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La vraie personnalité d'Obama

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La présidence de Barack Obama a débuté sur un postulat inhabituel: grâce à ses livres, le pays le comprenait déjà, ou du moins en était convaincu. L'histoire qu'il raconte dans Les rêves de mon père et qu'il cimente dans L'audace d'espérer évoque un homme aux mondes multiples, qui lutte pour accepter l'abandon de son père et une déconcertante identité raciale. Obama résout son problème de manque de racines et sa colère en s'engageant socialement, religieusement, et, enfin, politiquement. Il décrit sa personnalité comme exceptionnellement stable à l'âge de la maturité, capable de concevoir le point de vue des autres et de combler les fossés entre les gens.

Le protagoniste de ces livres est un personnage convaincant et émouvant, d'autant qu'il ne laisse que peu de place aux explications alternatives. Cependant, au fil de la lecture, l'Obama d'Obama est de moins en moins satisfaisant. Non que sa projection de lui-même soit déformée de façon évidente, mais elle laisse trop de choses inexpliquées, son ambition, sa réserve, ses convictions fondamentales, s'il en a. Il est trop tôt pour proposer une interprétation de notre président. Mais après quatre mois au pouvoir, il est possible de dégager certains thèmes.

Il tient le consensus en très grande estime. Les candidats qui parlent de rassembler les gens, qui se targuent d'unir et non de diviser, ou de changer le ton de Washington se bercent d'illusion. À l'heure actuelle, cependant, l'insistance d'Obama sur la réconciliation est clairement plus qu'un numéro. Nous avons pu voir cet élan au travail lorsqu'il a fait des concessions préventives sur son plan de relance, dans une tentative infructueuse de gagner l'appui des républicains. On a pu le constater d'une manière différente lorsqu'il a personnellement négocié un compromis entre les présidents chinois et français au sommet du G20 de Londres. Il semble que régulièrement, Obama tente un «nouveau départ» avec l'Iran, Cuba, le monde musulman, Paul Krugman même. Affronter ses opposants le motive davantage que passer du temps avec ses amis.

Il s'agit là d'un instinct merveilleux qui améliore l'image de l'Amérique et rend la politique intérieure plus civile. Mais écouter n'est pas une position morale, et lui attribuer ce statut ne fait que pousser davantage à s'interroger sur ce qu'Obama représente vraiment. L'amateur de consensus désavoue la torture mais ne veut pas l'examiner de près; il soutient l'égalité pour les homosexuels mais pas dans le cadre du mariage ou de l'armée ; il estime que le rôle du gouvernement est de mettre en œuvre tout ce qui fonctionne. Pourtant, je continue de le soupçonner de nourrir des convictions plus profondes.

C'est lui qui décide. Les récits de la prise de décision d'Obama le décrivent dirigeant le processus et fournissant le résultat. Confronté à un choix difficile au sujet de la publication de nouveaux mémos sur la torture de l'administration Bush, Obama a organisé un débat, écouté intensément, pour finir par dicter le communiqué de presse du jour suivant, annonçant que les documents seraient déclassifiés. Un autre aperçu de l'intérieur nous le montre décidant personnellement de l'avenir de GM et de Chrysler. Les conseillers censés jouer le rôle d'honnêtes négociateurs et de graisseurs de rouages à la Maison-Blanche jouent soit un rôle différent (Larry Summers), soit n'ont pas grand-chose à faire (Jim Jones). Obama se projette à la fois en Monsieur Loyal et en vedette.

La capacité du président à se plonger au plus profond des questions de politique est indéniablement impressionnante. Mais aussi brillant soit-il, son assurance suprême pourrait se transformer en suffisance. Il montre des signes de l'arrogance qui accompagne souvent la grande intelligence. Il est peu probable, par exemple, qu'Obama puisse fonctionner comme son propre grand stratège et gourou dans le domaine de la politique étrangère. Il ne semble pourtant pas tenté d'abandonner ce poste à quiconque.

C'est un homme d'action. Lors d'une discussion amicale avec une personne de l'entourage d'Obama, vous entendrez sans doute votre interlocuteur s'émerveiller sur la manière décontractée qu'a le président de gérer les crises. Voilà un homme qui garde son calme en toute occasion, mais qui n'a jamais aimé rester sans rien faire. Il s'est prématurément présenté au Congrès et a perdu, puis s'est présenté prématurément au Sénat et a eu de la chance. Il s'est vite ennuyé au Sénat, où il faut trop de temps pour parvenir un à résultat. Lorsqu'il songeait à se présenter à la présidence, sa préoccupation était de savoir si le moment était bien choisi pour l'arrivée un grand leader.

Il n'avait nul besoin de se faire du souci. Obama se retrouve avec davantage de problèmes sur les bras, à l'étranger et sur place, qu'aucun autre président depuis Frankin D. Roosevelt. En une seule journée le mois dernier, il a été confronté à des décisions concernant le destin de l'industrie automobile, une nouvelle stratégie pour la guerre en Afghanistan, une menace de missiles nord-coréens et une inondation à Fargo, dans le Dakota du Nord. «Mais qu'est-ce que c'est, un épisode de West Wing ?» a ironisé David Axelrod selon le New York Times. C'est ici une question de capacité, et non d'aptitude. Une seule personne peut-elle simultanément traiter tant de sujets aussi personnellement qu'Obama insiste pour le faire ?

Impitoyable. Dans une récente interview accordée au New York Times, Obama qualifie sa politique économique de «pragmatisme impitoyable.» Un choix de qualificatif intéressant. Obama éprouve un solide dédain pour la vertu surévaluée de la loyauté politique. À l'époque de la nomination, cela faisait un peu froid dans le dos. Si vous êtes utile, vous êtes fréquentable. Si vous menacez de devenir un obstacle, c'est la cage aux lions qui vous attend.

Avant l'investiture, Christopher Hitchens qualifiait le maintien d'Obama de félin. C'est une caractéristique qui se dégage aussi de son manque d'affection ouverte pour les gens qui s'occupent de lui. Ses plaisanteries lors du dîner annuel des correspondants de presse de la Maison-Blanche sur la jalousie de perdante d'Hillary Clinton, les problèmes de femme de Larry Summers et sur ses tentatives de dresser son chien à ne pas faire ses besoins sur Tim Geithner frisaient la cruauté. Pour se moquer de lui-même, Obama a plaisanté sur la haute opinion que les autres ont de lui.

Jacob Weisberg

Traduit de l'anglais par Bérengère Viennot

Photo: Barack Obama bénissant les étudiants de l'Université Notre Dame Jason Reed / Reuters

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