie de l’électorat —ce qui a permis à Hollande, au début de leur débat, de lâcher son délicieusement méprisant «Ce n’est jamais de votre faute» sans crainte d’un retour de bâton. Si Romney a peur de défier avec autant de pugnacité Obama, cela restreindra de manière significative sa capacité à vigoureusement se battre pour déloger le sortant.
4. La politique étrangère n'est peut-être pas la solution
Jouer la carte de la politique étrangère est le dernier refuge des candidats sortants en difficulté. Dans l'intérêt de sa réélection, Sarkozy a décidé que tout devait être en crise.
Ce n'est que sur des questions de sécurité nationale qu’il pouvait réussir à faire croire que son échec électoral serait un pari hautement risqué. Et c'est ainsi que ses meetings s'ouvraient sur une vidéo où on le voyait relever les défis propres à la présidence, avec une succession d'images sur le mode «Je suis le chef de l’État» où il naviguait de crise en crise, de la Côte d'Ivoire à la Libye, en passant par une rencontre avec Gilad Shalit.
Mais il s’est souvent écarté du sujet. Si Sarkozy s’est rabattu sur d'autres thématiques conservatrices —le travail, la responsabilité, l'autorité et le thème lepéno-compatible de l’identité nationale–, c'est parce qu’il est devenu évident que la politique étrangère ne ferait sans doute pas oublier aux électeurs leurs préoccupations principalement économiques. Obama pourra peut-être davantage compter sur la mort de Ben Laden que Sarkozy sur le retour d'Ingrid Betancourt, mais les électeurs ne le laisseront pas aussi facilement dévier la conversation.
5. Mais la force vous aidera peut-être à battre votre adversaire
Sarkozy avait beau être largement détesté par les électeurs français, les sondages montraient régulièrement que c'est lui –et pas Hollande– qu'ils voyaient comme le chef le plus fort.
Ici, il y a un moyen de distancer un adversaire même si les électeurs sont d'accord avec lui sur d'autres sujets. En 1972, George McGovern a perdu face à Richard Nixon même parmi les électeurs pour qui les États-Unis devaient immédiatement quitter le Vietnam et pour qui le budget militaire devait être drastiquement revu à la baisse. A la fin de la campagne, McGovern est apparu comme un dirigeant si faible que les électeurs qui suivaient ses propositions démocrates ne lui faisaient aucune confiance pour arriver à les faire adopter.
Les conseillers opinion de Sarkozy pensaient qu’il pourrait encore user de sa crédibilité de dirigeant et obtenir un tel avantage face à Hollande: dépeindre le socialiste comme si faible que quiconque aimant ce qu'il disait sur la réforme financière ou les nouveaux impôts se demanderait toujours s'il serait capable de concrétiser une seule de ses propositions (Sarkozy n’a pas été capable d’en faire un message gagnant, en partie car son basculement à la fin, ses sorties frénétiques sur l’immigration, la religion et Dominique Strauss-Kahn, ont paru démentir les affirmations sur sa propre carrure de dirigeant).
Ce qui pourrait redonner de l'optimisme à Obama, lui qui cherche à faire passer Romney pour un velléitaire: qu'importe s'ils pensent qu'il est meilleur en économie s'ils estiment qu'il n'a ni la carrure ni le courage pour réussir quoi que ce soit en tant que président.
Sasha Issenberg
Traduit par Jean-Marie Pottier et Peggy Sastre