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Pourquoi tester sa testostérone ne dit rien de votre libido

Aux Etats-Unis, une campagne publicitaire encourage les hommes à aller se faire dépister une baisse de testostérone.

A Medellin en février 2012. REUTERS/Albeiro Lopera
A Medellin en février 2012. REUTERS/Albeiro Lopera

Temps de lecture: 7 minutes

S'il vous arrive de regarder du sport à la télévision aux Etats-Unis, vous êtes forcément tombé sur une débauche de pubs «masculines», que ce soit pour de la bière ou des médicaments contre les problèmes d'érection, comme le Viagra. Vous avez peut-être même vu l'un des spots de la campagne «Is it LowT?» [est-ce une baisse de T.?] des laboratoires pharmaceutiques Abbott. Ici, le T est l'initiale de «testostérone», une hormone tellement sacrée qu'il vaut mieux ne pas dire son nom.

Auparavant, le spot publicitaire mettait en scène un homme d'âge mûr, bedonnant et grisonnant, et qui aurait bien voulu avoir plus de passion et d'énergie pour –dans cet ordre– le golf, le sexe, la famille et les amis. La pub actuelle est axée sur le basket et contient cette question bizarrement formulée:

«Vous n'en pincez plus pour les paniers avec vos potes?»

Dans les deux versions, une voix-off déconseille d’attribuer ces défaillances au vieillissement et recommande de se rendre chez un médecin ou sur le site d'Abbott qui propose un questionnaire dédié, le «LowT Quiz».

En tant que médecin et homme vieillissant, je donne à toute la campagne «Is It LowT?» une note éliminatoire, à la fois pour des raisons philosophiques et cliniques.

Vieillir n'est pas une maladie

Tout d'abord, elle obtient son 0 pour sa tentative de transformer un processus naturel, le vieillissement, en état pathologique. Il est déjà suffisamment pénible de vieillir sans avoir en plus à se dire qu'on a contracté une maladie chronique.

Je ne dis pas qu'il faille succomber à la vieillesse sans la moindre résistance, mais dans une culture obsédée par la jeunesse, ce genre de campagnes tenant quasiment d'initiatives de santé publique ne fait que créer davantage d'exigences ridicules auxquelles personne ne peut se mesurer.

Les femmes âgées devraient avoir la peau somptueuse et le décolleté guilleret de leurs camarades vingtenaires, et les hommes âgés devraient courir le triathlon tout en ayant à l'heure dite des pensées charnelles déclenchant de solides érections. Rien de moins, sinon c'est la résignation.

La campagne «LowT» est aussi nulle sur un plan clinique. Les spots télé exhortent les golfeurs, amants et pères apathiques à ne plus «vivre dans l'ombre», ce qui est assez cocasse quand on considère que notre connaissance des effets de la testostérone sur les hommes âgés est elle aussi pour le moins brumeuse.

Une opacité qui commence dès le «LowT Quiz», une série de 9 questions axées symptômes et dont bon nombre sont aussi vagues que divertissantes. «Vous endormez-vous après le dîner?», se demande l'une d'elle. «Êtes-vous triste ou grognon?», se demande une autre. Mais ma préférée est sans doute la n°7:

«Avez-vous remarqué une récente détérioration de votre capacité sportive?»

En tant qu'athlète de 47 ans, je peux affirmer que la détérioration de mes capacités athlétiques n'est pas récente, mais progressive.

Faux positifs

Le «LowT Quiz» a beau donner l'impression d'avoir été rêvé par le département marketing d'Abbott, c'est en réalité un outil de dépistage conçu par des gérontologues de la Faculté de médecine de l'université de Saint Louis. Mais la remarquable similitude entre les symptômes d'une baisse de testostérone et ceux du vieillissement naturel limite l'usage du plus parfait des outils.

C'est une des raisons pour laquelle l'Endocrine Society, la première organisation professionnelle d'endocrinologues, ne recommande pas son utilisation. Le «LowT Quiz» et ses semblables ratissent trop large –un important pourcentage d'hommes ne souffrant pas d'une baisse de testostérone sont testés positifs. En même temps, ratisser large est peut-être justement ce qu'un groupe pharmaceutique cherche à faire.

