Culture

La fin du mythe du journaliste

Reporters et les autres séries sur le journalisme portent un sérieux coup à l'image d'Epinal du métier.

Temps de lecture: 4 minutes

L’image d’Epinal du journaliste intrépide à la Tintin est-elle sur le point d’être sapée par les séries télé ? Réponse en demi-teinte dans Reporters dont la seconde saison vient de débuter sur Canal +.

Quand je serais grand, je serai journaliste. Je passerai ma vie sur le terrain, courant entre les bombes, reniflant les bons coups, dénonçant les magouilles des puissants. Je serais blanc comme neige, bourré d’idéaux. Comme Tintin, ou comme Clark Kent la version à grosses lunettes de Superman dans Loïs et Clark ou dans Smallville. Ou même comme Carrie Bradshaw, l’héroïne de Sex & The City, qui tapouille rêveusement ses chroniques dans son grand appart’ de Manhattan.

Ne riez pas. A l’heure où les médias souffrent du désamour grandissant des Français, à l’heure où seuls 52% d’entre eux font confiance à ce qu’ils lisent dans les journaux et où 48% seulement croient à la véracité de ce qu’ils voient à la télé*, les journalistes continuent de fasciner. La preuve avec la seconde saison de Reporters, une des très rares séries dont tous les héros – ou presque – sont des journalistes, sans doute ce qui s’est fait de plus proche de la réalité journalistique dans l’histoire des fictions télévisées.

Reporters, une œuvre réaliste? Pas tout à fait, explique Claude Chelli, producteur de la série pour Capa Drama. «C’est hyper chiant, une vraie rédaction, lâche-t-il. Le mieux qu’on puisse faire, c’est chercher dans les mécanismes réels du métier des intrigues intéressantes à l’écran.» Autrement dit, il faut dramatiser. Les Américains s’y essayent depuis près de quarante ans. Le Mary Tyler Moore Show en 1970 et son «spin-off» Lou Grant, en 1977, brodaient déjà autour du quotidien d’une journaliste télé et de son collègue de la presse écrite.

Une tradition reprise plus tard par Sports Night, lancée en 1998 par Aaron Sorkin (le créateur d’A la Maison Blanche) sur la rédaction d’une émission sportive ou encore par Back to you l’an passé. A chaque fois, la dramatisation l’emporte sur le réalisme. « Pourquoi faudrait-il à tout prix que ce soit réaliste?, s’étonne Olivier Kohn, créateur de Reporters. Ce qui compte, c’est que tout ce qui n’est pas avéré dans nos scénarios soit crédible. La dramatisation n’empêche pas d’avoir un propos…»

Tant pis pour le réalisme. Reste donc une image, celle que les séries donnent des journalistes. Et ça ressemble à quoi? Une chose est sûre, pas à un journaliste radio. Reporters, comme ses prédécesseurs américains, s’intéresse avant tout à la presse d’investigation ou politique, et à la télévision. La cinquième saison de l’excellent The Wire (Sur Ecoute) se plongeait dans les coulisses d’un quotidien, comme Lou Grant ou Smallville au fameux Daily Planet. Plus récemment, Dirt s’aventurait dans le monde de la presse people, prenant au sérieux ce qu’Une fille à scandales avait tenté de rendre drôle il y a dix ans. Pas de place pour la presse culturelle ou pour la radio, visiblement très peu télégéniques.

Pour ceux qui plaisent assez à la caméra, l’image d’Epinal d’antan s’est fracturée, et la distinction n’est plus aussi nette entre le journaliste chevalier blanc, prêt à tout pour informer, et le journaliste charognard et corrompu. La première catégorie n’est plus incarnée que par Superman en personne, actuellement dans Smallville. Dans Reporters, le journalisme engagé, qui porte sa déontologie comme un étendard, n’est plus qu’un idéal. De fait, ce sont les contraintes et les tentations que les journalistes doivent affronter, celles notamment charriées par la crise économique, qui ont les faveurs des séries.

Première «cible» de leurs critiques, le bidonnage. «Les trucages, par exemple les faux champs contre-champs sont légions dans les JT», jure Claude Chelli. De fait, il ne faut pas attendre plus d’un épisode de Reporters pour voir des journalistes tricher. Ils seront punis, mais le mal est fait. L’attaque n’est pas surprenante. Ken Brockman, le présentateur du JT des Simpson, l’ensemble de la rédaction de Dirt et même une des plumes les plus prometteuses de la saison 5 de The Wire sont des bidonneurs. D’une manière plus générale, les méthodes employées par les héros de Reporters sont sans cesse misent en question. Peut-on piétiner la déontologie et, au-delà, la loi, au nom d’une enquête journalistique? En s’intéressant à des hommes de terrain, certains pas franchement gênés par les bonnes manières, la série met l’accent sur des choix professionnels graves de conséquences. Qui se soucierait du bidonnage d’un critique culinaire?

Au cœur de cette problématique déontologique repose aussi la relation entre les médias et la politique. Là encore, il ne faudra pas attendre longtemps dans Reporters pour voir une rédactrice en chef coucher avec le bras droit du Premier ministre. «Je suis allé voir une vraie journaliste pour lui demander conseil, se souvient Anne Coesens, qui incarne la rédactrice en question. Elle a tout de suite deviné qu’il y aurait des coucheries…» Ici, on va plus loin. C’est le Premier ministre en personne qui tire les ficelles des nominations à la tête du grand quotidien de la série, 24 Heures (journal inspiré dans son fonctionnement par Libération).

Au-delà de ce constat pessimiste, Reporters aborde une facette des tensions de pouvoir souvent oubliée par les autres «séries journalistiques»: les conflits entre les rédacteurs en chefs, les syndicats et la direction. Comme dans sa première saison, la rédaction de 24 Heures va en effet rapidement se retrouver en grève contre des suppressions de postes. L’occasion de parler des difficultés financières que traverse la presse, et en particulier de la nécessité de parier sur le numérique au dépend du papier. Et un des personnages de s’exclamer : «vous croyez encore au papier? Mais c’est internet qu’il faut développer ! »

C’est donc un journalisme en pleine crise, en pleine mutation, que Reporters et la majorité des fictions récentes – The Wire en tête – mettent en scène. Sous un regard souvent pessimiste, qui aime souligner les dérives du métier, reste un espoir de sauvegarder des idéaux longtemps fantasmés. Le journalisme parvient toujours à fasciner, mais le rêve d’un reporter à la Tintin a pris du plomb dans l’aile.

Pierre Langlais

* Baromètre TNS-Sofres pour La Croix, janvier 2009.

Illustration: capture d'écran d'une des premières scènes de la saison 2 de Reporters

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