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Grèce: la percée d'Aube dorée, reflet du crépuscule des partis

La possible entrée au Parlement du parti d'extrême droite à l'occasion des législatives du 6 mai a été facilitée par le populisme décomplexé du reste de l'échiquier politique grec.

Un militant du parti Aube dorée, le 25 avril 2012 à Athènes. REUTERS/Yannis Behrakis.
Un militant du parti Aube dorée, le 25 avril 2012 à Athènes. REUTERS/Yannis Behrakis.

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La Grèce se prépare pour les élections législatives du dimanche 6 mai, les premières depuis le déclenchement de la crise économique la plus forte de l’histoire du pays, qui s'est traduite par 17,4% de baisse du PIB depuis 2009 et un taux de chômage de 20%. L’enjeu est immense: quel parti politique peut gérer l’application des nouvelles mesures consécutives à l’accord entre le pays et ses partenaires-créditeurs? Comment va-t-on sauver la place de la Grèce dans la zone euro? Et surtout, est-ce que le résultat de ces élections pourra aboutir à la formation d'un gouvernement viable?

Mais pourtant, c’est un autre débat qui risque de monopoliser toute la presse européenne au lendemain des élections. La une des journaux devrait ressembler à cela: «Comment est-ce possible?», «Comment en sommes-nous arrivés là?», «Que se passe-t-il vraiment en Europe?». A quel sujet? L’entrée triomphante au parlement grec de l’Aube dorée (Chryssi Avgi), parti d’extrême droite qui se revendique nationaliste et s’inscrit en réalité dans la mouvance néonazie. Et dont le journal se félicitait, le 25 avril, du bon score de Marine Le Pen en France sous le titre «Triomphe de Le Pen et du Front national aux élections, ils en ont peur en Grèce aussi».


Depuis qu'il a commencé à percer dans les sondages, il y a quelques mois, il essaye de maquiller sa vraie identité au grand public car, en Grèce, la mémoire des événements de la Seconde Guerre mondiale est toujours vivante, et la forte résistance que les nazis ont dû essuyer pendant leur «séjour» dans le pays reste une fierté nationale. Et donc un obstacle électoral.

Mais le passé récent de l’Aube Dorée laisse des traces. Comme la une de leur magazine du mois de juin 2007, qui ne semblait pas trop hostile à Adolf Hitler…

Ou le salut nazi que le leader du parti a fait devant les caméras pendant une réunion du conseil municipal de la ville d’Athènes en 2009, habitude que ses militants ont appris aussi à pratiquer devant lui.

Sans oublier les attaques au couteau sur des immigrés dans la rue ou les altercations violentes avec des groupes d’extrême gauche. Le numéro deux du parti se trouve d’ailleurs emprisonné pour coups et blessures et tentative de meurtre contre un jeune étudiant, militant d’un parti de la gauche radicale.

Toujours considéré comme un groupuscule

Les sondeurs grecs sont unanimes: «Sauf coup de théâtre et surprise générale, ils feront partie du prochain Parlement. Ils sont crédités de 4% à 6% de votes», alors que la loi électorale prévoit un minimum de 3% du total national des voix pour permettre à un parti de gagner des sièges à l’Assemblée nationale. L’étonnement, même du côté des sondeurs, est grand, car Aube dorée a toujours été considéré comme un groupuscule d’une centaine de personnes et de quelques centaines de sympathisants. Et ses scores électoraux se mesuraient en milliers de voix dans tout le pays (0,29% en 2009).

C’est la crise qui a tout en changé. En 2009, la Grèce n’a plus accès aux marchés pour emprunter. La violence de la récession et la cure d’austérité imposée sont telles —taux de chômage officiel des jeunes de 50%, baisse moyenne des salaires de 22%, un million de chômeurs enregistrés sur une population de onze millions— que la quasi-totalité des Grecs désigne les politiques comme fautifs de la crise qui ronge le pays.

Scandales et corruption ont gangrené l’actualité politique pendant les années précédentes. Les hommes politiques des deux partis ayant gouverné le pays les 30 dernières années (les socialistes du Pasok et le parti de centre-droit Néa Dimokratia) deviennent persona non grata, à tort ou à raison, qu’ils aient été mêlés à des scandales ou pas.

Le chef historique et fondateur de l’Aube Dorée, Nikos Michaloliakos, qui fait preuve d’un flair politique assez développé, est un des premiers à comprendre le climat qui s’installe au sein de la population grecque et décide de se présenter aux élections municipales de 2010 à Athènes. Il réalise un score record avec 5% des voix (et près de 20% dans les quartiers délabrés et défavorisés du centre de la ville) et siège depuis au conseil municipal.

Afflux incontrôlé d'immigrés

À part la crise économique, qui a fait émerger tous les problèmes structurels de l’économie et produit des centaines de milliers de précaires, le pays se trouve face à un autre problème depuis quelques années: l’afflux incontrôlé d’immigrés, notamment en provenance d'Asie, qui doivent passer par la Grèce pour aller en Europe.