Pour passer le «LowT Quiz» (ou pour le rater, c'est selon), vous devez répondre «oui» à au moins trois de ses questions les plus fumeuses, ou à l'une de ses deux mesures les plus précises:

«Vos érections sont-elles moins vigoureuses?»

et

«Votre libido (désir sexuel) est-elle en baisse?»

Une réponse affirmative à ces deux dernières questions pourrait sembler à charge, mais là encore, elles ne disent pas grand-chose sur le niveau de testostérone du répondant. Pour un papier publié en 2010, des chercheurs impliqués dans l'European Male Ageing Study [étude européenne sur le vieillissement masculin] essayèrent de déterminer quels symptômes étaient le plus corrélés à des niveaux de testostérone bas et conclurent que «la prévalence des symptômes parmi les plus spécifiques de la déficience en androgènes [testostérone] était relativement haute chez des hommes aux taux de testostérone indéniablement normaux».

La testostérone n'est pas obnubilée par le sexe

En d'autres termes, le simple fait que vous soufriez d'impuissance ou de problèmes de libido ne veut pas dire que vous ayez une «LowT». En réalité, la grande majorité des hommes souffrant de dysfonctions érectiles ont une «T» normale, mais c'est leur circulation sanguine ou leur fonction nerveuse qui sont anormales.

Si passer ce test vous a donné une angoisse de la performance, c'est alors à un médecin de vous procurer quelque-chose de bien plus objectif: une mesure clinique de vos niveaux de testostérone. Nous savons qu'ils sont à leur apogée quand un homme termine sa vingtaine ou commence sa trentaine, puis qu'ils baissent d'environ 1% ou 2% par an. Nous savons aussi que la testostérone n'est pas uniquement obnubilée par le sexe: l'hormone est aussi importante pour la densité osseuse, la force musculaire, la composition des graisses et l'humeur. Et nous savons que les niveaux de testostérone fluctuent au cours de la journée –connaissant un pic au moment du petit-déjeuner et un creux d'environ 30% après le dîner.

C'est au-delà de ces simples faits que commence la zone d'ombre. Les normes d'autres mesures physiologiques, comme la pression artérielle, ont été bien définies au fil des ans, mais les taux de testostérone varient  apparemment beaucoup plus selon les individus.

Les niveaux standards oscillent entre une concentration sanguine de 300 et de 1.000 ng/dl. Le fait que deux individus puissent partager le même «profil» testostéronique (désir sexuel, humeur, énergie, etc.) tout en ayant une différence de 100% en termes de niveaux hormonaux –l'un aura 400 ng/dl et l'autre 800 ng/dl– montre combien la mesure peut être approximative.

Du Low T au gros D

On peut par contre mesurer la «testostérone libre» pour voir quelle infime fraction de la testostérone totale n'est pas liée à des protéines sanguines, et est donc chimiquement active et libre. Mais il est difficile de l'estimer avec précision, et une telle mesure n'est pas conseillée lors d'analyses sanguines.

Mises à part les recommandations de l'Endocrine Society, en quoi est-ce si déraisonnable d'accepter l'offre généreuse d'Abbott: passez le test et faites des analyses sanguines si nécessaire? Parce que la grande majorité des hommes qui partiront à la chasse au «LowT» vont se retrouver devant le gros D de la déception. Le test étant si médiocrement discriminant, promouvoir son utilisation donnera de faux espoirs à de nombreux hommes («J'ai une maladie qui se soigne! Voilà pourquoi je pique du nez après manger!») et ils se rueront vers les laboratoires d'analyses médicales. Et la grande majorité d'entre eux en sortira avec des résultats tout à fait normaux, sans pouvoir attribuer le flétrissement de leur swing à leur testicules.

Pour ceux qui voudraient quand même se soumettre à cette batterie de tests, quels qu'en soient les coûts et les tracas, et finiraient par se faire dépister une baisse de testostérone, la question de l'étape suivante demeure. Un homme de 70 ans doit-il avoir les mêmes concentrations hormonales qu'un de 35 ans?

