Économie

Crise: l'Europe, une convalescente mal en point

L’horizon s’est brutalement assombri en avril. Faut-il en conclure, comme le financier Georges Soros, que l’existence même de la zone euro est de nouveau menacée? C’est aller un peu vite en besogne.

Près de Munich, en 2003. REUTERS/Michaela Rehle
Près de Munich, en 2003. REUTERS/Michaela Rehle

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Tous les boursiers le savent, les débuts d’année en fanfare sont généralement suivis sur les marchés  par une période un peu plus compliquée. Vendez en mai, dit le proverbe. Cette année ne faillit pas à la règle; simplement, cette fois, la question s’est posée dès le mois d’avril. Sur pratiquement toutes les places financières, le premier trimestre a été excellent, à l’exception notable de l’Espagne. Conséquence logique: les investisseurs hésitent avant de continuer à miser sur une hausse des cours. Ils se demandent si la reprise tant attendue dans le bâtiment aux Etats-Unis va bien avoir lieu ou si la Réserve fédérale, face à une situation plutôt plus favorable que prévu, ne va pas remettre en question sa politique monétaire très accommodante. Le ralentissement de la croissance chinoise inquiète aussi.

La zone euro toujours fragile

Dans ce contexte un peu plus incertain, l’Europe apparaît plus exposée encore que d’autres zones économiques aux aléas de la conjoncture. Les réunion monétaires du printemps organisées dans le cadre du FMI et de la Banque mondiale ont été l’occasion de rappeler une nouvelle fois la fragilité de la zone euro (on aurait d’ailleurs souhaité que Christine Lagarde montre un peu plus de confiance dans la capacité des dirigeants européens à résoudre leurs problèmes; elle semble avoir beaucoup de mal à se dégager des vues pessimistes des experts de Washington).

L’action énergique de la BCE a permis de calmer la situation pendant les premiers mois de 2012. Mais les problèmes demeurent. Il faudra vraisemblablement plusieurs années pour que la situation rentre dans l’ordre. Les marchés auront donc encore l’occasion d’avoir des accès de fièvre.

Cette fois, le problème est venu de l’Espagne qui, dès le début d’avril, a rencontré des difficultés à placer ses emprunts sur le marché. Il apparaît clairement que la réduction du déficit espagnol sera très compliquée avec une activité économique en chute libre. Puis la France a été victime d’une rumeur de dégradation de la note qui lui est attribuée par l’agence Moody’s. A l’incertitude politique en France est venue s’ajouter la crise hollandaise, avec la démission du gouvernement et l’annonce de nouvelles élections le 12 septembre. Même ce bon élève de la classe n’arrive pas à remplir son devoir de rigueur budgétaire. Les résultats médiocres d’une enquête de conjoncture européenne publiée le 23 avril ont encore assombri le tableau: un mauvais mois peut compromettre l’espoir mis dans le redressement de la zone euro, encore globalement en récession au premier trimestre, mais en moins mauvaise santé qu’on ne l’avait prévu.

Les financiers divisés

Faut-il craindre un retour vers le climat de crise de l’an passé? Georges Soros, dans un entretien accordé au Monde, accuse les dirigeants européens de mener l’Union européenne à un désastre et brandit la menace d’un éclatement de l’euro. Le président de l’institut économique allemand IFO déclare que la Grèce n’a aucune chance d’être compétitive en restant dans la zone euro, ce qui est une autre façon de prédire l’éclatement de la zone.

Pourtant, tous les économistes et financiers ne se montrent pas aussi pessimistes, même s’ils voient bien les problèmes que Philippe Delienne, président de la société de gestion Convictions AM résume par un «triangle infernal»: la croissance risque d’être insuffisante, ce qui provoque des doutes sur la capacité des Etats à réduire leur dette publique, ce qui met à son tour en péril les banques qui détiennent des titres de leurs emprunts. Et si ces banques, d’abords préoccupées par la restauration de leur propre santé,  ne sont pas en mesure de financer la croissance, on repart pour un nouveau tour.

Comment, à la lecture de cet enchaînement, peut-on rester confiant dans l’avenir? Pour plusieurs raisons.