L’écrasante majorité de ces immigrés n’a pas comme destination la Grèce, mais les réglementations européennes et les traités obligent le pays d’entrée à bloquer le flux vers les autres pays européens… D'autre par, les gouvernements grecs de ces dernières années n’ont suivi aucune politique globale sur le sujet, ni sur la protection des frontières extérieures, ni sur la manière de gérer ce flux migratoire énorme par rapport à la population locale.

Des centaines de milliers de pauvres immigrés sont donc «coincés» à Athènes, sans travail, sans papiers et dans un contexte de crise qui aggrave de manière dramatique leur situation. L’insécurité et la précarité explosent, certains quartiers populaires du centre de la capitale deviennent des ghettos où la prostitution, le trafic de drogue et la délinquance règnent. Les habitants grecs de ces quartiers populaires abandonnés par l’État s’en vont, pour la plupart, mais certains restent, n’ayant pas les moyens de déménager ailleurs.

Actions commando dans les quartiers

C’est là que Michaloliakos saute sur l’occasion et touche le jackpot. L’Aube dorée commence à s’attaquer au problème de l’immigration en utilisant la rhétorique de tous les partis d’extrême droite européens: «La Grèce aux Grecs», «Dehors les étrangers».... Les militants sont quotidiennement sur le terrain, mènent des actions commando envers les passants «bronzés», comme ils les appellent, et organisent des manifestations dans les quartiers les plus défavorisés. Les électeurs de ces quartiers se sentent complètement abandonnés par «les politiciens», comme ils le disent souvent aux caméras des chaînes de télévision: grâce à eux, l’Aube dorée n’est plus un groupuscule, mais devient partie intégrante de l’échiquier politique grec.

La confusion de l’électorat, qui pousse une partie de celui-ci à voter pour un parti d’extrême droite néonazi, ne peut être expliquée que par la crise économique et la peur cultivée par les partis d’extrême droite (à part l’Aube Dorée, le LAOS, qui siège déjà au Parlement, est crédité de 3 à 4% dans les sondages). Les médias grecs et les partis politiques, de droite comme de gauche, y ont joué un rôle.

Pour repousser leurs responsabilités sur le déclenchement de la crise, ils ont utilisé une rhétorique et des méthodes de communication souvent démagogiques, voire même populistes. Pendant que les leaders des deux grands partis jouaient la carte pro-européenne des réformes et des accords avec les partenaires de l'Union, certains des élus et cadres de leur partis jouaient la carte du double langage en glissant des phrases telles que «Les Allemands veulent nous voler nos terres», «C’est eux qui nous doivent de l’argent depuis la Seconde Guerre mondiale, pas nous», «N’oublions pas ce qui s’est passé en 1940-45»...

Papandréou a «dépassé Pinochet»

Les partis de l’opposition de gauche ont aussi utilisé une rhétorique extrêmement violente. Le leader du parti radical de Gauche (Syriza, crédité de 10% par les sondages), Alexis Tsipras, a déclaré en mai 2011 que le Premier ministre de l'époque Georges Papandréou avait «dépassé Pinochet ». Il a été aussi le seul leader des partis du Parlement à ne pas condamner clairement les séquestrations et attaques à l’égard d’élus ou de ministres. Un phénomène devenu sport national en Grèce depuis le début de la crise.

Même quand des membres de son parti ont été repérés dans des actions, non-violentes il est vrai mais à la limite de la séquestration, envers des ministres et des parlementaires dans des restaurants ou ailleurs, Alexis Tsipras a toujours refusé de les dénoncer. Ces pratiques, comme les visites-surprise dans des meetings d’un élu d’un autre parti, ou les manifestations «improvisées» (avec une bâche et un mégaphone…) devant un restaurant où un ministre déjeune avec des œufs et des yaourts qui «accidentellement» s'écrasent sur la vitrine, n’étaient jamais cautionnées par les partis de gauche ou de droite en Grèce jusqu'à présent. Seulement par l’extrême droite, et cela quelques décennies auparavant, avant la dictature des colonels…

La plupart des médias ont très volontairement suivi et joué le jeu de la démagogie, du populisme et de l’antigermanisme. Eux et les partis politiques n’ont pas vu venir le revers de la médaille : au moment du vote, l’électeur, qu’il soit idéologiquement d’extrême droite, jeune chômeur désespéré ou vieille retraitée du centre d’Athènes qui s’est fait voler trois fois son sac à main dans la rue, va préférer voter pour l'original que pour la mauvaise copie du populiste-extrémiste.

Surtout quand ce discours, et ces méthodes d’action, ne sont plus tabous car il en entend des parcelles à la télévision dans la bouche de journalistes et commentateurs «respectables» et de certains députés de tous les partis du Parlement… Les médias ont beau boycotter l’Aube Dorée pendant la campagne, les partis s’alarmer et lancer des appels à ne pas voter pour lui, leurs responsabilités dans sa percée électorale sont immenses. Il n’y a pas 10% des Grecs qui sont d’extrême droite ou néonazis, ça se saurait…

Dimitri Avdoulos

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