Économie

Concurrence, la révolution est en marche

A partir du 13 décembre 2009, d'autres trains de voyageurs que ceux de la SNCf circuleront en France.

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L'accident de train survenu entre deux convois de fret le 20 mai, près d'Angoulême, relance un dossier qui semblait devoir évoluer dans la plus grande discrétion : la perte du monopole de la SNCF sur le réseau de chemin de fer français. Après l'ouverture à la concurrence dans le transport de fret qui s'est opérée en deux temps (d'abord sur les corridors internationaux en 2003 puis sur l'ensemble du réseau en 2006), le transport de voyageurs va suivre la même évolution : à partir du 1er janvier 2010 (plus précisément le 13 décembre 2009 lors changement de service), d'autres trains que ceux de la SNCF pourront circuler sur les lignes internationales empruntant le territoire français.

Dans un premier temps, la SNCF ne sera mise en compétition que sur une petite partie de son activité voyageurs. Mais les autres étapes sont déjà arrêtées. La concurrence est attendue sur toutes les grandes lignes de l'Hexagone en 2012. Pour le transport régional, les échéances sont pour l'instant pudiquement renvoyées. On parle de 2017 ou 2019, mais le gouvernement veut éviter toute projection qui pourrait apparaître comme une provocation.

Autorité de régulation

Une révolution dans une citadelle de la CGT, où la défense du service public à la française passe par le monopole concédé à la SNCF: on peut s'étonner que ce projet de réforme continue son bonhomme de chemin sans autre contestation des syndicats. Car le projet de loi qui doit créer l'Autorité de régulation des activités ferroviaires ( ARAF) a déjà été adopté au Sénat, et il devrait être soumis en procédure d'urgence ( sans deuxième lecture) à l'Assemblée nationale avant l'été. Pour une entrée en application fin 2009. Son premier président serait même déjà pressenti : Jacques Barrot, vice président de la Commission européenne, qui fut en charge des Transports.

En fait, la France ne fait que transposer dans son arsenal législatif une directive européenne de 1991. Et la SNCF aura joui de son monopole plus longtemps que les autres grands opérateurs européens historiques. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les syndicats de cheminots semblent se plier à cette libéralisation : «Il n'est pas possible de s'opposer à cette évolution sauf dans un rapport de force européen. Or, les autres systèmes ferroviaires sont déjà ouverts à la concurrence», explique Patrice Salini, économiste spécialiste des transports.

Absence de contestation radicale

Par ailleurs, la gauche et notamment le gouvernement Jospin ont cautionné cette évolution. Le ministre des Transports d'alors, le communiste Jean-Claude Gayssot, avait donné son feu vert à la mise en œuvre du fameux « paquet » de décisions qui comprenait la libéralisation des réseaux ferroviaires. Difficile dans ces conditions pour la CGT de chercher à mobiliser les cheminots. D'autant que, pour éviter de mettre le feu aux poudres, leur statut tout comme celui de la SNCF seront, dans la réforme, préservés dans l'immédiat. Aussi même si Didier Le Reste, responsable de la CGT Cheminots, tempête de voir s'immiscer le privé sur le réseau et réclame une réhabilitation d'un service public efficace qui implique, selon lui, une intégration du système, il semble avoir fait son deuil d'un «remake» des grèves de l'hiver 2005, qui firent reculer le gouvernement Juppé.

Ceci ne l'empêche pas, à l'occasion de l'accident d'Angoulême, d'imputer la responsabilité du sinistre aux conditions d'exploitation des compagnies privées (accusées de privilégier la rentabilité au détriment des conditions de sécurité), et de réclamer l'arrêt de « toutes les mesures de libéralisation et de privatisation » ? L'occasion, bien sûr, était trop belle. Mais il en aurait fallu plus à Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux Transports pour interrompre un processus législatif qu'il a lui-même initié : « Le défaut d'arrimage (de tractopelles transportés dans le train de la compagnie Euro Cargo Rail, filiale de la DB allemande) s'est produit en Allemagne», a-t-il commenté pour balayer toute suspicion sur la façon dont les opérateurs privés français se conformaient aux impératifs de sécurité. Une enquête technique a toutefois été confiée au Bureau d'enquête sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT) pour déterminer «les causes et les circonstances précises de l'accident, et définir les actions à entreprendre pour qu'il ne se renouvelle pas». Une enquête technique pour clore le débat.