D’abord, la volonté politique de sauver la zone euro a résisté à toutes les épreuves. Ensuite, une lecture attentive des déclarations des uns et des autres laisse penser que ces dirigeants ne sont pas aussi aveugles que Georges Soros le pense. Même les dirigeants de la Bundesbank et les faucons de la BCE font preuve d’une certain réalisme.

En résumé, laissent-ils entendre, ce qu’ils ne voulaient pas, c’est signer des chèques en blanc, aider les pays en difficulté sans être sûrs qu’ils ne prendraient pas les mesures de redressement nécessaires. Autrement dit, l’adoption de plans de rigueur nationaux et la signature du pacte budgétaire devraient permettre à la banque centrale d’accompagner leurs efforts.

Il reste à espérer que les financiers qui font ce calcul ne se trompent pas, car certains responsables monétaires outre-Rhin semblent encore bien coincés dans leurs raisonnements rigides… Il n’est pas sûr que tous apprécient l’idée de leur président, Mario Draghi, d’un pacte de croissance.

La rigueur ne suffit pas

Mais les esprits évoluent. Les chiffres le montrent sans la moindre ambiguïté: tous les pays qui ont adopté des plans de rigueur sévères s’enfoncent dans la dépression, Grèce, Portugal, Espagne, etc. Manifestement, la rigueur seule ne suffit pas, il faut qu’elle soit accompagnée par des mesures de soutien de l’activité.

A ce sujet, il faut déplorer quelques excès de la campagne présidentielle française, où certains membres de la majorité actuelle n’hésitent pas à jouer contre leur pays, comme par exemple Nathalie Kosciusko-Morizet, quand elle évoque «le risque de faillite que court la France si le programme de François Hollande est appliqué (…), ce programme qui nous conduirait sur le chemin de l’Espagne et de la Grèce».

Il est vrai que certains, à l’étranger se posent des questions sur François Hollande, qu’ils connaissent mal. Mais la réaction des marchés et des dirigeants européens au lendemain du premier tour est très claire: ce n’est pas la probabilité d’une victoire de François Hollande qui les inquiète le plus, c’est la montée aux deux extrémités de l’éventail politique d’idées anti-européennes. Pour le reste, la proposition de François Hollande d’une action en faveur de la croissance tombe dans des oreilles de plus en plus réceptives, quelles que soient les opinions politiques et les doctrines économiques.

Accord possible sur des mesures en faveur de la croissance

Là encore, il faut rester prudent: la renégociation du traité européen a fort peu de chances d’aboutir. En revanche, un accord peut être trouvé, y compris avec Angela Merkel, sur des politiques actives de soutien à l’activité, par exemple par une utilisation de toutes les ressources des fonds européens, par des aides à projets plus que par des aides directes aux Etats. Il est évident qu’il n’est pas question de renégocier la discipline budgétaire, ce qui serait le meilleur moyen d’aller à l’échec, mais de la compléter par un pacte de croissance, pour reprendre la formule utilisée par Mario Draghi.

Pour l’instant, la France inspire encore confiance, elle est surveillée, mais elle n’est pas attaquée. L’écart de taux avec l’Allemagne se creuse surtout parce que les capitaux se placent d’abord sur les titres allemands, pas parce que les investisseurs fuient les titres français. Mais il ne faut pas s’amuser, à droite, à brandir les risques de faillite ou, à gauche, à se montrer trop désinvolte avec les engagements européens. Le fait que des entreprises comme Sanofi, Danone, Schneider, L’Air Liquide et d’autres arrivent maintenant à se financer à un taux moins élevé que l’Etat est le signe qu’il ne faut pas plaisanter.

Dans ce contexte plus délicat, le scénario à privilégier reste celui de marchés nerveux, mais sans véritable crise,  jusqu’en juin et la fin des élections en France. Mais n’oublions pas que le 6 mai n’est pas seulement le deuxième tour de notre élection présidentielle, c’est aussi le jour des élections législatives en Grèce. Et cet événement aussi a son importance.

Gérard Horny

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