France / Politique

En juin, la gauche pourrait être majoritaire... et minoritaire

Moins de 300 députés? Entre 300 et 350? Plus de 350? Selon son étiage, la probable future majorité aura les mains plus ou moins libres.

François Hollande, Arnaud Montebourg et Jean-Marc Ayrault, le 22 septembre 2008 à l'Assemblée nationale. REUTERS/Charles Platiau.
François Hollande, Arnaud Montebourg et Jean-Marc Ayrault, le 22 septembre 2008 à l'Assemblée nationale. REUTERS/Charles Platiau.

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Sauf surprise les 10 et 17 juin, la gauche parlementaire (PS, écologistes, radicaux de gauche et chevènementistes, liés par un accord électoral, ainsi que le Front de gauche) devrait disposer d’une majorité dans la prochaine Assemblée nationale. Les derniers sondages la créditent, dans son ensemble, d’environ 45% des voix contre 35% à la droite parlementaire et 15% au FN, qui pourrait provoquer, comme en 1997, des triangulaires meurtrières pour l’ancienne majorité.

Mais, au-delà du chiffre «basique» de la majorité absolue (289 députés sur 577, le nombre d'élus, inchangé depuis 1986, ne pouvant désormais plus augmenter sauf révision de la Constitution), toutes les majorités ne se valent pas: selon le chiffre atteint par la gauche, la marge de manœuvre dont elle disposera dans la future Assemblée, et plus largement au Parlement, sera très différente.

Un peu: 301, ou la majorité du premier mois

Atteindre pile 289 sièges placerait la gauche dans une situation stressante au soir des élections (en 2007, plus de vingt sièges s’étaient joués à moins d’un point d’écart au second tour)… puis totalement absurde pendant un mois.

Si elle obtenait ce total et que vingt des ministres candidats étaient élus, à l’ouverture de la session parlementaire le 26 juin, la nouvelle majorité serait minoritaire: en application de l’article LO153 du Code électoral, les ministres élus députés peuvent siéger mais ne peuvent pas voter, et ne sont remplacés automatiquement par leur suppléant qu'au bout d’un mois. Ce qui donnerait donc 269 sièges à la gauche contre 288 à la droite et —éventuellement— au MoDem et au FN...

Une telle bizarrerie, que la gauche, avec 24 ministres candidats, peut éviter à coup sûr en obtenant au moins 301 sièges, ne serait pas une première. En 1967, la majorité gouvernementale ne tenait qu’à une poignée de sièges outre-mer; en 1988, le PS n’avait qu’une majorité relative. Dans les deux cas, Georges Pompidou et Michel Rocard avaient présenté la démission de leur gouvernement la veille de l’ouverture de la session parlementaire, pour permettre aux ministres de voter pour l’élection du président de l’Assemblée, et n’avaient formé le nouveau gouvernement qu’après. A l’inverse, en 2007, François Fillon avait formé son gouvernement dès le lendemain des législatives, se privant d’une vingtaine de voix dont il n’avait pas besoin pour faire élire Bernard Accoyer au perchoir.

Ce scénario priverait Jean-Marc Ayrault de la possibilité symbolique de solliciter un vote de confiance de l’Assemblée sur son discours de politique générale, et empêcherait le gouvernement de faire voter des textes trop clivants avant un mois. En revanche, l’opposition ne pourrait pas faire passer une motion de censure car il faut pour cela une majorité absolue de l’ensemble des députés composant l'Assemblée, soit 289 voix.

Beaucoup: 378, ou la majorité au Congrès

Plusieurs éléments du programme de Hollande (droit de vote des étrangers, ajout d’un alinéa à la Constitution sur la laïcité, réforme du statut pénal du chef de l’Etat, suppression du siège à vie accordé aux anciens présidents au Conseil constitutionnel...) nécessiteront une révision constitutionnelle pour être mis en œuvre.

Pour cela, le gouvernement dispose de deux cartouches: le référendum, risqué politiquement, ou la convocation du Congrès. Dans ce cernier cas, une révision constitutionnelle doit obtenir trois cinquièmes des voix pour être approuvée. La gauche dispose déjà de 177 sénateurs et aura donc besoin de 378 députés pour être majoritaire au Congrès, ce que n’était pas la droite durant le dernier quinquennat —elle a eu besoin de l’appoint d’une vingtaine de voix socialistes et radicales (dont celle de Jack Lang) pour faire voter la révision constitutionnelle de 2008.

Par ailleurs, François Hollande s'est aussi engagé, lors du débat qui l'a opposé à Nicolas Sarkozy le 2 mai, à imposer un vote favorable aux 3/5e des deux commissions parlementaires compétentes combinées sur les nominations à la tête d'organismes ou d'entreprises publiques (AMF, Arcep, CSA, France Télévisions, La Poste, SNCF…):

«Si je deviens le prochain président de la République, je ne nommerais personne sans que les commissions parlementaires en décident, non pas à la majorité de 2/3 contre, à la majorité 2/3 pour, ce qui veut dire que l'opposition sera directement impliquée, associée, pas comme c'est le cas aujourd'hui.»

Chacune des commissions de l'Assemblée et du Sénat étant composée à la proportionnelle des groupes, la gauche aura aussi besoin d'au moins 378 députés pour avoir les mains libres de ce côté-là.

Passionnément: 387, le record de la gauche

Si elle devient majoritaire au Congrès, la gauche sera probablement, dans le même temps, très proche de son record de sièges à l’Assemblée: en 1981, année de «vague rose», elle en avait remporté 67%, ce qui correspond à 387 sièges dans l’Assemblée actuelle. «Regardez bien cette Chambre, vous n'en reverrez plus une comme cela de votre vie», aurait alors dit François Mitterrand aux dirigeants socialistes.

A la folie: 473, le record absolu

La droite elle, a encore fait mieux en 1993, avec 472 des 577 sièges, mieux que les chambres «introuvable» ou «bleu horizon» des livres d'histoire.

Un chiffre qui paraît inatteignable pour la nouvelle majorité, car François Hollande n’était majoritaire à la présidentielle «que» dans 333 circonscriptions, dont certaine où des députés UMP sont très solidement implantés, même si la démobilisation de l’électorat de droite ou des triangulaires avec le FN pourraient faire élire des députés PS dans des circonscriptions où Nicolas Sarkozy était majoritaire.

En 1997, avec une gauche à 44,5% au premier tour, une droite à 36,5% et un FN à 15%, Lionel Jospin avait pu compter sur une majorité de 320 sièges à l'Assemblée. Si les sondages de mai se confirment en juin, 2012 pourrait ressembler à 1997. Et le principal parti de gauche pourrait ne pas avoir la majorité absolue à l'Assemblée mais être seulement majoritaire, avec 250 députés environ, au sein de la majorité...

Jean-Marie Pottier


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