Concurrence et transparence

Dans le fret, jusqu'à présent, les concurrents de la SNCF ont peu fait parler d'eux. Pour circuler sur le réseau hexagonal, ils doivent non seulement obtenir un certificat de sécurité délivré par l'Etablissement public de sécurité ferroviaire (EPSF), mais aussi disposer de sillons de circulation délivrés par Réseau Ferré de France (RFF, le gestionnaire du réseau) après une longue procédure. « Pour un sillon exploité à partir de la mi-décembre, la demande doit être déposée avant avril qui précède », explique Hervé de Tréglodé, directeur général adjoint de RFF. En janvier dernier, il existait en France sept opérateurs alternatifs privés (dont une filiale de la SNCF !) qui pouvaient revendiquer près de 9% du fret ferroviaire en France.

La montée en puissance se révèle donc assez lente, bien que RFF la juge satisfaisante. Il faut dire que la SNCF, qui se voit déléguer un certain nombre de missions d'exploitation du réseau par RFF, ne leur facilite pas vraiment la tâche. Justement, la nouvelle ARAF devra introduire de la fluidité et de la transparence dans le système en offrant une possibilité de recours pour que la concurrence s'exerce plus facilement. Dans le fret, mais aussi dans le transport de voyageurs.

Révolution dans le temps

« C'est une révolution culturelle qui va s'étaler dans le temps », commente avec modération le sénateur Francis Grignon, rapporteur au Sénat du projet de loi, soucieux avant tout de ne pas agiter de chiffon rouge à la face des syndicats de cheminots. Pour les voyageurs, elle se développera dans un premier temps sur les plus grandes liaisons, entre les grandes capitales, et d'une façon générale sur les lignes TGV.

C'est pourquoi la SNCF a fixé comme priorité de demeurer au premier rang de la grande vitesse ferroviaire, réclamant de pouvoir porter à 360 km/h la vitesse de ses futures trains pour damer le pion à ses concurrents sur ces liaisons. RFF renâcle, estimant que les surcoûts induits par la vitesse ne justifient pas les gains de temps. Mais quelle que soit la rapidité à laquelle la concurrence se répandra sur le réseau, elle aura très vite des implications sur les tarifs. Et pas seulement ceux des lignes les plus en vue par les nouveaux entrants.

Incidence sur tous les tarifs grandes lignes

Car dans une entreprise en situation de monopole, il est facile de faire fonctionner une sorte de caisse de péréquation qui permet aux lignes bénéficiaires de subventionner les lignes les plus déficitaires. C'est le cas aujourd'hui à la SNCF pour les trafics voyageurs : des lignes TGV financent des lignes d'aménagement du territoire structurellement déficitaires. Mais dès que l'entreprise publique sera mise en compétition avec d'autres opérateurs sur les lignes forcément les plus attractives - et les plus rentables aujourd'hui - la péréquation ne pourra plus s'opérer. Pour relever les défis commerciaux sur ces lignes, la SNCF ne pourra faire supporter aux tarifs un surcoût provenant de la subvention à d'autres lignes déficitaires.

En conséquence, les tarifs des plus mauvaises lignes devront être relevés, ou les services seront revus à la baisse pour réduire les déficits. A moins qu'une forme de péréquation externe, avec une subvention d'équilibre comme dans le transport urbain, prenne le relais de l'actuelle péréquation interne à la SNCF. Le schéma n'est, à ce jour, pas défini. Mais de toute façon, c'est toute la politique tarifaire de la SNCF qui va être remise à plat. Reste à voir comment l'entreprise publique pourra poursuivre sa mission d'aménagement du territoire, et donc de service public.

Gilles Bridier

Photo: Gare de Nice Reuters

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