Culture

Cinéma: les films en France sont-ils obligés de sortir le mercredi?

C'est l'habitude. Pourquoi et comment peut-il y avoir des exceptions à la règle?

Image extraite du film <em>Cosmopolis</em>
Image extraite du film Cosmopolis

Temps de lecture: 4 minutes

Le très attendu Cosmopolis, adapté du best-seller de Don DeLillo par David Cronenberg avec Robert Pattinson, sera sur les écrans à partir de ce vendredi 25 mai. Comment –et pourquoi– peut-il sortir un vendredi, alors que les films sortent d’habitude le mercredi en France?

Pour cause de festival de Cannes: si un film veut être sélectionné, il ne peut pas être déjà sorti, et une fois sélectionné, il ne peut pas sortir avant sa projection officielle à Cannes, qui a lieu pour Cosmopolis ce vendredi. Son distributeur Stone Angels aurait pu choisir d’attendre jusqu’au mercredi 30 pour le diffuser dans toutes les salles françaises, mais cela lui aurait fait perdre l’avantage du battage médiatique auquel le film aura droit. Cosmopolis n’est d’ailleurs pas le seul, le film de Jacques Audiard De rouille et d’os, aussi en compétition à Cannes, est sorti en salle un jeudi (17 mai).

Un usage, mais pas une loi

La sortie des films le sacro-saint mercredi en France n’est qu’un usage, une règle implicite et acceptée par les acteurs du secteur. Il n’existe aucune loi ou réglementation qui fixe les jours de sortie. En théorie, rien ne les empêcherait de se mettre d’accord pour sortir les films un autre jour. Alors pourquoi le mercredi, là où les Etats-Unis ou l’Angleterre diffusent leurs films le vendredi?

Il faut remonter jusqu’en 1937. Avant, les écrans français étaient aussi alignés sur le vendredi pour être sûr de pouvoir bien accueillir les spectateurs du dimanche, qui était alors le seul jour chômé. Avec le Front Populaire, le samedi devient également jour chômé. Pathé décide alors unilatéralement d’avancer les sorties au jeudi, mais pour s’assurer un délai de sûreté en cas de problème technique, exploitants et distributeurs se mettent finalement d’accord, à l’été 1937, pour une sortie le mercredi. Après-guerre, les sorties sont décalées au jeudi pour coller avec la journée de repos des écoliers. Et quand en 1972, le mercredi devient le jour chômé des élèves, les sorties en salles suivent.

Enfants et bouche à oreille

Si les distributeurs et les exploitants (salles de cinéma) ont d’un commun accord décidé de s’adapter aux jours de repos des enfants et adolescents, c’est parce qu’ils sont bons clients. Les enfants iront au cinéma avec des accompagnateurs, soit des billets achetés en plus, et les ados sont ceux qui fréquentent le plus les salles de cinéma (en 2011, 92% des 15-19 ans sont allés au cinéma).

Les jeunes ne sont pas la seule raison de sortir les films le mercredi. Ça permet aussi d’avoir deux potentiels pics d’entrées, un le mercredi et un le week-end, et de faire monter le bouche à oreille pour les plus petits films en attendant le week-end, qui reste le gros moment où les gens vont au cinéma (accessoirement, la plupart des critiques ciné sortent le mercredi).

Des raisons logistiques

En plus de cet argument «spectatoriel», la sortie du mercredi répond également à des besoins logistiques et matériels. Chaque lundi matin, les groupements de salles de cinéma (salles indépendantes réunies, ou chargé de telle ou telle région chez les chaînes comme Pathé) appellent les distributeurs pour obtenir les films.

Les exploitants envoient ensuite leur transporteur chercher les copies de ces films et les distribuer dans chacune des salles. Mais lorsqu’il y a un problème de transport, ou un bug informatique pour les copies numériques, ils peuvent arriver avec du retard, le mercredi matin même, voire le soir ou le lendemain. C’est très rare à Paris, mais ça arrive régulièrement en banlieue parisienne ou dans les régions.

Impossible de sortir tous les jours

Compliqué, donc, d’imaginer des sorties n’importe quel jour de la semaine: les exploitants et les distributeurs se retrouveraient à négocier tous les jours ou presque (et à envoyer des transporteurs, etc). La programmation se transformerait alors en un casse-tête organisationnel.

C’est d’ailleurs pour ça que décaler une sortie à un autre jour n’arrive pas qu'exceptionnellement (au pire, un film peut n'avoir que deux jours de vie, s'il est remplacé le vendredi). Hors Cannes, on peut noter la comédie Les Tuche, sortie le vendredi 1er juillet 2011 pour concorder avec le mariage du prince Albert de Monaco avec Charlène Wittstock, le troisième opus de L'Age de glace, sorti le vendredi 3 juillet 2009 et Le Hérisson, sorti le même jour, ou encore La Reine Margot, sorti le vendredi 13 mai 1994 (peut-être parce que le couronnement de la vraie Reine Margot a eu lieu le 13 mai 1610?).

Pathé, seul fan du vendredi

 

Malgré toutes les raisons évoquées ci-dessus, Jérôme Seydoux, co-président de Pathé, n'est pas convaincu. Il pronait en 2009 des sorties le vendredi, comme aux États-Unis ou en Angleterre, arguant que ça permettrait d’«éviter le piratage» (qui aurait lieu entre le mercredi et le week-end), de ne pas être «en concurrence avec des matchs de football» et de profiter des gens qui posent une RTT le vendredi, en évitant en plus le «creux» d’audience avant le week-end.

Mais Pathé –qui fait actuellement des études sur le sujet– semble bien seul dans cette bataille. A l’époque, le directeur général d’UGC, Alain Sussfeld, estimait qu’il ne fallait pas changer «ce qui marche bien» (et le cinéma en France marche très bien), et craignait qu'un tel déplacement des sorties ne bénéficie qu'aux blockbusters. Aujourd’hui, le directeur de la distribution de SND Christophe Courtois explique ne l’avoir jamais fait parce qu’il n’y voit pas d’intérêt: «le vendredi est plus fort car le lendemain on a le week-end, mais le film déclinera ensuite».

D’un point de vue technique, si les acteurs du cinéma voulaient décaler tout le système au vendredi (c’est à dire négocier le mercredi, envoyer les copies le mercredi après-midi ou le jeudi, etc), ils décaleraient du même coup les potentiels problèmes d'acheminement ou de bugs informatiques. Il faudrait alors engager de la main d’œuvre en plus pour gérer les problèmes qui pourraient avoir lieu jusqu'au samedi.

Cécile Dehesdin et Mélody Piu

L'explication remercie Claude Forest, maître de conférence à Paris 3 et exploitant d'une salle de cinéma en banlieue parisienne, Frédérick Gimello, maître de conférence en économie du cinéma à l'université de Lorraine, Christophe Courtois, directeur de la distribution chez SND, Jean-Jacques Meusy, historien spécialisé en histoire du Cinéma à Paris I, et Henri Demoulin, directeur de vente chez Pathé distribution.

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