Les experts cherchent encore à savoir si les niveaux «normaux» doivent être réduits avec l'âge, mais un tel débat soulève une question intéressante: la baisse de la testostérone est-elle une «erreur» du vieillissement, comme l’arthrose, et donc une complication qui se doit d'être soignée, ou cela tient-il d'un changement plus global et naturel qu'il ne faut pas chercher à contrer?

L'exemple des femmes

En la matière, nous avons un précédent clinique qui s'appelle le traitement hormonal substitutif. Pendant des années, nous avons harcelé les femmes ménopausées pour qu'elles boostent leurs hormones fatiguées, tout ça pour découvrir –zut alors– que cela augmentait aussi leurs risques de cancer du sein, de maladies cardiovasculaires et d'attaques cérébrales.

Certes, l'andropause masculine n'a rien de la chute libre hormonale que connaissent les femmes ménopausées, mais les préoccupations portant sur les conséquences imprévues de la thérapie testostéronique sont tout aussi réelles, et comprennent des risques accrus de troubles cardiaques et de cancer de la prostate. La vie a ses saisons, et le bikini que vous portiez en été ne sera peut-être pas aussi pertinent une fois les frimas de l'hiver arrivés. Des hormones d'une importance cruciale dans notre jeunesse pourraient avoir d'autres conséquences quand nous vieillissons.

Les risques du traitement hormonal substitutif pour les femmes âgées n'ont pas été clairement définis avant qu'une très importante étude, la Women’s Health Initiative [initiative pour la santé des femmes], donne ses conclusions.

Mais les études portant sur la thérapie testostéronique chez les hommes âgés sont bien plus rares et ont quelques lacunes méthodologiques –insuffisance des échantillons, absence de données longitudinales ou de contrôle placebo (ce qui est fondamental quand vous avez à faire à des symptômes subjectifs comme les niveaux d'énergie ou de désir sexuel).

En 2004, l'Institute of Medicine [institut de médecine – IOM] avait systématiquement passé en revue ces essais cliniques et n'avait trouvé aucune preuve claire de l'efficacité du traitement sur toutes les questions de santé mentionnées, y compris le machisme.

La thérapie hormonale est-elle de la bonne médecine?

Depuis, aucune étude n'a été suffisamment solide ou définitive pour tirer une autre conclusion. Les résultats de l'IOM ont incité à la mise en œuvre du «T Trial», une étude de grande ampleur et multicentrée sur les traitements de la baisse de testostérone chez les sujets âgés, ayant débuté en 2009 et devant être terminée en 2015. (Il est intéressant de noter que Solvay Pharmaceuticals, une filiale d'Abbott Laboratories, est l'un des sponsors de cet essai clinique, vu qu'ils fournissent le gel de testostérone étudié).

En attendant les résultats du «T Trial», la campagne publicitaire d'Abbott semble vouloir demander aux hommes d'aller bravement défricher des territoires que peu d'hommes ont foulé. Pourquoi voyons-nous des publicités pour un traitement dont les bénéfices ne sont pas prouvés et dont les risques sanitaires sont réels? Tout cela a commencé par la large approbation de la FDA accordée au substitutif hormonal d'Abbott, Androgel. Le gouvernement a autorisé Abbott à vendre son produit comme traitement de l'hypogonadisme masculin (le fameux «LowT») sans spécifier en quoi consistait cette maladie chez l'homme âgé. (C'est à la discrétion des médecins). Mais même si la FDA n'avait pas approuvé cet usage du médicament, cette campagne publicitaire serait quand même casher vu qu'elle ne fait pas directement la promotion du traitement. Ces publicités sont considérées par la FDA comme promouvant la «recherche d'assistance»: elles décrivent une maladie ou un trouble, sans recommander l'usage d'un médicament spécifique.

Si Abbott cherche réellement à assister ceux qui en ont besoin –ces hommes âgés tapis dans l'ombre– le laboratoire devrait plutôt acheter du temps d'antenne pour encourager ceux qui n'en pincent plus pour les paniers avec leurs potes à participer au «T Trial». Ce qui nous permettra de savoir si, chez les hommes âgés, la thérapie hormonale tient de la bonne médecine ou tout simplement de la pensée magique.

Craig Bowron  

Traduit par Peggy Sastre

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